11 mars 2018

Vers une police populaire du livre et des créateurs ?



 Pour Anne Guillard et ses Pipelettes


Apparemment l’incident est clos. Un docu-fiction sur la puberté destiné à la jeunesse, On a chopé la puberté, a été publié début février par l'éditeur Milan, parallèlement à un excellent hors-série du magazine Julie, plus "sérieux", sur le même thème. Un groupe Facebook, La rage de l'utérus, l’a dénoncé comme « sexiste » en affichant quelques pages dûment choisies. Une jeune femme indignée a lancé une pétition qui a recueilli en trois jours quelque 150 000 signatures grâce au relais étonnant d’une blogueuse-dessinatrice-féministe Emma, disposant, également sur Facebook, d’une "communauté" d'environ 280 000 "suiveurs et suiveuses". Devant cette mobilisation, sorte de "flash mob", l’éditeur Pascal Ruffenach (Bayard-Milan) a capitulé sans combattre et a « tranché », sans en informer l'illustratrice : l’exploitation du livre a été interrompue en toute illégalité. Le site de pétitions change.org peut afficher : VICTOIRE. Face à cette reddition sans conditions de son éditeur, l’autrice-illustratrice du livre, se sentant lâchée, en a tiré la conclusion qu’elle devait poser ses crayons et renoncer aux personnages qu’elle avait créés. Adieu les Pipelettes. Ou, pour ne pas perdre espoir, au revoir...

En dehors de quelques voix solitaires, personne ne semble s’être ému de ce qui constitue pourtant un véritable séisme culturel, annonciateur de répliques à venir si aucune réaction d'ensemble, officielle, du monde de l’édition, éditeurs, sociétés d’auteurs, libraires, bibliothécaires mais aussi de tout·e citoyen·ne intéressé·e par la culture et l’éducation - et pourquoi pas des acteurs politiques - n’émerge dans les jours à venir (mais par pitié, pas de pétitions).

Les journalistes français, toujours aussi ignorants voire dédaigneux, à quelques exceptions près, de ce qu’est la littérature pour la jeunesse (LJ) aujourd’hui, se contentent de quelques clichés. Ainsi, dans un article du Monde du 8 mars, l’un d’eux peut laisser titrer sans vergogne : « La littérature jeunesse diffuse souvent les clichés filles-garçons ». Pour cela, il appuie exclusivement son propos sur une éditrice qui a fait de la lutte contre « les clichés sexistes » son fonds de commerce. Dont acte. Mais comment peut-il lui laisser énoncer cette conclusion aberrante sur la LJ française : « Ce qui est dommageable, c’est le manque de variété » (sic).

Les « gens-de-lettres » n’ont pas pipé mot. Sans doute attendent-ils que leur ministre de tutelle donne le la. Et, après tout, ils n’ont besoin des écrivains jeunesse que pour équilibrer les comptes de leurs éditeurs. Ne faisons pas de vagues qui contrarieraient la légitime émotion populaire.

Les éditeurs baissent la tête. Ils ont dû sentir le vent du boulet. Mais c'est tombé chez le confrère.

Restent les auteurs, autrices, illustrateurs, illustratrices pour la jeunesse. Beaucoup sont interloqué·e·s, certain·e·s atterré·e·s, voire tétanisé·e·s. Même s’ils ont généralement confiance dans leurs éditeurs, comment ne pourraient-ils pas redouter d’être lâchés à leur tour par l’un d’eux dans les mêmes circonstances, parce qu’ils auront négligé une minorité invisible, oublié de réviser leur Butler et dessiné une jupe trop courte – on s’inquiète pour l’avenir des Martine – ou insulté involontairement quelque religion ? Hop, une pétition et au trou. La Charte des auteurs et illustrateurs pour la jeunesse, seule, a apporté son soutien à Anne Guillard.

Il faut souvent regarder vers l’Ouest pour deviner ce qui nous attend. Les romanciers américains écrivent désormais sous le contrôle de « sensitivity readers » engagés par les éditeurs, parfois par les auteurs eux-mêmes, qui rectifient préventivement dans les textes tout ce qui dépasse et pourrait fâcher tel ou tel groupe de lecteurs. En décembre 2017, le New-York Times a publié sur ce phénomène un article d'Alexandra Alter très inquiétant pour tout créateur qui se respecte.

Le salon du livre de Paris ouvre ses portes vendredi prochain. Peut-on espérer de notre ministre de la Culture, encore récemment éditrice, une parole forte sur ce qui est devenu "l’affaire Milan" ?

Complément dans le quotidien La Croix des 17-18 mars : Regards de Geneviève Jurgensen.



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