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12 mai 2023

Ciment

 

« Du feu qui est en toi dépend la chaleur de ta vie.
Mais où, en moi, devais-je le chercher, ce feu ? »

Dans une petite ville du Nord assemblée autour d’une cimenterie, deux familles alliées cohabitent au « Belvédère », un pavillon de deux étages, dont la terrasse domine la ville. C’est Gilles qui raconte et se souvient de ses débuts dans la vie, de son adolescence, de ses amours bancals, de sa carrière éphémère de disquaire, de sa mère endeuillée avant sa naissance, de son père privé d’enfance et d’ailleurs, des jalousies et des mensonges de deux familles qui s’épient et traversent drames intimes et collectifs, vécus, ressassés, enfouis, exhumés.

Est-ce sa formation d’architecte qui lui a donné ce trait sûr, qu’elle reporte chaque semaine sur Gloria, son héroïne de BD ? Après Varsovie-Les Lilas, le nouveau livre de Marianne Maury Kaufmann, Ciment, est un solide bâti de situations dessinées au plus près de chacun des personnages qu’elle projette l’un après l’autre sur la scène de son récit. Son art scénographique repose sur une micro-écriture qui débusque avec précision, d’un scalpel attentif, tantôt empathique tantôt cruel, tous les détails et tous les recoins de la vie et des âmes. Il en résulte, pour ce roman d'apprentissage, ce qu’on pourrait nommer une densité légère, qui fait de chaque paragraphe une petite nouvelle à lui tout seul, l’ensemble échappant comme par magie à la pesanteur descriptive. Il n’y a pas chez notre autrice de tartinage psychologique, pas de décor empâté. Mais les touches successives d’un pinceau phénoménologique si fin qu’on s’étonne qu’il produise des impressions si fortes. Seul soulignement que se permette Maury Kaufmann de temps à autre : le sceau de l’italique, qui dénote les manières de dire d’un personnage et authentifie sa parole.

Comme dans la musique contemporaine, cette micro-écriture engendre ces micro-intervalles qui dérangent l’harmonie classique de la littérature, faisant écho par moments à ce que fut l’ébranlement existentialiste. Il en résulte une familière étrangeté, comme si cette science particulière de l’écriture de fiction avait produit une science-fiction de la vie quotidienne, extrayant de celle-ci ses vérités inaperçues et augurant du futur qui l'attend.

Ciment Marianne Maury Kaufmann – 2023 – Cent mille milliards (195 pages, 20 €)

PS : C'est Guillaume Wallut qui a accueilli ce roman au sein de la maison qu'il a fondée, Cent mille milliards, rompant il y a dix ans déjà, par l'édition à la demande, avec les principes ruineux pour l'environnement de l'édition traditionnelle (= c'est un livre qui se commande chez votre libraire favori)


09 septembre 2022

Elizabeth Finch

 


"Monothéisme, dit ce jour-là Elizabeth Finch. Monomanie. Monogamie. Monotonie.
Rien de bon ne commence de cette façon."

Neil hérite un jour les papiers et les livres d’une enseignante dont il a suivi les cours des années auparavant alors qu’il était trentenaire et déjà divorcé. Il nous raconte quel étrange et fascinant personnage était Elisabeth Finch, dont il est tombé amoureux, adorant « le fait qu’elle était bien plus intelligente que moi ». À l’issue de l’année de cours, elle va accepter contre toute attente de déjeuner avec lui deux ou trois fois par an, réglant toujours l’addition, et cette relation platonique va durer vingt ans, sans que le mystère qui entoure Liz Finch ne se dissipe pour son commensal transi. 

Il va même s’accroître du fait de cet héritage intellectuel confié à Neil sans qu’il l’ait vu venir. En lisant les carnets de Liz, en parcourant sa bibliothèque, en essayant de percer ses secrets, en se nouant d’amitié avec son frère aîné Christopher pour essayer de découvrir qui elle était vraiment, Neil s’embarque par fidélité posthume dans une longue recherche historique qui va le ramener au temps de l’empereur romain Julien dit – par les chrétiens - l’Apostat, celui par qui l’empire eût pu rester païen au lieu de basculer définitivement dans le christianisme. Parallèlement, Christopher mettra Neil sur la piste « d’un homme au pardessus croisé » dont Liz a peut-être été l’amante. Au final, Neil est tenté d’écrire la biographie d’Élizabeth, plus pour rester en sa compagnie que pour la percer à jour. 

Et l’on découvre que le nerf, discret comme Liz, de ce roman est la critique qui s’y dessine peu à peu, dans la lignée d’un Nietzsche, de la religion chrétienne, qui aurait détruit « la joie de vivre ». Épictète, cité par Liz au début de son cours, avait pourtant donné sa clé du bonheur dans son Manuel : savoir reconnaître la différence entre les choses qui dépendent de nous et celles qui nous sont données et sur lesquelles nous ne pouvons agir, et nous comporter en conséquence. Si Julien l’Apostat n’avait été vaincu, à trois siècles de distance, par le « pâle Galiléen », serions-nous plus heureux car plus libres ? 

Julian Barnes fait tout pour que Liz et Neil après elle nous en convainquent. Mais au final, l’Histoire ne relève-t-elle pas justement de ces choses sur lesquelles nous ne pouvons pas agir et qui ne doivent pas nous tourmenter, au contraire des récits, qu’un romancier peut mener à sa guise, jusqu’à la réinventer ? Un livre doux-amer, cérébral et élégant comme un club d'Anglais agnostiques. 

Elizabeth Finch - Julian Barnes - Mercure de France - 197 pages - 19 €

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