11 avril 2023

La Semaine sainte

La Semaine sainte pour les Nuls 

Peut-on faire comprendre à quelqu’un qui ignorerait tout de la religion chrétienne – je doute que ce « tout » existe – ce que les chrétiens revivent et reçoivent pendant la Semaine sainte ? Chez les catholiques, branche importante du christianisme, cette semaine est marquée par plusieurs cérémonies qui sont autant de jalons d’une marche, renouvelée chaque année, vers le dimanche de Pâques qui célèbre la résurrection du Christ, sommet de la vie chrétienne.

Louange de buis

Le prologue de cette Semaine, ou son acte zéro, est le dimanche des Rameaux, qui commémore l’entrée de Jésus à Jérusalem, saluée de palmes (en France, c’est souvent du buis) et d’hosannas joyeux. Mais la liturgie de ce dimanche pose aussi sur le seuil de cette semaine le long et douloureux récit de la Passion, comme un sommaire de ce qui va se dérouler pendant les jours suivants. Sans doute à cause de ces buis, qui sont bénis au début de la messe des Rameaux et que les fidèles, au nom d’une tradition multiséculaire, tiennent à rapporter chez eux pour les placer sur un crucifix ou près d’une photo de famille, voire sur une tombe, ce dimanche-là reste l’un des plus fréquentés de l’année, y compris par celleux qui ne mettent jamais les pieds à l’église le reste du temps. Moi qui ai vu mes grands-mères et mère honorer cette tradition, j’y ai rarement dérogé.

De l'huile à l'onction

Le premier acte se joue le mardi. Il est éminemment clérical. L’évêque rassemble autour de lui, dans sa cathédrale - à Orléans, Sainte-Croix - les prêtres de son diocèse, son « presbyterium », pour une messe dite « chrismale » parce qu’y sont bénites ou consacrées les huiles destinées à l’administration de différents sacrements tout au long de l’année, qui s’accompagnent chacun d’une onction, une croix huileuse tracée sur le front de l’oint•e : l’huile des malades destinée au sacrement des malades, qu’on appelait autrefois « l’extrême onction » (qui dans la pratique de ce sacrement, n’est plus aussi extrême) ; l’huile des catéchumènes, utilisée lors des étapes de préparation au baptême ; le saint Chrême, huile consacrée, est utilisée pour le baptême, pour la confirmation et pour la consécration des ministres ordonnées, diacres, prêtres et évêques. Ces huiles, mélange d’huile d’olive et de baume [1] , sont le signe visible du don de l’Esprit que dispensent ces sacrements. Pendant la messe chrismale, ces huiles sont apportées dans le chœur par les diacres. Elles sont contenues dans de grandes jarres d’étain puis après la messe seront réparties en petits flacons entre toutes les paroisses du diocèse.

L'autel et la table

Les choses vraiment sérieuses commencent avec le second acte : c’est le Jeudi saint. Est commémoré ce jour-là le dernier repas de Jésus avec ses disciples. C’est aussi l’entrée dans le « triduum pascal », ces trois jours qui ont changé le monde romain, et le monde tout court. Ce dernier repas, c’est la cène, dont les Italiens ont gardé le nom, « cena », pour désigner leur repas du soir, notre dîner (ou souper). C’est ce repas qui est rejoué, actualisé, à chaque messe en mémoire de Jésus – « vous ferez cela en mémoire de moi » - au cours duquel le pain et le vin sont changés en corps et sang du Christ. Christ est alors « l’agneau de Dieu », celui qui « enlève les péchés du monde ». L’agneau mâle est une référence à des rites sacrificiels du Premier testament : celui d’Abraham, mis à l’épreuve par Yahvé (Genèse 22) et celui des Hébreux, à la veille de leur sortie d’Égypte et de leur libération de l'esclavage, guidés par Moïse (Exode 12). Les paroles prononcées par Jésus et rapportées par les évangiles sont prononcées par le prêtre au cours de la consécration, moment-clé de la grande prière eucharistique par laquelle les chrétiens rendent grâce – c’est le sens du mot grec eucharistie - paroles performatives qui font ce qu'elles disent « prenez et mangez en tous, ceci est mon corps livré pour vous » puis « prenez et buvez-en tous, car ceci est la coupe de mon sang, le sang de l’Alliance nouvelle et éternelle qui sera versé pour vous et pour la multitude en rémission des péchés ». Les participants à la messe sont alors constitués comme « invité•es au repas de noces de l’Agneau », référence tirée du livre de l’Apocalypse selon saint Jean, où l’Agneau est une figure centrale.

Du partage au sacrifice

Des quatre évangiles, celui de Jean est le seul qui ne rapporte pas ce qui est devenu la consécration dans le rite chrétien de la messe. Il lui substitue une autre séquence, ce même Jeudi saint, au cours de laquelle Jésus lave les pieds de ses disciples, contre l’avis de Pierre qui s’insurge par trois fois de voir son maître s’abaisser ainsi devant lui et les onze autres. C’est pourquoi, au cours de la messe du Jeudi saint, le prêtre rejoue ce « lavement des pieds » avec une douzaine de paroissien•nes. En l’occurrence, c’est l’évêque d'Orléans, Jacques Blaquart qui a renouvelé ce geste, jeudi, dans l’église Saint-Paterne, lavant trois pieds droits sur douze (et laissant les autres à un diacre). Au total le Jeudi saint renvoie à deux valeurs, celle du sacrifice et celle du partage car dans le christianisme, l’autel du sacrifice est aussi, indissociablement, la table du repas. 

Après son repas, Jésus entraîne ses disciples au jardin du mont des Oliviers pour prier. Mais ses disciples, inconscients de l’imminence du danger qui menace leur maître, ne parviennent pas à veiller avec lui, s’endorment et le laissent quasiment seul face à son destin qui va s’enchaîner dans la nuit et au matin du vendredi : arrestation, procès et jugement expéditifs, et, dans l’après-midi, crucifixion, à la veille du sabbat juif. 

Une présence adorable

Aussi, après la messe qui commémore la cène et le lavement des pieds, une nuit d’adoration est proposée aux fidèles, dans l’église qui reste ouverte à cet effet. Est proposé à l’attention des fidèles le Saint-Sacrement un ciboire repose cette présence cachée sous forme d'hosties consacrées. D'où le terme de « reposoir ». 

Un chemin vers la mort

Le Vendredi saint, troisième acte de la semaine sainte, commémore la mort du Christ en croix. La cérémonie emblématique de ce jour est le « chemin de croix », un chemin qui est matérialisé dans toutes les églises, tout autour de la nef centrale, soit par une suite de croix numérotées, généralement en chiffres romains, de I à XIV (nombre fixé par le pape Clément XII au XVIIIème siècle), soit par des peintures ou des bas-reliefs représentant les étapes de ce chemin, depuis le jugement jusqu’à la mise au tombeau. Ce chemin de croix a souvent lieu à 15 h, l’heure estimée de la mort de Jésus : « vers la neuvième heure » telle que la rapportent les évangiles de Matthieu, Marc et Luc, au terme d’une agonie de trois heures qui débute à la « sixième heure ». Ce chemin peut être pratiqué à l’intérieur de l’église ou à l’extérieur, au cours d’une procession. L’origine de ce chemin de croix remonte aux célébrations du Vendredi saint instaurées au XIIIème siècle par les chrétiens de Jérusalem, et singulièrement les Franciscains, disciples de Saint François d’Assise, qui serait « l’inventeur » de ce rituel. 

Concrètement, ce chemin  de croix, qui ne fait pas l’objet d’un rite aussi fixé - hors la liste des stations [2] - que celui de la messe, se déroule ainsi : un célébrant, prêtre ou laïc, s’arrête devant chaque « station » - qui porte bien son nom - du chemin, énonce le titre de chaque action qui s’y déroule et l’explicite, récite une prière enrichie généralement d’un chant. Paul Claudel, parmi d’autres artistes, a rédigé un poème pour chaque station. Vendredi, à 15 h, dans l’église Notre-Dame des Miracles, les chrétien•nes présent•es ont refait ce chemin circulaire, à la suite de trois laïcs qui le conduisaient, longeant les murs de la nef, tandis que des prêtres alentour recevaient la confession des pénitents du jour. Car le Vendredi saint, soulignant que Jésus est mort à cause de nos péchés dont il est venu nous sauver par sa mort et sa résurrection, est le moment propice pour demander pardon à Dieu, ce qui pour un catholique passe par la confession, sacrement délivré par le seul prêtre.

Le jour oublié

Le Samedi saint, en apparence, est un jour creux comme le creux du rocher évidé où, nous disent les évangiles, a été déposé Jésus, le creux qui épouse son cadavre enfermé à jamais d’une « lourde pierre » dans les ténèbres d’un tombeau et promis à retourner en poussière. Jour de tristesse, de non-événement, comme si rien ne se passait alors que peut-être, c’est là que tout a fermenté, qui a tout fait remonter et ressurgir. « Il sent déjà », disait Marthe à Jésus à propos de son frère Lazare mort et enterré depuis quatre jours et qui va sortir de la tombe à l’appel de son ami, tel un mort-vivant. Jour de déception que ce samedi. Après la tragédie, l'incompréhension, Oui, sans doute que ce samedi-là, tous sont déçus, amers que Celui pour lequel ils ont tout quitté les lâche au bord de la route, alors que, tout de même, s’il l’avait voulu, il aurait bien pu… Un Celui qui en perd temporairement sa majuscule. A-t-il entendu le « sauve-toi toi-même ! » des soldats romains qui gardaient le Golgotha, l’ultime invitation d’un monde qui s’était dérobé à lui, sur lequel il allait fermer les yeux, d’un grand cri ? Pourquoi s’est-il laissé faire comme un voleur, un bandit, un séditieux, lui qui a pourtant protesté au mont des Oliviers, quand on est venu l’arrêter : « Suis-je un brigand que vous vous soyez mis en campagne avec des glaives et des bâtons ? » [3]  Samedi saint, le monde est devenu incompréhensible, inexplicable, dénué de tout sens. C’est un présent qui semble avoir aboli tout ce qui a précédé au point d’obérer tout avenir. 

Un samedi sans fin ?

Mais n’est-ce pas là que nous nous trouvons aujourd’hui, là où le cours du temps universel nous a stockés ? « Nous ne savons plus croire » écrit Camille Riquier. N’est-ce pas là pourtant que nous devrions nous tenir pour pouvoir reprendre une histoire qui serait authentique, en acceptant de vivre une vie qui ne serait pas perpétuellement « co-aperçue » (mitsehen) [4]  dans la confortable interprétation de la mort que nous offre la résurrection du Christ et sa réplication en notre faveur, cette main tendue in extremis par Dieu au bord du néant ? Que célébrer en cet impossible samedi où a peut-être mûri le déni de la mort ? Comment pourrait-on le réintégrer dans ce triduum qui, comme les mousquetaires, sont quatre ? Jeudi, vendredi, samedi, dimanche : si je compte bien, il y a quatre jours et non trois. Quelle manœuvre a aboli le samedi, l’a transformé en point aveugle, en jour saint oublié, quel est le sens de ce jour que l’on saute au point qu’il semble n’avoir jamais existé, si ce n’est pour une descente aux enfers, rattrapée de justesse par un des credo ?  « Descendit ad inferos ». Est-ce que par hasard notre monde ne serait pas resté coincé dans un long samedi en enfer ? « Un jour je te décevrai et ce jour-là j’aurai besoin de toi » (Desnos). N'est-ce pas en ce long samedi où son Fils est tenu en échec que Dieu son Père a besoin de nous ?

Vers la lumière de Pâques

Puis vient la vigile, le samedi soir. Acte 4, qui débute à 21 h  à la cathédrale Saint-Croix d’Orléans. Moment nocturne. Nous sommes plongés dans la nuit qui n’est plus celle ensommeillée et effrayée du jeudi au vendredi, réveillée par les voix du traitre et des soldats et agitée par le cliquetis des glaives. Non, c’est la nuit encore inquiète et muette, apeurée, dans l’attente d’un jour nouveau encore incertain. Nuit de genèse qui se rassérène peu à peu à la voix  qui puise depuis le commencement dans les Écritures, dans le façonnement souterrain d’un nouveau commencement. Nuit interminable et impatiente de lectures, de psaumes chantés, de prières dites dans le froid de l’église. Nuit qui croise un feu auquel des cierges s’allument qui propagent leur flamme à d’autres et c’est tout un peuple qui entre dans le ventre de la cathédrale et va voyager jusqu’au bout de cette nuit la plus longue pour arriver au matin de Pâques. À ce feu s'allumera aussi chaque cierge pascal destiné à faire luire la résurrection du Christ dans chaque église, gravé de l'Alpha et de l'Oméga [5]. 


Le soleil victorieux

Que la lumière soit : le double récit de la Création (Genèse 1-2) envoie son écho lumineux jusque dans la cathédrale où les grands luminaires s’allument enfin pour cet office de la lumière et le retour des alléluias que le Carême avait suspendus. Juste avant la communion, l’évêque nous invitera à nous donner le rituel baiser de paix d’une autre façon, par un autre échange : - « Il est ressuscité ! » - « Il est vraiment ressuscité ! », un adverbe pour conforter la foi reçue de l’autre en la sienne propre, qui met la vérité en ordre de marche. Nous sortons dans la nuit. C’est déjà dimanche, Pâques, le jour de la résurrection et tout à l’heure, à 7 h 14, le soleil invaincu se lèvera sur une célébration œcuménique au Campo Santo, rassemblant catholiques, protestants et évangéliques.



[1] En Orient, la composition des huiles est plus élaborée, avec adjonction de myrrhe, cinnamome, roseau aromatique, cannelle…

[2] Toutefois, en son temps, le pape Jean Paul II a modifié le contenu de certaines stations au motif que celui-ci ne pouvait pas s'appuyer sur un épisode relaté par les évangiles mais sur des traditions plus tardives.

[3] Lc 22,52

[4] Selon la remarque de Heidegger dans Sein und Zeit : « Die in der christlichen Theologie ausgearbeitete Anthropologie hat immer schon – von Paulus an bis zu Calvins meditatio futurae vitae – bei der Interpretation des « Lebens » den Tod mitgesehen. » (SZ, § 49 p. 249) (ce qui peut être traduit : « L'anthropologie élaborée dans la théologie chrétienne a toujours vu la mort à travers l'interprétation de la "vie" - de Paul à la meditatio futurae vitae de Calvin »)

[5] « Je suis l'Alpha et l'Oméga, le premier et le dernier, le commencement et la fin » (Apocalypse 22, 13)



07 avril 2023

Samedi saint


Pour Benjamin,

"Il n'aurait fallu
 qu'un moment de plus
 pour que la mort vienne,
mais une main nue
 alors est venue
 qui a pris la mienne."

(Louis Aragon/Léo Ferré)

Portes ouvertes aux Enfers

    Curieux jour « sans » dans la Semaine sainte. Même mon Prions en Eglise [en 2015], d’une maigre page, assoit ses lecteurs sur le tombeau de Jésus et leur dit « attendez là en espérant que la pierre bouge d’ici à demain » (je simplifie). Jour creux que ce samedi saint, donc, du moins en apparence. Car si l’on en croit le Credo - que croire d'autre ? - le Fils de l’Homme, au lieu d'aller chez Carrouf' comme d'habitude, a dû profiter de son samedi pour descendre aux enfers (« ad inferna ») ou du moins dans les profondeurs de la terre : « descendit ad inferos », en latin. C’est du moins ce qu’affirme le « symbole des apôtres », plus ancien et plus simple que le Credo adopté à Nicée en 325 et révisé à Constantinople en 381 et qui lui, a carrément gommé cette visite chez Satan. On peut penser que le Christ ne s’est pas contenté de dire aux morts et aux damnés « il fait chaud, hein ? » mais qu’il les a pris par les cheveux pour les tirer de la fournaise et les remonter au ciel. « Il ne sauve rien celui qui ne sauve pas tout », chante Julien Clerc dans Noé.

    C’est aussi l’interprétation de Fra Angelico, dans la fresque du couvent San Marco à Florence : le Christ vient de fracasser la porte de l’Hadès, aplatissant au passage son gardien et sa kalachnikov, et il tend la main à Adam pour l’entraîner à sa suite avec tous ceux qui ont succédé au Premier Homme. Donc le Samedi saint est vraiment le jour du « salut pour tous », sans manif, ni procession, ni culte quelconque. Il ne se passe presque rien, du moins en apparence. Disons que ça travaille en-dessous. Pas de gros mots : souffrance, mort, résurrection, foi. Tout est calme. Il faut en profiter, c’est ouvert à tout le monde, open bar, sans discrimination aucune. C'est assez catholique, universel en clair.

    Pourquoi ne pas prendre le temps aujourd'hui [1] de mieux regarder celui qu'Emmanuel Falque a appelé Le passeur de Gethsémani [écrit en 1999] ? Je retrouve les notes de son cours que j'avais suivi au séminaire d'Orléans en 2015-2016 : 


 

Pour ce livre, Emmanuel Falque était parti de l’idée qu’il fallait être capable d’expliquer les choses quand tout va bien ET quand tout va mal. « À une époque, raconte-t-il, j’étais professeur de philosophie à Chinon et je lisais Heidegger dans l’autocar. J’étais rebuté par le discours sur l’au-delà. » Dans une note de Sein und Zeit*, Heidegger affirme que l’anthropologie déployée dans la théologie chrétienne, depuis Paul jusqu’à Calvin et sa méditation sur la vie future, a toujours co-aperçu (mitsehen) la mort dans l’interprétation de la vie, raison pour laquelle selon Heidegger le chrétien ne peut pas vivre l’angoisse de la mort. Or la mort est bien une fin absolue d’un point de vue humain : Heidegger a raison. Le chrétien ne la voit pas comme une fin mais comme un passage. Pourtant, comme le dit Pascal, le mort, « on lui met de la terre sur la tête et c’est fini à jamais. » 

La mort pour le Christ a été une fin véritable. Ce n’est pas un achèvement, sur l’air de « j’ai fini et je reviens dans trois jours ». Mais quand Jésus dit : « Père entre tes mains je remets mon esprit », il ne doute jamais qu’autrui est là. Le péché, c’est chasser autrui de ma mort. La mort du Christ, c’est la mort de tout homme. Le Christ traverse les étapes de l’angoisse de la mort. Mais il faut distinguer la peur de décéder de l’angoisse de la mort. Le décès désigne la fin de la vie, le moment même. La peur, elle, désigne l’acte par lequel nous reculons devant la mort ; on sait devant quoi on recule. Le Christ a eu peur de la mort : « éloigne de moi cette coupe ». Il revient vers ses disciples : « Simon tu dors ? ». À Gethsémani, le Christ passe de la peur à l’angoisse : « Simon tu dors, c’est fait ». Qu’est-ce qui est « fait » à cet instant-là ? 

Le Christ est passé de la peur du moment à l’angoisse de la mort. La différence, c’est que l’angoisse ne sait pas ce dont elle angoisse. L’angoisse de la mort, c’est se poser la question du sens de la vie devant cette fin. Je ne sais plus de quoi j’ai peur mais je me pose une question. Le Christ ne voit plus où est le sens. L’angoisse de la mort, il l’exprime dans un appel : « mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » Et il l’offre au Père, c’est le Père qui a ressuscité le Christ. Le Père est allé chercher le Fils. Ici se joue un pâtir et un passage. « A l’heure où Jésus passait de ce monde à son Père », cette heure où Jésus s’offre, il l’offre à son Père. Dieu transforme la finitude de l’homme. La mort n’est donc pas qu’un passage. Nous mourrons avec le Christ ressuscité. L’angoisse, il l’a vécue avec un autre, qui transforme l’angoisse en joie. Comme le dit Kierkegaard, « être chrétien ce n’est pas ne pas porter le fardeau, c’est porter légèrement le fardeau lourd ». C’est la force de Dieu qui a ressuscité le Christ. « Il est ressuscité » n’énonce pas un état, c’est un verbe au passif, le Christ n’est pas le surhomme de Nietzsche. Le Christ, c’est la kénose, la verticalité se fait horizontalité. Il s’agit pour nous d’habiter cette angoisse dans le Fils et de la laisser transformer par le Père.

Donc, il faut compléter le tableau de Fra Angelico. Le Christ n'a pas pu remonter seul des Enfers. Son Père est venu, qui lui a pris la main.

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[1] j'avais publié une première version de ce texte le 4 avril 2015 que j'amende et complète ici.

« Die in der christlichen Theologie ausgearbeitete Anthropologie hat immer schon – von Paulus an bis zu Calvins meditatio futurae vitae – bei der Interpretation des « Lebens » den Tod mitgesehen. » (SZ, § 49 p. 249)




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