22 octobre 2014

Sur Zemmour

La vérité si je mens


La posture, l’assise même, d’un pamphlétaire ou d’un polémiste, tribun sans parti, électron plus ou moins libre, relèvent pour une large part des adversaires, bien institués eux, qu’il se donne en les réinventant au besoin. Zemmour n’échappe pas à ce régime de dépendance : il tient à ses ennemis, qui assurent son fonds de commerce : les féministes, les  « jeunes des quartiers », le néo-capitalisme qui émascule les producteurs pour en faire des consommateurs, les gays qui veulent imposer leur « désir du même » etc. Il en entretient une description, qui n’est que le reflet de ses aversions. D’aucuns parleraient de boucs émissaires, mais dont le polémiste, paradoxalement, se dit volontiers la victime, ce pourquoi il se défend d’eux en les attaquant, comme un moustique s’attaquerait au taureau. Le polémiste est un parasite de la vie comme elle va. Pas forcément inutile.


Donc, Zemmour : ce qui suit présente et commente une interview qu’il a donnée, disponible sous un format court (19 mn environ sur YouTube) et que je viens de découvrir via un de mes amis Facebook. Je regarde peu la télévision et les exhibitions-causettes. Je précise aussi que je n'ai pas lu Le suicide français, n'aimant pas la littérature décliniste qui prospère dans (et sur) notre pays.


« Il y a des choses qu’on ne doit pas dire aujourd’hui à propos des hommes et des femmes. » Zemmour dénonce un politiquement correct qui interdirait la discussion sur les rôles respectifs de chaque sexe, au nom d’un égalitarisme posé comme un absolu : « les hommes et les femmes, c’est pareil ». Moi, dit Zemmour (qui dit souvent moi-je), "je veux que ça continue à ne pas être pareil", parce que ce non pareil est le produit d’une civilisation à laquelle il tient. Au passage, on ne sait pas à quoi il tient le plus : cette « civilisation » (laquelle ?) ou ce qu’elle produit, ce non pareil. Quiconque, ajoute-t-il ne soutient pas ce discours (le sien, donc) passe aujourd’hui pour un « odieux macho, fasciste, etc. ». Comme le Komintern avait décidé de traiter de « fasciste » tout ce qui s’opposait au communisme, est traité aujourd’hui de « macho » tout ce qui est « traditionnellement masculin et viril ». Incluant sans doute M. Zemmour.


Les hommes sont de ce fait « perdus » et ne savent plus qui ils sont, et les femmes répètent « ah non, moi, je ne veux pas d’un macho » alors qu’elles ne savent même pas ce qu’elles veulent. Pour Zemmour, les hommes ne veulent plus être des hommes selon les critères traditionnels, des héros, des guerriers et ça, ce serait la faute à la guerre de 14-18, dit-il, et à la boue des tranchées, qui les auraient humiliés définitivement, en les mettant plus bas que terre (de fait, au fond des tranchées). Dans la Grande Guerre, ajoute-t-il curieusement, « le corps de l’homme change ». Pense-t-il alors au corps blessé, ou serait-il possible que la guerre elle aussi ait dévirilisé l’homme, ce qui serait paradoxal puisque selon Zemmour, l’essence de l’homme est d’être un guerrier. Par la fréquentation trop assidue des infirmières, peut-être ?


Il nous dit aussi que le capitalisme - occidental on présume - ne veut plus des producteurs, qui sont « en Inde ou en Chine désormais », mais des consommateurs et le meilleur consommateur, c’est la femme. Donc il faut transformer tout le monde en femmes, ce à quoi le capitalisme s’emploierait. On voit que là, Zemmour part d’un schéma simpliste où les hommes produisent pendant que les femmes consomment, en quoi il néglige, au moins, toute la contribution des femmes à l’économie, domestique, et surtout à la reproduction de la force de travail (qui manque déjà à nos amis allemands). Mais ce simplisme a une origine plus originelle qu’il assène plus loin : les hommes sont des chasseurs et les femmes, pas, attendant sans doute la côte de mammouth rôtie, blotties avec leurs rejetons au fond de la caverne. Zemmour doit regarder Silex and the city.


Enfin, dernier péché sociétal : des groupes « minoritaires », les féministes, les gays, travaillent à instaurer une forme d’indifférenciation entre les sexes, visant à imposer le « désir du même ». Zemmour reprend là une idée très répandue dans la Manif pour tous selon laquelle un homosexuel (ou une) serait amoureux de son double et l’on sait ce que cette idée fausse doit au mythe qu’Aristophane expose dans le Banquet de Platon, mythe qui a pourtant donné naissance aux genres pluriel, en voie de réhabilitation (lire sur ce sujet Eros enchaîné, d'André Paul). Comme si l’altérité fondamentale, celle du prochain biblique, n’était qu’affaire de sexe ou de genre !


La société, pour Zemmour, est devenue « morbide ». Cette maladie, c’est son impuissance. Pour combattre cette morbidité, « on affiche des femmes nues partout », car le vrai problème de notre société est de susciter, de réveiller le désir masculin. D’abord, on ne sait pas trop qui est ce « on » et puis il faudrait s’entendre : si le capitalisme veut avant tout des consommateurs, c’est avant tout le désir de consommer qu’il s’emploie à développer. Les femmes dénudées des publicités ne sont pas là pour exciter les hommes mais plutôt pour faire chauffer les cartes bleues, non ?


Le couplet contre « Madame Badinter » et « Madame de Beauvoir », les meilleures ennemies de Zemmour, est lui aussi curieux puisqu’il les accuse d’avoir commis un « hold-up idéologique » - Zemmour a le sens de la formule approximative - sur leurs sœurs prolétaires. Ces deux bourgeoises n’auraient jamais souffert personnellement de la domination masculine (qu'en sait-il ?) mais auraient « volé » ce statut de dominées à leurs consoeurs prolétaires, les seules vraies, pour en faire des livres et parler à leur place. Mais que fait donc Zemmour quand il parle des "hommes" en notre nom à tous ?


Les femmes savent-elles ce qu’elles veulent ? Zemmour rappelle l’interrogation de Freud, « Was will das Weib ? », « Que veut la femme ? » une femme déjà quelque peu essentialisée par cet article défini. Dans l’interview, une journaliste tente de répondre à la place des femmes, des choses somme toute assez simples, de bon sens : « apprendre, travailler, être libres de s’épanouir et de développer leur cerveau… » Mais pour Zemmour, les femmes ont déjà tout ça, et depuis longtemps et ce n’est pas une nouveauté. Et de prendre des exemples au XVIIIème siècle en évoquant Madame du Deffand qui correspondait avec Voltaire d’égale à égal. Une élite, reconnaît-il, alors que le paysan de l'époque n'est pas à la fête.Travailler ? répond encore Zemmour : les femmes ont toujours travaillé. Mais « les femmes créent moins et transgressent moins que les hommes parce qu’elles ont une forme d’intelligence différente de celle des hommes. » Et Zemmour d’enfoncer le clou : « Je suis désolé de le dire [et il peut l’être !], mais les grands génies sont des hommes ». Pourquoi ? Parce que les femmes ne transgressent pas et Zemmour de marteler d’un « c’est comme ça » pour essentialiser, de toute éternité, cet état de fait. Sur ce qui n’est pourtant assez largement qu’un produit de l’histoire, Zemmour propose d’interroger le « Bon Dieu » - la boutade en dit long sur son niveau de réflexion sur la nature des choses - pour en connaître l’origine !


« Qu’est-ce donc que le génie des femmes ? L’amour ? » interroge la journaliste, qui s’obstine, la maladroite, à vouloir leur en attribuer un... Zemmour cite alors Rousseau : « L’amour a été inventé par les femmes pour que ce sexe, qui devait obéir, domine ». L’origine de tout ça, dit Zemmour, « c’est que les hommes chassent et que les femmes ne chassent pas [sic]. Mais aujourd’hui on ne doit pas dire qu’ils ont des rôles différents, on doit dire qu’ils ont des rôles interchangeables, eh bien moi, je ne suis pas d’accord » Encore un moi-je. Cette interchangeabilité – prônée, théorisée – martèle-t-il, est en train de « détruire notre société. »

Passant au divorce, il affirme que c’est (encore !) la féminisation de la société qui est à l’origine du « divorce de masse ». L’indifférenciation est en train de tuer le couple car elle tue le désir. Dans une société traditionnelle dominée par les hommes, il y a les individus et la famille : le couple n’a guère d’importance, il n’est qu’un « passage », « un moment de passage ». Or aujourd’hui, c’est le couple qui est « déifié », « sanctifié » : on veut « se mettre en couple ». Zemmour évoque les « petits couples » dans la rue ; ce serait nouveau [?!], il n’y a plus d’individus autonomes : ils sont « couplisés ». Et comme le couple est mythifié, dans la réalité, on est forcément déçu, donc on divorce. Avant, on disait : on ne divorce pas pour les enfants, mais comme ce n’est plus la famille mais le couple qui est important, on divorce.

Zemmour cite alors Pascal Quignard selon qui le christianisme a rompu avec l’ordre grec en rapprochant eros et philia dans l’amour conjugal. C’est une tentative de féminisation de la société, car c’est « le vieux rêve des femmes, lier l’amour, agapè ou philia et le désir, l’eros. Or « traditionnellement », les hommes n’ont que faire de ce lien et même, ajoute Zemmour, c’est un « danger pour eux » (sic). « Le christianisme a tenté cette utopie » du « mariage d’amour » mais très vite les hommes ont repris le pouvoir dans l’Eglise et ils ont imposé leur « arrangement », avec l’amour dans le mariage et le désir à l’extérieur (« il y a des professionnelles pour ça », courtisanes ou putes, sans doute). Cette structure traditionnelle a repris le dessus, même dans une société chrétienne. On voit là que la « tradition » dont parle Zemmour relève davantage du théâtre de boulevard du XIXème siècle, fait de bourgeois cocus et de petites vertus, que d’une quelconque Tradition à laquelle ou pourrait mettre un grand T.


Mais quel danger menace donc les hommes, à mêler philia et eros ? Là, oubliant sans doute que l'auteur de La Chartreuse de Parme était authentiquement féministe, comme l’a reconnu Simone de Beauvoir elle-même, Zemmour fait donner le Stendhal de De l’amour : « au premier grain de passion, il y a le premier grain de fiasco ». En clair, l’homme qui aime la femme la sanctifie et n’arrive plus à la désirer, en fait « à bander ». Or aujourd’hui on somme les hommes d’aimer pour [avoir le droit de] désirer. Notons encore une fois que le lecteur de Zemmour ne sait toujours pas qui est ce « on » qui « somme » les hommes.


Dans les années 70, ajoute Zemmour, des femmes ont dit « nous aussi on ne va plus lier le désir à l’amour, on va s’en émanciper. » Elles ont pris des amants, se sont bien amusées. Le bout de cette évolution darwinienne, c’est Catherine Millet, qui est pour Zemmour « l’incarnation de cette idéologie », une sorte d’archétype, ajoute-t-il, presque admiratif. Mais en évoquant Millet et cette forme de réussite féminine, qu’en pense-t-il réellement ? Que c’est « bien » ? Que ces femmes qui ont délié le sexe de l’amour ont eu la vertu qui fait les vrais hommes ? M. Zemmour n’irait peut-être pas jusque là, dans sa mythique société traditionnelle préférée.


Mais, quoiqu’il en soit du modèle Catherine Millet et de ses émules, aujourd’hui, poursuit Zemmour, on est à rebours de cette évolution : « les jeunes filles, à nouveau obsédées par l’amour, ont retrouvé les comportements de leurs grands-mères », même si elles accumulent les amants. Le problème c’est qu’elles imposent ce régime d'amour aux garçons qu’elles tétanisent, tellement elles sont féroces, par exemple sur l’infidélité. Les garçons ne sont plus des hommes, des transgresseurs, ils sont féminisés, castrés et ils sont là, petits garçons de leur maman et de leur petite amie, qui est leur deuxième maman. Ils sont éternellement le petit garçon de leur maman, qui les a élevés toute seule, qui a « dégagé » le père à cet effet dans les années 70-80 et en plus ils sont la « copine » de leur petite copine avec qui ils partagent leurs crèmes de beauté, se montrent leur épilation... L’horreur absolue pour Zemmour.


A propos des images, il note « une espèce d’obsession du sexe dans les images de femme. » « Moi j’ai une explication » [c’est fou ce qu’il ressemble à Sarkozy à certains moments !]. C’est parce que les hommes n’arrivent plus à désirer qu’on leur invente un monde sur-sexualisé. Encore un « qu’on ». Car « au fond d’elles-mêmes, les femmes sont désespérées par ce comportement des hommes. » Dans cette civilisation – la nôtre, pas celle que regrette Zemmour - les jeunes garçons, soit se soumettent à cet ordre féminisé, soit essaient de  « se bricoler une sexualité  » qui, le plus souvent, est « ou ridicule, ou barbare, parce que ce n’est pas ritualisé. » Là les féministes ont raison, dit Zemmour [et « Madame Badinter » d’écarquiller les yeux, sûrement !], la virilité est dangereuse : les hommes sont fondamentalement violents, barbares, destructeurs. C’est pour ça que les femmes civilisent, canalisent. Ont-elles tort ou raison, à ce moment-là ? Zemmour ne l'avouera pas.


Au passage, parlons de l’évolution des films pornos, qui, grâce à Internet, sont devenus le fonds d’éducation sexuelle des jeunes : on est passé du film échangiste (style Brigitte Lahaie), libertinage de classes moyennes, que regardait Zemmour dans sa jeunesse sans penser à mâle, à des films « sans histoires, sans scénarios, où ils sont à dix sur une fille qu’ils tabassent plus ou moins : on jubile quand on voit ces films-là, parce qu’on se venge  », lui a dit un jeune homme  « bien sous tous rapports. » 


Alors évidemment, revenons à cette occasion sur les « jeunes de banlieue » autre essence sociale zemmourienne, comme LA femme : ils refusent la société féminisée et s’inventent eux aussi une virilité d’une « barbarie inouïe »: ils interdisent à leurs sœurs de sortir autrement qu’en survêtement ou voilées, parce qu’ils ont peur des femmes. Là, l’auditeur de Zemmour ne peut s’empêcher de sourire : ce n’est pas gentil, certes, mais est-ce vraiment d’une « barbarie inouïe » que d’obliger sa petite sœur à porter un survêtement ? Une journaliste, d’ailleurs, ne comprend plus : « Ils ont donc un comportement traditionnel ?   » suggère-t-elle, sous-entendant que M. Zemmour pourrait au moins approuver cette manifestation d’autorité mâle, de masculinité, sur la gent féminine, au lieu de tout critiquer ? Mais « non », répond Zemmour, qui tient visiblement à ostraciser les jeunes, leurs pères n’obligeaient pas leurs femmes ou leurs sœurs à sortir en survêtement. (sic). On est « au-delà du traditionnel ». Et d’évoquer, pour bien préciser ce qu’il appelle « au-delà », le drame de la jeune Sohane, brûlée en 2002 par le garçon qu’elle avait éconduit. Ce que Zemmour feint alors d’ignorer pour coller cette casserole aux « jeunes de banlieue  », c’est que ces violences au sein du couple sont la première cause de mortalité des femmes (1/7ème des décès), tous milieux et toutes ethnies confondues et qu'on peut douter légitimement que pérenniser (ou revenir à) cette forme de société idyllique dominée par les mâles soit un bon plan.


Enfin, pour Zemmour, s’il y a une tradition de contrôle strict des femmes par les hommes dans les pays musulmans, c’est parce que ceux-ci en ont peur : ils ont peur de ne pas être à la hauteur, donc ils les enferment, ils ont sûrs ainsi qu’ils ont une supériorité. C’est toujours le problème de l’homme, pour Zemmour, pathétique : il faut montrer une supériorité. Retour par Pascal Quignard et le phallus qui s’appelait chez les Romains le fascinus : il faut fasciner, les hommes veulent fasciner et les femmes veulent être fascinées. Et cette image a été construite « pour le bien des deux » : « sinon les hommes ne bandaient pas et les femmes n’avaient pas ce qu’elles voulaient. » Ce qui semble au passage suggérer que les femmes veulent donc quelque chose et le savent ? Donc, quitus est donné aux Romains et à leur fascinus mais pour ce qui est des banlieues, ils "délirent bien au-delà du comportement traditionnel", par réaction à la société féminisée : on est dans la folie barbare.  « La virilité humiliée par la féminisation est une virilité qui se barbarise. » C'est la faute aux féministes, encore ?


De ce tourbillon brouillon, il ne ressort pas un portrait précis de la société « traditionnelle » à laquelle Zemmour souhaiterait revenir (ou qu'il veut promouvoir ?). Les femmes doivent rentrer à la maison ? C’est monsieur qui doit décider de tout ? Notre polémiste paraît plutôt être, comme beaucoup de contemporains, largué par le monde tel qu’il est et tenté par le fondamentalisme ou la réaction. Et l’on pourrait reprendre à son propos, la question que Freud posait à propos des femmes : « Que veut M. Zemmour ? » 


L'omelette du parti Renaissance

 Avec ce tract pondu cette nuit à 2 h 39 dans les boîtes à lettres électroniques, les équipes du parti Renaissance ont atteint ce qu'on ...