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07 octobre 2023

L'enfant dans le taxi



 "Je voudrais vivre dans un monde où les choses puissent se dire en face, la vérité s'affronter. Où chacun de nous soit assez libre et fort pour accueillir la liberté des êtres qui l'entourent."

Simon, le narrateur de L’enfant dans le taxi, écrit ces mots, cette profession de foi, alors qu’il arrive presque au terme de sa quête, qui a dû se faire enquête. Il va enfin rencontrer en Allemagne, au bord du Bodensee, le lac de Constance, M. le bâtard, l’enfant caché de son grand-père, le secret qui a hanté de son silencieux fracas tous les dîners, toutes les retrouvailles familiales depuis la fin de la guerre. Secret qu’Imma, la grand-mère de Simon n’a pas voulu lever, alors même que son mari, Malusci, venait de l’emporter dans la tombe. Qu’elle a même interdit à Simon de chercher à percer.

Pour Simon, tout commence au retour du cimetière, dans ce moment de nevermore où remontent toutes les discussions qu’on n’a pas eues, toutes les questions qu’on n’a pas posées, qu’on pense définitivement enfouies sous quelques centimètres de terre. Définitivement in-humées. In humo. À moins. À moins que le regret ne soit plus fort, à moins qu’un membre de la famille qui en sait davantage ne se sente délivré par la mort du mort. Et ne commence à parler du fils caché de Malusci, conçu avec une jeune Allemande au bord du Bodensee, il y a si longtemps.

Le livre de Sylvain Prudhomme multiplie les échos, les éclats qui jaillissent du murmure étouffé de la vie, comme autant d’éruptions solaires lointaines et actuelles, qui jetteraient leurs lumières inédites et apparemment sans lendemain sur la longue histoire de la famille de Simon. Simon avance lentement sur cette terre de silences, mû par une inflexible volonté de savoir dont il ignore le ressort. Sinon qu’un fantôme prend chair peu à peu et l’appelle. 

Simon doit faire face en parallèle au triste délitement de son couple. A. et lui s’aiment encore, pourtant. Ils forment encore une famille avec leurs garçons, Tom et Victor. Mais ils vont se dépacser, se partager la « garde des enfants », dans un incompréhensible je t’aime donc je te quitte, dont rien ne dit la raison, mais qui forme le fond mélancolique du roman et distille notre empathie attristée pour celui qui raconte. 

Pour Simon, tout se passe comme s’il voulait chasser par avance les fantômes de la solitude qui vient, pour pouvoir enfin regarder la vérité en face. Car le monde qui fait face à la vérité n'existe pas. Seuls existent des êtres assez forts et libres pour faire advenir ce monde autour d'eux. 

C’est pour la saisir au plus près, cette vérité, que Sylvain Prudhomme réinvente cette écriture arachnéenne à la fois légère et solide qui est sa marque, tissant peu à peu la toile serrée de son livre, à laquelle elle n’échappera pas.

L'enfant dans le taxi - Sylvain Prudhomme - Les éditions de Minuit - 2023 (217 pages, 20 €)


09 novembre 2019

Par les routes

 Le petit pain chaud de la rentrée littéraire



On apprend dès les premières lignes que le narrateur de Par les routes est un artiste, à la fois écrivain et peintre, qui ne s’attarde guère sur ses œuvres. Mais l’une d’elle est sans doute en cours, c’est le livre que nous allons lire. Car le métier du narrateur ressemble furieusement à celui de l’auteur, Sylvain Prudhomme. Quand le roman commence, Sacha vient de s’installer dans la ville de V. pour y travailler, écrire et peindre, donc. V. reste anonyme mais c’est une Ville du Sud, au bord d’un fleuVe. Sacha n’y connaît pas grand monde, juste un vague cousin, aimable dans son souvenir, mais c’est un peu volontaire. Sacha cherchait la solitude, une sorte d’ermitage en ville.

Mais le hasard va vouloir – formule inepte car il n’y a guère de hasard dans un roman – que, dans cette ville de V., Sacha retrouve un autre anonyme, l’autostoppeur, qu’il n’a pas revu depuis 15 ans mais qu’il n’a jamais oublié. L’autostoppeur a changé jadis la vie de Sacha mais aujourd’hui quelque chose a changé dans la vie de l’autostoppeur. Il a une compagne, traductrice de l’italien et ils ont eu ensemble un garçon. Elle, elle semble s’être accommodée de lui, qui n'a pas cessé de disparaître périodiquement pour de longs voyages en France, pour le seul plaisir d’être emmené par celle ou celui qui, en voyant le fameux pouce agité au bord de la route, va décider de s’arrêter. Elle, elle semble être toujours amoureuse de cet intermittent de l’amour qui, entre deux éclipses, fait des chantiers de rénovation, une activité sans importance, ce n’est pas ce qui le fait vibrer.

Sylvain Prudhomme nous introduit doucement mais irrésistiblement dans ce triangle à la Jules et Jim. La Catherine de Truffaut s’appelle ici Marie (mais il y a aussi une Jeanne dans l'histoire). Le triangle est en fait un quadrilatère. Agustin, le fils de l’autostoppeur, est bien présent dans le récit dont il va être, pourrait-on dire, un acteur passif. Après, ce qui devait arriver arrive. J’ai besoin de partir moi aussi, dit un jour Marie, fatiguée de l’autostoppeur absent. Sacha se propose de garder Agustin et s’installe chez Marie. Au bout de dix jours, il est toujours sans nouvelles de Marie. En riant, Sacha se dit qu’il est « un putain de coucou », sauf qu’il n’a pas viré l’oisillon du nid. Marie va-t-elle revenir ?

Ce n’est pas l’intrigue ni son dénouement qui surprennent ou qui font l’intérêt de ce roman que l’on pourrait classer dans les petits pains chauds – je préfère à l'anglais feelgood - de la rentrée. C’est la façon de raconter les choses de la vie en mode journal extime, de les dépeindre et de les repeindre sans cesse, dans un milieu doux et bohème de province, sans trop de besoins donc sans trop de soucis. Dans l'œil du cyclone social. Pour ses dialogues, Sylvain Prudhomme s’est affranchi du tiret cadratin, se contentant d’un retrait à la ligne ou les insérant dans le corps du texte sans guillemet. Cette décision typographique lisse agréablement le texte, mariant la voix du narrateur à celle des autres en une sorte de continuum qui est, au fond, celui de notre imaginaire de lecteur, sans ponctuations ni limites.

Le collectionneur de rencontres aléatoires continue à fasciner Sacha. D’une certaine façon, quinze ans après, l’autostoppeur a reconquis son ami et va tenter ultimement de l’arracher, à Marie cette fois, qu’il sait lassée de lui. Plutôt qu’une histoire de triangle, ce roman est plutôt le récit d’un lévirat, cette coutume orientale qui veut que si mon frère marié meurt sans descendance, j’épouse sa veuve pour lui en donner une. Partir c’est mourir un peu. Mais partir beaucoup, trop même, c’est aux yeux de Marie, mourir complètement.


PS : Par les routes a obtenu le prix Femina 2019.

L'omelette du parti Renaissance

 Avec ce tract pondu cette nuit à 2 h 39 dans les boîtes à lettres électroniques, les équipes du parti Renaissance ont atteint ce qu'on ...