18 octobre 2023

Sacerdoce



« Qu’êtes-vous allés voir au cinéma ? »

Deux salles combles hier soir au Grand Club, le cinéma flambant neuf de Gien (45) et un gérant aux anges, c’est le cas de le dire, pour l’avant-première du film Sacerdoce qui sort aujourd’hui 18 octobre 2023 en France dans quelque 150 salles. 



Ce documentaire retrace quelques moments de la vie de quatre prêtres quadragénaires, trois en France et un aux Philippines. Le tout sous l’œil d’un cinquième, François Potez, sorte de sage plus âgé, rompu à la vidéo, qui est la voix off de ses jeunes confrères, commentant, soulignant, ce qui est montré.

À la fin de la projection, nous avions la chance d’avoir un des quatre mousquetaires, Paul Bénézit, le « champion cycliste », régional de l’étape en quelque sorte, pour répondre aux questions de la salle. Comme il s’était déjà fait interpeller par une paroissienne âgée sur l’air de « tiens, voilà la vedette ! » il a tenu à nous préciser : « je ne suis ni acteur, ni star, ni – pour les moins jeunes – vedette. Je ne joue pas ! ».

Ce qui nous renvoyait nous, constitués volontairement spectateurs d’un film où évoluait « le Père Paul » que nous côtoyons en chair et en os dans la vie réelle, à la question que Jésus adresse à la foule après avoir répondu aux disciples de Jean le Baptiste venus de sa part lui demander : « Es-tu celui qui vient ou en attendons-nous un second ? » (Matthieu 11, 3). 

Cette question est celle qui s’adresse à tout spectateur du monde. « Qu’êtes-vous allés contempler au désert ? » demande Jésus aux foules qui ont afflué au Jourdain pour se faire baptiser par Jean. Et nous, qu’étions nous venus contempler hier soir au cinéma ? Des hommes d’exception sûrement, cette exception du prêtre, « visible tant il est à part » commente François Potez, exception au sein de ce que Vatican II a défini comme le « sacerdoce commun des fidèles », de tous les chrétiens baptisés, hommes, femmes et enfants.

Et nous avions bien envie de redire à propos de ces quatre prêtres ce que dit Jésus à propos de Jean le Baptiste : « il ne s’est pas levé parmi les enfants des femmes de plus grand que Jean le Baptiste » (Matthieu 11, 11) cette fameuse question « du plus grand » qui revient à plusieurs reprises dans les évangiles et que Jésus récuse à chaque fois mais qu’il reprend ici à son compte. Qui est la question commune de la « star » ou de la « vedette » qui se pose à quiconque se retrouve projeté sur un écran. 

Car ils sont admirables, beaux mêmes, tous les quatre, chacun à sa manière, ces jeunes prêtres filmés en action : Gaspard Craplet, le montagnard, emmenant une dizaine de garçons à sa suite vers « trois sommets, physique, fraternel et spirituel » ; Antoine Reneaut, sillonnant l'Ariège, quinze semaines par an, pour rouvrir toutes les petites églises, allant à la rencontre, porte à porte, de tous les cœurs, assoupis ou non, croyants ou non ; Matthieu Dauchez, le « Versaillais », arpentant dans sa soutane blanche immaculée les bidonvilles de Manille à la recherche des enfants jetés à la rue par la misère, les coups, l’inceste ; Paul Bénézit, le seul prêtre « normal », en paroisse, entre villes et villages, normal mais… champion de France cycliste du clergé en 2022 et chasseur, adepte du tir à l’arc !

Oui admirables, dirait Jésus, mais il ajouterait sans doute comme dans le passage cité, à propos de chacun des quatre: « mais le plus petit dans le Royaume des cieux est plus grand que lui ». C’est ce que Paul Bénézit nous a redit à plusieurs reprises : « je ne suis pas dans ce film pour me montrer mais pour montrer le Christ qui est ma vie ».

Sacerdoce a été voulu en 2019 par un laïc, Émile Duport, chef d’une entreprise de communication, qui souhaitait restaurer l’image du prêtre entachée aux yeux du public par les crimes de quelques-uns. C’était l’époque de l’affaire Preynat à Lyon, qui allait aussi emporter le cardinal Barbarin dans sa tourmente, et du film Grâce à Dieu, de François Ozon, qui enfonçait le clou dans la soutane. Clous qui allaient se multiplier dramatiquement à la publication le 5 octobre 2021 du rapport de la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église, présidée par Jean-Marc Sauvé. « Écharde dans la chair », selon le mot de saint Paul, mais cette fois dans la chair de l’Église elle-même.

L’urgence de cette restauration était partagée. Le documentaire a été pré-financé très vite par quelque 900 donateurs à hauteur de 120 000 €, premier tour de piste qui a permis que d’autres financements soient trouvés et que le réalisateur, Damien Boyer, un chrétien évangélique, mène cette aventure au bout, comme il s’en est expliqué dans une interview donnée au magazine Famille chrétienne.

Ce documentaire ne pouvait esquiver « la crise des abus ». « Ce n'est pas parce qu'il y a des traitres dans une armée qu'elle doit déposer les armes ! », lance crânement Matthieu le Versaillais, du fond de son bidonville. Il y a ainsi une longue séquence, un face à face entre une femme abusée par un prêtre dans son enfance et le « Père Paul ». Cette femme explique très bien son drame intime : avoir perdu la confiance, indispensable pour refaire le pas de la foi, dont elle est indissociable. Mais aussi son espérance, en face d’un prêtre, de voir cette confiance un jour restaurée, malgré la blessure et la cicatrice, définitives. 

L’autre question, qui n’est pas au centre du film mais n'est évidemment pas oubliée non plus, c’est celle du célibat consacré, auquel les prêtres catholiques sont toujours tenus. Si les quatre prêtres l’évoquent, ne niant ni les tentations, ni la « blessure affective » pour l'un, ou les « frustrations » pour un autre, qu’un tel engagement peut engendrer, tous le vivent, hic et nunc, comme la condition pour être « tout à tous », sans préférence ni exclusive et comme une vraie liberté de leur vie donnée au monde et à Dieu. CQFD.

Ce documentaire est remarquablement bien monté, rythmé, sans longueurs. Le fait qu'il n'y ait pas à proprement parler d'acteurs, s'agissant d'un documentaire, n'exclut pas qu'il y ait parfois des séquences soigneusement mises en scène comme celle d'où est tirée l'affiche : la caméra tourne autour de Paul Bénézit, en soutane, seul au milieu d'un champ moissonné, au soleil couchant. 

Les cinq portraits se répondent et les images sont très belles, alternance de visages en gros plan et de vues aériennes qui donne sa respiration au film, spirituelle et cinématographique.  

On ne peut que lui souhaiter un beau succès en salles et à l'international.

Sacerdoce - un film documentaire de Damien Boyer - sortie le 18 octobre 2023 - durée : 1 h 30.


07 octobre 2023

L'enfant dans le taxi



 "Je voudrais vivre dans un monde où les choses puissent se dire en face, la vérité s'affronter. Où chacun de nous soit assez libre et fort pour accueillir la liberté des êtres qui l'entourent."

Simon, le narrateur de L’enfant dans le taxi, écrit ces mots, cette profession de foi, alors qu’il arrive presque au terme de sa quête, qui a dû se faire enquête. Il va enfin rencontrer en Allemagne, au bord du Bodensee, le lac de Constance, M. le bâtard, l’enfant caché de son grand-père, le secret qui a hanté de son silencieux fracas tous les dîners, toutes les retrouvailles familiales depuis la fin de la guerre. Secret qu’Imma, la grand-mère de Simon n’a pas voulu lever, alors même que son mari, Malusci, venait de l’emporter dans la tombe. Qu’elle a même interdit à Simon de chercher à percer.

Pour Simon, tout commence au retour du cimetière, dans ce moment de nevermore où remontent toutes les discussions qu’on n’a pas eues, toutes les questions qu’on n’a pas posées, qu’on pense définitivement enfouies sous quelques centimètres de terre. Définitivement in-humées. In humo. À moins. À moins que le regret ne soit plus fort, à moins qu’un membre de la famille qui en sait davantage ne se sente délivré par la mort du mort. Et ne commence à parler du fils caché de Malusci, conçu avec une jeune Allemande au bord du Bodensee, il y a si longtemps.

Le livre de Sylvain Prudhomme multiplie les échos, les éclats qui jaillissent du murmure étouffé de la vie, comme autant d’éruptions solaires lointaines et actuelles, qui jetteraient leurs lumières inédites et apparemment sans lendemain sur la longue histoire de la famille de Simon. Simon avance lentement sur cette terre de silences, mû par une inflexible volonté de savoir dont il ignore le ressort. Sinon qu’un fantôme prend chair peu à peu et l’appelle. 

Simon doit faire face en parallèle au triste délitement de son couple. A. et lui s’aiment encore, pourtant. Ils forment encore une famille avec leurs garçons, Tom et Victor. Mais ils vont se dépacser, se partager la « garde des enfants », dans un incompréhensible je t’aime donc je te quitte, dont rien ne dit la raison, mais qui forme le fond mélancolique du roman et distille notre empathie attristée pour celui qui raconte. 

Pour Simon, tout se passe comme s’il voulait chasser par avance les fantômes de la solitude qui vient, pour pouvoir enfin regarder la vérité en face. Car le monde qui fait face à la vérité n'existe pas. Seuls existent des êtres assez forts et libres pour faire advenir ce monde autour d'eux. 

C’est pour la saisir au plus près, cette vérité, que Sylvain Prudhomme réinvente cette écriture arachnéenne à la fois légère et solide qui est sa marque, tissant peu à peu la toile serrée de son livre, à laquelle elle n’échappera pas.

L'enfant dans le taxi - Sylvain Prudhomme - Les éditions de Minuit - 2023 (217 pages, 20 €)


06 octobre 2023

Loire

 


À la suite de Louis, trois hommes et une femme au moins ont reçu un message d’Agathe, qui les invite à venir la retrouver dans sa maison au bord de la Loire, là où ils ont vécu chacun à tour de rôle avec elle, des années auparavant. La maison est toujours là, mais Agathe l’a vendue à un couple, en lui faisant promettre de convoquer un jour tous ses ex. Certains ont décliné l’invitation, d’autres n’ont pas répondu. Louis, Jalil, Suzanne, Nicolas arrivent mais vont devoir inventer le sens de leur réunion. Car Agathe ne viendra pas.

Faut-il parler du passé, évoquer Agathe, ou simplement la convoquer dans le présent du fleuve qui passe, éternel, modelant de son courant et de ses remous son lit et ses rives, ses bancs de sable, la faune et la flore qu’il abrite et nourrit alentour ? 

Débarque aussi Laure, la fille d’Agathe. Cela pourrait tourner à Mamma Mia, chaque ex pourrait se demander s’il est le père de cette femme qui refuse de donner son âge, sa date de naissance, déjouant par avance tous les calculs. Sa mère ne lui a jamais dit qui était son père. Ça n’a plus d’importance. D’autant que Laure a eu à son tour une fille, Zélie, une collégienne qui les rejoindra. 

Les jours passent et le souvenir d’Agathe se confond peu à peu avec un arbre, une ruine, un orage. Quand un nouveau message arrive d’un certain José, gravement malade, Louis part à son chevet. Mais va-t-il pouvoir accomplir le vœu de José ?

Davodeau noue le cours de ces vies au cours de la Loire. Ces hommes et cette femme qui ont connu Agathe, qu’ont-ils en commun, qu’ont-ils à partager sur la base de cette pure contingence, celle d’avoir aimé une même personne au même endroit et d'avoir été remplacés ? La vie et la mort, d'antagonistes qu'elles semblaient être, se confondent peu à peu entre ciel et terre, d’où surgit une nature puissante, d’un fleuve qui impose progressivement à un Louis ébloui ses visions et jusqu’à sa pensée.

Une BD admirable que tous les Ligérien·nes voudront lire et contempler sans fin pour (re)découvrir leur fleuve. Pourtant, après l'odyssée initiale de Louis, en nudiste nocturne et involontaire, qui s'est laissé piéger par la Loire, Davodeau éteint un à un tous les récits qui pourraient s'amorcer autour du désir d'Agathe. Et l'album laisse un goût d'inaccompli, comme si le fleuve avait effacé tous les autres protagonistes.

Loire - Étienne Davodeau - paru le 4 octobre 2023 - Futuropolis (101 pages, 20 €)


L'omelette du parti Renaissance

 Avec ce tract pondu cette nuit à 2 h 39 dans les boîtes à lettres électroniques, les équipes du parti Renaissance ont atteint ce qu'on ...