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24 novembre 2022

Camille et Augustin



Pour Jean,

Sur la prière

Depuis que nous sommes nés, nous sommes séparés de notre mère. Depuis que le monde est créé, nous sommes séparés de Dieu. La séparation est la condition de la Vie, de notre vie. Cette séparation, Jésus l’a révélée à ses disciples quand ceux-ci lui ont demandé de leur apprendre à prier. Il leur a dévoilé en même temps un dieu « Père ». Voussoyant encore Dieu, « Notre Père, qui êtes aux cieux… » « restez-y » avait enchaîné Prévert, insolent ou rancunier, actant la séparation d’un « et nous, nous resterons sur cette Terre qui est quelquefois si jolie ». Prier c’est vouloir abolir la séparation en l’actant. 

« Il y a toujours quelque chose d’absent qui me tourmente ». C’est mon ami Dominique Léotard qui m’avait signalé cette phrase de Camille Claudel, tirée d'une lettre à Rodin, griffée sur la façade d’un immeuble de l’île Saint-Louis. Est-ce Dieu, cette « chose absente », tapie derrière ce qui nous tourmente et qui n’a pas de nom ? Ou nous « inquiète » comme le constate aussi saint Augustin dans les premières lignes de ses Confessions : « tu nos fecisti ad te et cor nostrum inquietum est donec resquiescat in te ». S’interrogeant d’entrée sur la volonté de louange qu’il y a au cœur de l’homme - « l’homme veut Vous louer », cet homme qui pourtant, le reconnaît-il, est « une part médiocre de votre création » - Augustin juge que c’est Dieu lui-même qui pousse l’homme « à mettre sa joie à le louer », « parce que vous nous avez créés pour vous (« ad te ») et que notre cœur est inquiet jusqu’à ce qu’il repose en vous » (« in te »)[1]

À seize siècles de distance, l’inquiétude d’Augustin répondait par avance au tourment de Camille, lui en proposait une résolution, mais nul n’a dit à l’artiste, pas même son frère Paul, qu’elle pouvait glisser son tourment en Dieu et l’y faire reposer. Nul ne lui avait appris à prier ou bien elle avait oublié. Sculpter la chose absente lui en tenait lieu, le marteau dans une main et le burin dans l’autre, peut-être étourdie entre deux œuvres sous les caresses de Rodin, qui lui exprimaient autrement « ce qui n’était pas encore » [2]. 

Inquiétude et tourment d’une double séparation. Comment combler la distance de la Terre au Ciel, de la naissance à la mort ? Dans Le soulier de satin , le Saint Jacques de Claudel, Paul cette fois, propose une formule à « deux âmes qui se fuient à la fois et se poursuivent » et qui n’auraient qu’à le « regarder pour se trouver ensemble » puisque « quand la terre ne sert qu’à vous séparer, c’est au ciel que vous retrouverez vos racines » [3]. Le ciel et non quelque au-delà incertain de la mort serait le véritable orient vers lequel tourner nos vies tout en gardant les pieds sur terre, comme le conseille Prévert. C’est sans doute la prière qui peut seule commander cette vection entière de notre être, qu’il soit tête et cœur ou corps et âme. Qu’importe en quelles sortes de parties nos atomes sont divisés, la prière a pour fonction de nous réunifier en nous faisant remonter, libres, à la source d’où nous venons, par les bras qui nous ont à la fois portés et égarés.

Saint François de Sales est le maître qui nous introduit à cette « vie dévote ». « 1. Mettez-vous en la présence de Dieu – 2. Suppliez-le qu’il vous inspire » [4] La consigne paraît simple. Exige-t-elle de s’arrêter, de suspendre son affairement ? Sans doute, surtout s’il s’agit de (re)prendre contact, comme s’il s’agissait d’un•e ami•e perdu•e de vue. Se retirer dans sa chambre ou dans une église, allumer une bougie, poser son corps dans la position où Dieu aimera me trouver. Essayer de faire le vide en ne pensant à rien, « ce rien qui nous délivre de tout » (Claudel encore). On a alors l’impression d’être dans un sas, enfermé entre deux portes, celle qu’on vient de refermer et celle qui n’est pas encore ouverte. Le mot d’antichambre serait moins angoissant. Le « supplier » alors, comme souvent supplient les psaumes, les antiennes d’ouverture de la liturgie quotidienne de la messe. « Prends pitié de moi, Seigneur, car j’ai crié vers toi tout le jour… » Ces mots d’autrui peuvent nous aider à supplier, à quoi nous ne sommes guère habitués, par insouciance, orgueil, oubli ou simplement par peur d'entrevoir la détresse qui est au fond de nous, qui était au fond d'Augustin et au fond de Camille. Et attendre. Quelque chose, quelqu'un, va se manifester à moi. Un contact s’établira, tôt ou tard, maintenant ou dans la journée. La prière peut restaurer et retisser ce lien perdu à la naissance du monde. C’est sa fonction et alors il devient possible de louer tout ce qui arrive, le mauvais comme le bon, porté par une boussole intérieure, tournée pour la journée vers Dieu et le prochain, qui sont une seule et même chose. La porte s’est ouverte qu’aucune nuit ne refermera.

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Notes :

[1] Les confessions, saint Augustin, traduction Joseph Trabucco, Garnier Flammarion.

[2] Cf. « la caresse » dans la phénoménologie de l’éros d’Emmanuel Levinas – in Totalité et infini, p. 235, Martinus Nijhoff, 1961.

[3] Le soulier de satin, Deuxième journée, scène VI

[4] Introduction à la vie dévote – Saint François de Sales – Première partie, chapitre IX

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