28 octobre 2017

La Métamorphose



 Hier soir, invitée au 11ème festival organisé par le théâtre de l’Escabeau (à Briare, Loiret), la compagnie La Clique d’Arsène jouait une Métamorphose "librement adaptée" mais bien fascinante. Qu’arrive-t-il réellement à Gregor Samsa, cet employé modèle, soutien appliqué d’une famille enfermée sur elle-même, papa, maman et Grete, la petite sœur feu follet ? Pourquoi est-il plus fatigué ce soir-là que les autres ? Faisait-il vraiment beau comme il le dit à sa mère en lui faisant le compte rendu aussi laconique qu’invariable de sa journée ordinaire ? Ou n’avait-il pas plu, au vu de son imperméable mastic mouillé et de sa tête humide ?

C’est une danse silencieuse de Grete qui nous cueille au seuil de ce soir particulier, Grete femme-enfant fine et souple en robe blanche, jouant à faire évoluer des avions de papier entre table et chaises, dessus dessous, au son d’une musique circulaire qui nous pénètre lentement. Par moments, la musique s’arrête, Grete se fige, la mère aussi, qui est entrée à sa manière dans la même danse, celle de l’attente du retour de Gregor, leur seul lien avec le monde extérieur.

Et Gregor est là, que Grete salue en lui sautant au cou, solaire. Leurs jeux d’enfants préservés suffiront-ils à prévenir la cassure qui s’annonce ? D’étranges forces grondantes, intérieures ou extérieures on ne sait, se manifestent quand Gregor se déshabille pour aller se coucher. Les frissons de la métamorphose parcourent déjà chaque muscle, chaque tendon de son dos qui se tord sous la lampe.

Le lendemain matin, pour la première fois, Gregor ne se lève pas. Pour la première fois, il rate le train de 7 h. La mère, le père, la soeur s’émeuvent de ce dérèglement subit qui les menace tous. Et de fait, le bras nu d’un supérieur hiérarchique anonyme vient tancer à domicile le coupable et sa famille, qui cache comme elle peut la vérité. L’horreur suscitée par la transformation de Gregor devient un secret domestique ruminé dans un étrange mélange d’amour et de dégoût, de passion et de fascination.

Dès lors, la mère et la sœur s’emparent de la pièce, font parler tantôt le père, hors scène, tantôt le métamorphosé, nourrissant leurs voix et leurs gestes de l’innommable qui a envahi leurs vies mais qui est encore un fils, un frère : du vivant tassé dans un coin sombre de la scène où il remue à peine.

Lorsque les trois acteurs reviennent travestis en sous-locataires moustachus et survoltés, c’est une scène burlesque qui troue le cours du drame d’un interlude comique.

Est-ce l’ombre portée de la métamorphose de Grégor Samsa ? C’est en tout cas un vrai et fort théâtre des corps que la mise en scène de Frédérique Antelme impose, servi par trois superbes acteur et actrices : corps-passion de Grégor, corps aérien de Grete, corps massif de la mère. Romans Suarez Pazos et ses mouvements tectoniques, Mathilde Chabot (sur l'affiche), tantôt par la danse, tantôt par les mille nuances d’un visage étonnamment juvénil et expressif, Françoise Le Meur, en mère impuissante et déchirée, portent de bout en bout un texte pourtant minimaliste. Et l’on saisit une fois de plus combien le théâtre reste un moment de vie irremplaçable quand il est, au-delà des mots, cette sculpture totale et mouvante de corps, de sons et de lumières.


04 octobre 2017

Les Assises de la littérature jeunesse

Une première reconnaissance ?




Succès

Le grand amphi de la BnF était plein ce lundi 2 octobre 2017 pour ces premières Assises de la littérature jeunesse. Les 450 inscriptions correspondant à la jauge de la salle avaient été atteintes en deux jours ! L’entière gratuité de la manifestation, incluant café et viennoiseries d'accueil, y était sans doute pour quelque chose : merci donc au Syndicat national de l’édition et à la Sofia, merci à la BnF, qui nous recevait, en la personne de sa directrice Laurence Engel. Et merci à Thierry Magnier, l’éditeur à l’initiative de ce premier rendez-vous.

Fausses notes

Avant même de commencer, la dernière phrase du programme de la journée m’avait agacé : « comment toujours mieux travailler ensemble au service de nos futurs [c’est moi qui souligne] grands lecteurs ? ». Ce n’était pas plus simple d’écrire « au service de nos jeunes lecteurs » ? Ne sont-ils pas dès maintenant aussi importants ? Ne sont-ils que des adultes en puissance ? Il me revient une phrase que le regretté François Nourissier avait lancé naguère à Marie-Aude, gentiment, sûrement sans penser à mal, mais qui l’avait (un peu) gonflée : « Vous préparez mes futurs lecteurs ».

Françoise Nyssen, inscrite au programme, s’était fait représenter un quart d’heure par son directeur chargé du livre et de la lecture, au débit de mitraillette, qui aura eu quand même un mot pour « la situation économique et sociale des auteurs ». Pourquoi pas ? Sans doute la ministre se préparait-elle au défilé de la Fashion Week inscrit à son agenda en fin d’après-midi ? L’an dernier, Audrey Azoulay avait fait une visite remarquée au salon de Montreuil, où l’on n’avait pas vu de ministre de la Culture depuis lurette (Albanel ?). Mme Nyssen y sera-t-elle fin novembre ? Et ira-t-elle le 12 octobre prochain à l’Institut de France pour assister à la « cérémonie de mobilisation » (sic) autour du livre et de la lecture organisée par son collègue de l’Education (dont il n’a pas été question non plus) ?

Atelier d’écriture en langue de bois

Prenez les morceaux de phrases suivants et faites une phrase complète : « il faut se féliciter… », « créer les conditions d’un dialogue sérieux », « il est particulièrement important… », « renforcer le dialogue pour en consolider le dynamisme ». Nicolas Georges, Pierre Dutilleul, Vincent Montagne étaient venus couver la petite poule aux œufs d’or de la littérature jeunesse avec les éléments de langage des managers. Ils ont fait le job.

Le « moment 10 % »

… mais quand Samantha Bailly, l’actuelle présidente de la Charte des auteurs et illustrateurs jeunesse, a fait remarquer que la « prise de risque » était aussi du côté de l’auteur et pas seulement de l’éditeur, une autre petite musique, celle des auteurs, s’est fait entendre. François Place l’a jouée lui aussi, sans misérabilisme, en racontant qu’il avait dû un jour aller voir son banquier pour lui dire que « soit il vendait sa maison soit il avait une bourse du CNL ». Peu après, Jeanne Benameur, récusant elle aussi par avance toute chouignerie sur son sort, délibérément assumé quand elle a quitté l’enseignement à 48 ans – « mon temps est à vivre, il n’est pas vendre » - a bien noté que pour Place, il n’avait jamais été question de renoncer à son projet artistique sur vingt ans, qui menaçait pourtant de le ruiner… Vie d’artiste pas morte. Depuis la salle, Valentine Goby envoie alors un Scud sur la différence de pourcentage entre littérature jeunesse et littérature vieillesse, injustifiée et injustifiable. Thierry Magnier se défend timidement en ressortant l’éternel argument de l’album « qui coûte plus cher », mais ne répond pas sur le roman. De la salle encore, Carole Trebor, ex-présidente de la Charte, envoie alors un second Scud. C’est vraiment LE sujet du jour. J’ai cru entendre dans le courant de la journée que le SNE allait inviter la Charte à en discuter… A suivre. S’il se confirmait que l’école des loisirs s’apprête à rémunérer tous les grands formats à 10, 11 et 12 % (droits progressifs), quel.le que soit l’auteur.e, les autres maisons auraient-elles d’autre choix que celui de s’aligner sur la plus vertueuse d’entre elles ?

Surproduction ?

Pierre Dutilleul (SNE) a présenté les chiffres florissants du secteur Jeunesse de l’édition qui avaient été distribués à l’entrée aux participants. Avec 5,2 % de croissance et 16521 titres publiés, le marché de l’édition jeunesse se porte plutôt bien. Trop bien ? M. Dutilleul emploiera même le terme d’industrie, que plus tard Emmanuelle Beulque, co-fondatrice de Sarbacane, récusera : « je ne suis pas une industrie, je ne suis pas florissante ». Il n’empêche, la même affirmera qu’être éditeur, c’est (aussi) « créer de l’emploi ». Horizon légitime pour une maison qui se crée et veut s’affirmer. Mais à chaque étape, la question du partage entre les salaires payés aux gens de la maison, les « insiders » et les auteur.e.s, les « outsiders », doit être posée, comme l’est dans n’importe quelle entreprise celle du partage profits/salaires. Un exemple : en presse, la pige payée aux auteurs de J'aime Lire m'a toujours semblée minimaliste au regard du chiffre d'affaires mensuel du magazine et de la masse salariale des rédactions pour le moins étoffées de Bayard Presse.

Où sont les imprimeurs ? Et les distributeurs ?

Grands oubliés de la fameuse chaîne du livre croquée par Gilles Bachelet en temps réel, unissant le chat-éditeur et la souris-auteur.e, ils sont très loin, en Chine nous dit-on, où apparemment sont partis les savoir-faire les plus manuels comme les plus sophistiqués : découpe au laser, livres animés et animables (pop up). Pourquoi l’imprimerie française, qui avait un pôle d’excellence (trop ?) traditionnelle avec l’Imprimerie nationale, n’a-t-elle pas su évoluer, s’adapter ? On aurait aimé entendre les derniers imprimeurs français et le syndicat du Livre sur ces questions.

Il manquait sur la scène d’autres maillons. Une table ronde était consacrée à la Diffusion/Distribution. Mais aucun représentant des grands géants distributeurs n’étant présent, Interforum, Volumen, Hachette, on a surtout évoqué la diffusion. Etonné tout de même d’apprendre que les 85 magasins Cultura vendent à eux seuls un livre jeunesse sur 10. Il faudra peut-être aussi inviter un jour l'ogre Amazon, dont les éditeurs prennent tous les jours la température sans s'en vanter.

Émotions

… quand Jo Hoestlandt conclut son intervention avec l’histoire d’une petite fille du Nord, une Rom qui préfère la lettre C à la lettre O, la main légère sur l’épaule aux embrassades possessives.

… quand la voix de Thierry Magnier se brise sur un bref salut à Robert Delpire.

Mentions spéciales

... à Amanda Spiegel, la libraire-gérante de Folies d’Encre à Montreuil : en fin de table ronde, au stade des questions, elle a su répondre (sans langue de bois, elle) à la délicate question du choix des livres – sur les 16000 nouveautés annuelles ! - mis en avant par un libraire : « c’est le règne de l’arbitraire et de l’heure qu’il est », a-t-elle déclaré sans ambages, sous l’assaut journalier des offices, des représentants des éditeurs et du rouleau-compresseur des plans de promotion (donc un peu de l’argent…). Grosse fatigue de la libraire.

... et à Brigitte Réauté, de la Dgesco : l’Education nationale est l’un des grands médiateurs du livre face aux élèves, aux enseignants et… aux parents. Consciente que « lire ne se conjugue pas à l’impératif », la direction générale de l’enseignement scolaire, bras armé du ministre, fait en sorte depuis quelques années, avec des hauts et des bas, que la littérature jeunesse « accompagne l’enseignement » et trouve sa place aux côtés de la « littérature patrimoniale ». Sans être prescriptives, les « listes d’ouvrages jeunesse recommandés », apparues en 2008, puis retirées, vont être remises en avant, de sorte que les collégiens puissent s’ouvrir légitimement à différents genres et sortir du Colonel Chabert et des Misérables (excellentes lectures au demeurant).

Rendez-vous pris

Pour Thierry Magnier, il n’y a pas de doute. Devant le plein succès de ces premières assises, il y aura d’autres éditions. Les sujets non abordés ou simplement effleurés lors de cette première ne manquent pas pour en nourrir les programmes à venir.


 

L'omelette du parti Renaissance

 Avec ce tract pondu cette nuit à 2 h 39 dans les boîtes à lettres électroniques, les équipes du parti Renaissance ont atteint ce qu'on ...