Affichage des articles dont le libellé est ciase. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est ciase. Afficher tous les articles

20 novembre 2022

"La faute de l'abbé Ricard"


Assemblée plénière des évêques de France à Lourdes (8 novembre 2022)


"Méfiez-vous de votre dévotion à la Vierge" [Frère Archangias à l'abbé Mouret]

in La faute de l'abbé Mouret, Émile Zola



L'exemple vient d'en haut

Après l'aveu (tardif) du cardinal Ricard, et ceux à venir puisque l'épiscopat a semble-t-il choisi le genre du feuilleton pour ses révélations (il y a déjà eu Mgr Santier puis Mgr Grallet), ce n'est pas l'Eglise catholique qui est en crise mais la voix de sa hiérarchie, son autorité, du fait de la disqualification de certains de ses membres, de plus en plus haut placés. Ce qu'a dû reconnaître Mgr Éric de Moulins-Beaufort dans le discours de clôture de l'assemblée des évêques à Lourdes, le 8 novembre dernier, qu'on écoutera avec profit (33 mn 45). 

« La faute de l'abbé Ricard », pour ancienne qu'elle soit et en dépit de la prescription qui découle de cette ancienneté, a rejailli sur le cardinal qu'il est devenu, sur la légitimité de son parcours et même sur le corps auquel il appartient du fait de sa carrière – pour le pékin de base, le plus haut « grade » juste en-dessous de pape - jusqu'à ruisseler sur l'ensemble de l'institution ecclésiale. Certes, en conscience, aucun  catholique ne devrait pouvoir lui jeter « la première pierre » - qui en tout état de cause ne vaudra jamais réparation pour la présumée victime - mais ceux qui ne tirent pas pour eux-mêmes la leçon de l'évangile dit de la femme adultère [1], par ignorance, pharisaïsme ou simple anticléricalisme, n'y manqueront pas. Ce qui est indéniable, c’est que l’Église catholique est entrée dans une nouvelle phase dans laquelle, qu’elle l’ait voulu ou non, elle se « donne en spectacle », comme on dit, elle « scandalise » par le haut, rebond prévisible des révélations faites par le rapport de la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l'Église (Ciase) publié le 5 octobre 2021.

Appeler un chat un chat

A la lecture des aveux des « coupables », on est soi-même embarrassé par des tournures qui ressemblent plus à des éléments de langage fournis par un communicant qu'à des propos sincères. Même si la pudeur et le souci de protéger celle de la victime anonyme, seule à pouvoir se reconnaître, peut expliquer des expressions aussi vagues et stéréotypées que « gestes inappropriés » ou « comportements déplacés », on aimerait des précisions qui situerait la faute en question, puisque faute est avouée, entre un faux-pas ponctuel et sans lendemain et un acte relevant du Code pénal, qui connaît lui-même des gradations. Tant qu’à nous faire voyeurs, autant qu’on sache ce qu’il y a à voir ; tout ne peut pas être mis sur le même plan ! Car enfin, un geste peut être « déplacé » au regard du statut conféré à un prêtre du fait de son ordination, sans qu'il constitue pour autant une « agression » notamment vis-à-vis d’une personne majeure, dans une situation de séduction pas toujours prévisible. Mais ce « déplacé »  peut aussi renvoyer à la « surprise », qui est un des éléments retenus par le Code pénal pour qualifier un viol (« violence, menace, contrainte ou surprise »). Et certains gestes venant d'un prêtre peuvent a priori surprendre une femme (ou un homme) qui ne s'y attend pas de la part d'un homme « consacré », célibataire réputé tenu à une continence parfaite et perpétuelle (sans toutefois qu’il ait fait vœu de chasteté comme un religieux).

 C'est l'intention qui compte

Ce qui doit être pris en considération surtout, c'est l'intention. Le Christ ne condamne pas le désir en lui-même. Il peut m’arriver de désirer une femme ou un homme - car le désir n'est jamais hors jeu dans une relation - sans commettre l'adultère (si je suis marié, ou elle ou lui, ou tenu par d'autres vœux). Mais, dit précisément l'évangile à l'attention des hommes, je ne dois pas regarder une femme pour la désirer [2], dans l'intention d’attiser mon désir sur elle. C'est l'intention qui règle tout, faisant de l'autre un sujet ou un objet (sachant que tout un chacun peut aussi désirer être un objet pour l'autre à un moment d'une relation, mais c'est une autre histoire !). L’évangile le dit clairement, en des termes quasi-phénoménologiques : « la lampe du corps, c’est l’œil » [3]. L’œil qui regarde pour désirer, c'est l’œil pornographe [4]. Après, si je suis un homme et si je bande, il m'appartient de savoir ce que je fais de cet état, de ce signal que m’envoie mon corps, en me rappelant l'avertissement de Brassens : « la bandaison papa, ça ne se commande pas » et celui de Sade : « il n'est nul homme qui bande qui ne veuille être un despote. ». Même commentaire si je suis une femme qui sait aussi bien quelles sont les manifestations corporelles de son désir, le corps mentant rarement, et sur le « despotisme féminin » capable d’emprunter d'autres voies que le masculin.

Un système « clérical-impérial », misogyne et anti-homosexuel

Donc, on ne lapide personne mais ce qui est probable, en revanche, c'est qu'un nombre croissant de catholiques se sente maintenant fondé, comme a commencé à le faire la Ciase, à amplifier sa critique d’un système « clérical-impérial » (tel que le définit Danièle Hervieu-Léger), de surcroît misogyne et condamnant l'homosexualité (ce qui est paradoxal quand on sait désormais que le corps des clercs catholiques abrite en son sein une proportion d’homosexuels, conscients ou non de l’être, supérieure à la moyenne dans la population générale [5] ).

La sacralisation du prêtre

Rappelons les grands traits de ce système. Il place dans le monde, nommés sur un territoire donné, la paroisse [6] , des hommes plus ou moins jeunes en exigeant d’eux tous, uniformément, sans considération de leur ethos individuel, d'y vivre quasiment comme des moines (sans pour autant faire les mêmes vœux), donc comme n'étant pas du monde, ainsi qu’en a décidé au XIème siècle le grand pape Grégoire VII [7] parce qu’il était moine lui-même et voulait réformer et assainir l'Église (avant que Luther ne débarque quatre siècles plus tard…). L’instauration de la règle du célibat s'est accompagnée d'une sacralisation du prêtre censée préserver contre toute tentation les engagements déduits de son ordination. Cette sacralisation, combinaison indissoluble de la « mise à part » et de la « continence », a produit un effet de levier formidable pour donner aux clercs un pouvoir quasi-absolu sur l’ensemble des baptisé•es relevant de leur juridiction territoriale, et en particulier sur les femmes, exclues du service des sacrements (mais non des tâches multiples dans les églises, à l’instar des religieuses). 

L'emprise de la confession

Parmi ces sacrements, celui de pénitence a sans doute créé le plus d'occasions d’emprise du clerc-confesseur sur ses pénitent•es, compte tenu de l'importance singulière prise dans la confession auriculaire par l’aveu personnel – et dans certains cas, par la recherche obsédée, inquisitoriale de cet aveu - des péchés commis contre le sixième commandement, étendu, alors qu'il ne concerne en théorie que l'adultère, à l'ensemble des comportements sexuels. Les « stripconfessions » de l’abbé Santier ou les pelotages pseudo-psychanalytiques de l’abbé Anatrella relèvent bien de cette obsession du « peccati carne » que fouaillaient encore naguère les prêtres italiens de Rome [8]. 

L'Église « experte en humanité »

Dans ces conditions, si des leaders de l'Église catholique peuvent être soupçonnés de duplicité, de vies  parallèles, qu'ils auraient pris soin de cloisonner et qui  s'affranchiraient des principes affichés par eux, la hiérarchie catholique peut-elle continuer à se poser dans son ensemble, au-dessus du « peuple de Dieu », sans ironie ou cynisme, en « experte en humanité » dans la lignée du discours de Paul VI à l’Onu en octobre 1965 ?

De la loi naturelle trangressée à la rupture anthropologique

Esquivant désormais le registre doctrinal-moralisant traditionnel, issu d’une lecture largement extensive des dix commandements, principalement du « tu ne tueras pas » et, on l’a dit, du « tu ne commettras pas d'adultère », l'Eglise catholique « qui est en France » a cru pouvoir dans la période récente, après les batailles perdues contre la pilule (1967) et l'interruption volontaire de grossesse (dépénalisée en 1975), critiquer diverses innovations sociétales - mariage pour tous, droit à mourir dans la dignité, droit à l'enfant par tous moyens existants, revendications existentielles de minorités très agissantes LGBTQ+, etc. – les présentant  comme des « ruptures anthropologiques ». Il s'agit là d'une terminologie modernisée  qui se veut  elle-même en rupture, plus ou  moins cosmétique, avec l'ancien discours doctrinal plus rigide fondé sur la « loi naturelle »  (invoquée par l’encyclique Humanae vitae en 1968 pour condamner la pilule contraceptive) et le « péché » (qui consiste à  transgresser cette loi).  C’est tenter d'affirmer une essence de l'homme déconnectée de conceptions religieuses, pour la partager avec tous et y reprendre pied en tant qu'autorité morale, alors qu'il est vraisemblable que l'Eglise catholique ne puisse plus désormais prétendre s'adresser qu'à ses fidèles, comme le pense Mme Hervieu-Léger.

Le catholicisme, « une contre-culture » ?

S’il est une idéologie qui pourrait signifier aujourd'hui cette « rupture anthropologique », c'est bien le transhumanisme. Celui-ci vise en effet un au-delà de l'humain, à travers diverses possibilités « d'augmentations » psycho-physiologiques, repoussant, avec la figure de « l’homme augmenté » aussi bien la finitude posée par l'être-pour-la-mort heideggerien que la vie éternelle offerte à tous via la résurrection chrétienne. En affirmant que le transhumanisme ne serait rien d'autre qu'un avatar du capitalisme qui poursuit son œuvre amorale destructrice de l'humanité et de la planète via la science et la technique [9], des courants catholiques ont endossé des positions objectivement anti-capitalistes, entendant même se poser comme les hérauts (héros ?) d'une « contre-culture » au sens où Jean Paul II avait caractérisé la culture dominante du monde contemporain comme « culture de mort ». Le désormais saint pape reprenait alors une condamnation du monde (kosmoV) certes présente dans la tradition johannique, mais sans les nuances que l'évangéliste  prête à Jésus, pour qui le « monde » reste une réalité ambivalente, tantôt positive-sauvée (« je ne Te demande pas de les retirer du monde ») tantôt infernale et irréparable, car conduite par le « Prince de ce monde » ( « prenez courage, j'ai vaincu le monde » i.e. le Mal en langue laïque).

Plus jamais

Ces courants catholiques  sont liés autant à la mouvance traditionaliste qu'à la charismatique voire à  la féministe – des alliances objectives apparaissent entre eux – et revendiquent un esprit de « résistance » typique des positionnements minoritaires, qu'ils soient émergents ou déclinants. Les catholiques « conciliaires » (en gros, les « boomers ») regardent avec perplexité ces courants s'emparer d’une partie de l'épiscopat, qui, de son côté, se réjouit de cette attitude de « résistant » qui contribue à  l'affirmation d'une identité catholique renouvelée dans le contexte de ce que Mme Hervieu-Léger nomme « l'exculturation » du catholicisme, i.e. son expulsion hors de la culture commune et dominante. Cette culture, ces nouveaux catholiques peuvent, comme les « anciens », revendiquer d’y participer en y mêlant  leur voix, au besoin dissonante mais réduite à présent à n'être qu'une parmi d'autres, sans plus jamais pouvoir prétendre à détenir la vérité. 

Les dégâts de la Manif pour tous

À noter que si le populisme consiste à suivre le peuple (et non à le précéder, Mussolini l’avait bien compris ainsi), les évêques dans leur ensemble ont eu un comportement qu'on peut qualifier de populiste au moment de la Manif pour tous, en bénissant les autocars qui partaient vers Paris pour une croisade d'un autre genre. Pour beaucoup de jeunes catholiques progressistes, l'hostilité manifestée alors contre l'homosexualité et par là contre les  homosexuel•les a constitué aussi un moment de rupture avec l'institution catholique, attirant leur attention sur des paragraphes terriblement obsolètes du Catéchisme de l’Église catholique (entre autres, § 2357 à 2359) promulgué en 1992 par Jean Paul II. 


***

Vers l'implosion, avec ou sans point d'interrogation ?

Quelle première leçon tirer de cette crise des abus sexuels au sein de l’Église catholique ? Tout ce qui y concerne la sexualité devrait y être mis à  jour d'urgence voire purement et simplement expurgé du catéchisme.  Ces leçons de morale composent une doctrine d'une autre époque qui n’a plus rien à faire mélangée aux dogmes intangibles de la foi, dont elles corrompent la lecture contemporaine. La crise en cours crée les conditions d’une réforme qui viendra nécessairement. Interrogée par Emmanuel Laurentin, Danièle Hervieu-Léger révélait l’autre jour sur France Culture que le titre initial de son livre coécrit avec Jean-Louis Schlegel, Vers l’implosion ? [10] ne comportait pas de point d’interrogation, lequel avait été ajouté par l’éditeur…


PS : Ces considérations font écho à celles que m'avait déjà inspiré en octobre dernier une communication épiscopale à destination des fidèles. Cf. L'Église dont le prince est un enfant.

______________________

Notes :

[1] Jean 8, 1-11

[2] Matthieu 5, 28 (Sur l'œil, je renvoie ici à mon billet du 11 février 2018.)

[3] Matthieu 6, 22

[4] Œil pornographe malheureusement surentraîné aujourd’hui, dès le plus jeune âge.

[5] Séminariste moi-même à Saint-Sulpice dans les années 68-70, et quoique étant alors un adolescent provincial et peu déniaisé, j’avais compris a posteriori, affranchi par l’un ou l’autre, que nombre de mes condisciples parisiens étaient homosexuels – pratiquants. Ils se reconnaissaient entre eux d'une question : "Est-il de la paroisse ?".

[6] Paroisse qui peut comprendre aujourd’hui en milieu rural 10,  30,  40 clochers...

[7] pape de 1073 à 1085.

[8] Je dois l’anecdote à Lucien Monteix, curé de Saint-Denys-du-Saint-Sacrement à Paris 3ème, qui se souvenait au début des années 70, de terribles confesseurs romains répétant « peccati carrrne, peccati carrrne ? » à leurs pénitents pour les pousser à ce qui semblait être l’aveu suprême.

[9] Science et technique elles-mêmes critiquées de longue date par les philosophes de l’école de Francfort (Habermas et alii)

[10] Vers l’implosion ? Entretiens sur le présent et l’avenir du catholicisme – Danièle Hervieu-Léger, Jean-Louis Schlegel – mai 2022 – Seuil (387 pages, 23,50 €)



03 octobre 2021

L'Église dont le prince est un enfant

Sur la communication préventive de l’épiscopat


L’Église est en pleurs. L’Épouse du Christ a été trahie par de mauvais serviteurs. Son mascara fout le camp. Pire, ça se voit. Son message d’amour, son grand fleuve d’Amour, s’est laissé polluer par des affluents de stupre, petits (2 à 3 %, c’est peu et beaucoup à la fois) mais hautement toxiques. Aimez-vous les uns les autres, certes, mais surtout pas comme certains ont prétendu vous aimer. La puissance d’aimer a pu se travestir en amour du pouvoir, exercice d’une domination contrôlée sur les âmes et sur les corps, dominations spirituelle et sexuelle, l’une habillant l’autre, si l’on peut dire, pour que l’autre puisse à son heure déshabiller l’une. Moment de méditer Sade : « Il n’est point d’homme qui bande qui ne veuille être un despote ». Au fond, nihil sub sole novum, rien de nouveau sous le soleil.


Dans une Église faite sur mesure par des hommes pour des hommes, où la domination masculine demeure manifeste, aussi paternaliste (« Mon Père ») et pateline (« Mon fils, ma fille ») se fasse-t-elle, les crimes et dérives inventoriés par le rapport de la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l'Église (CIASE), relèvent autant d’un système que des hommes et des femmes qui s’y sont engagés. Si leur origine en partie systémique n’exonère pas les personnes de leur responsabilité individuelle, il appartient désormais à l’institution Église de regarder en face ce système qu’elle maintient aujourd’hui, les caractéristiques de son organisation et de sa discipline internes, le style de relations humaines que celles-ci font prévaloir, qui ont pu favoriser les crimes commis en son sein. Plus généralement, c’est sans doute le coût que la fidélité du catholicisme à sa « Tradition » fait supporter à l’Évangile, ici et maintenant, qui est en jeu et menace sa survie.


Car dire « le passé est le passé, regardons l’avenir » ne va pas suffire. Garder les mêmes structures et les mêmes conceptions garantit que les mêmes causes produiront les mêmes effets. Or c’est justement le poids spécifique de ce qui est englobé sous le terme Tradition dans l’Église catholique qui risque d’être la force d’inertie principale, si celle-ci fait sienne l’opportunisme de Tancredi dans Le guépard, le roman de Lampedusa : « il faut que tout change pour que rien ne change ». De ce point de vue, la communication développée ad intra ce dimanche par l’épiscopat avec la distribution à la sortie des messes d’un dépliant qui présente 11 mesures mises en place par l’épiscopat [1] avant même que les conclusions de la Ciase soient rendues publiques mardi, ad extra, laisse craindre qu’on demeure dans le cosmétique par peur de s’attaquer au systémique.



Le titre du dépliant pose déjà question : « Faire de l’Église une maison sûre ». L’Église n’est pas une « maison », elle est une « ekklesia », une assemblée ouverte au monde, à tous les vents. Nulle clôture ne l’entoure. Ce n’est pas une maison close sur elle-même, même si c’est peut-être de l’avoir trop été, close, qui a favorisé les crimes dénoncés aujourd’hui. Dans une institution largement vouée à la transmission et à l’éducation – elle n’est pas la seule dans notre pays - les « risques du métier » [2] devront toujours être courus et assumés par toute la communauté et au-delà, responsables, clercs et laïcs, hommes, femmes et enfants. L’Église est au monde, la vraie vie n’en est pas absente.


Le sur-titre du dépliant « Lutte contre la pédophilie » est aussi problématique. L’emploi du terme de « pédocriminalité » eût été plus judicieux que celui de « pédophilie », qui signifie littéralement « amour des enfants » et renvoie justement à cette zone grise de l’amour où la mauvaise foi des prédateurs abrite leur conscience. Pourquoi n’avoir pas repris l’intitulé bien plus large de la Ciase : « abus sexuels » ? Certes la cause des enfants est prioritaire, mais c’est bien la sexualité d’une façon plus large qui est en jeu, celle qui irrigue tous les êtres humains, la même qui inonde aujourd’hui l’Église catholique. La sexualité, comme l'eau, se glisse partout. L’Église catholique a toujours eu peur du mot « sexe ». 


Au chapitre de ce qu’on nomme le systémique, le regard que pose l’institution catholique sur la sexualité est sans doute le point aveugle de sa réflexion et sera à n’en pas douter la pierre d’achoppement de son action. Et ce d’autant plus que c’est un sujet dont elle ne cesse de s’emparer pour s’en dire « mère de sagesse » au nom de sa soi-disant compétence « anthropologique », qualificatif dont elle revêt désormais un mélange de raisons tirées davantage de la Tradition que de la science ou des Écritures. Jésus n’était pas obsédé par la sexualité si l’on en croit les évangiles. D’où vient que l’Église catholique en France en ait fait jusqu’à son cheval de bataille, en soutenant par exemple la Manif pour tous, donnant alors de nouvelles verges pour se faire battre ? Les livres d’André Paul, Éros enchaîné, d’abord, puis La famille chrétienne n’existe pas, ont tenté de l’expliquer naguère.


***


Tout ça c’est de la théorie. Mais en pratique ? Je voudrais compléter ce billet par trois témoignages personnels.


En 1968, j’entrai au séminaire Saint-Sulpice à Issy-les-Moulineaux J’avais 18 ans, j’étais un jeune provincial puceau, idéaliste et candide qu’un aumônier que j’admirais avait propulsé là au sortir du bac. Je lui en saurai toujours gré. J’y ai rencontré des maîtres aussi admirables de dévouement et de compétences, et un séminariste qui fut pour moi le frère aîné que j’avais perdu cinq ans auparavant. Ce frère de remplacement est prêtre, lui, aujourd’hui, dans le cœur battant de Paris XVIIIe. Le sujet est celui-ci : je découvris, au bout de deux ans - quand j’en fus sorti, je devais me marier trois ans plus tard - qu’un certain nombre de condisciples de l’époque étaient homosexuels pratiquants. C’est l’un deux qui me décilla alors, car je n’avais été l’objet d’aucune « avance », que mon état de quasi-innocence à l’époque ne m’eût d’ailleurs pas même laissé percevoir. Pour autant, je n’affirme pas que je n’aurais pas goûté la chose dans le cas contraire. Je n’étais pas asexuel. Mais personne ne me dragua. J’étais trop beau, paraît-il. Rétrospectivement, je peux donc affirmer qu’un certain nombre de garçons aux tendances homosexuelles avérées, conscientes, envisageaient le sacerdoce et que ce n’était pas considéré comme « intrinsèquement désordonné » [3] par l’institution, du moins en apparence. À ma connaissance, pourtant, peu de ceux que j’ai connus y parvinrent. Comment ceux qui devinrent prêtres ont-ils vécu la chasteté ? À quel prix ? Je l’ignore.


J’ai été aussi animateur en aumônerie à plusieurs périodes de ma vie, jusqu’à un âge avancé. Au cours d’un pèlerinage, il m’arriva d’être témoin d’une situation qui me perturba. Nous faisions une journée de marche sur une portion du chemin de Compostelle. Un jeune aumônier qui nous accompagnait passa quasiment toute l’après-midi loin en arrière du groupe, avec un des lycéens. Première alerte. Ce tête-à-tête se poursuivit dans le car qui nous ramenait de nuit. À un moment même, le lycéen retira son ti-shirt et se fit masser le dos nu par ce jeune prêtre qui s’était assis à côté de lui pour le voyage du retour. J’étais à côté de ma responsable d’aumônerie et nous nous entreregardâmes sans rien dire mais en n’en pensant pas moins. Dans le car endormi, nous étions mal à l’aise comme devant un pelotage qui n’aurait pas dit son nom. Je ne sais plus qui de nous deux se décida à intervenir pour rompre ce manège, en s’adressant au garçon : « Tu ne vas pas bien ? » (Il semblait aller parfaitement bien). Le jeune prêtre nous répondit : « Je le masse car il a mal au dos » (Il avait donc mal au dos). Dont acte. Dans les jours qui suivirent, je jugeais avec ma responsable d’aumônerie qui avait été troublée elle aussi, que ce comportement du prêtre méritait au moins une réaction de notre part et une explication de la sienne. Nous le convoquâmes - non sans réticences de sa part car nous ne lui avions rien dit de précis sur le sens de cette convocation - à ce qui pouvait s’assimiler à une séance de « correction fraternelle » au sens de  Matthieu 18, 15-18. Je ne suis pas sûr qu’il admit sur le moment le bien-fondé de notre démarche. Il opposa une forme de déni à notre constat commun et ne parut même pas reconnaître, a minima, un comportement imprudent de sa part. De notre côté, nous étions embarrassés d’avoir dû nous ériger en « juges » d’un prêtre, fût-il plus jeune que nous. Nous fîmes part de nos doutes et de notre démarche à notre aumônier. L’affaire en resta là. J’espère qu’elle fut un avertissement salutaire pour l’intéressé, si nécessité il y avait eu.


Plus récemment, en 2018, pour un autre jeune prêtre [4], il n’y eut aucune espèce de salut. Dans le secteur paroissial où je venais d'arriver, il fut signalé à une cellule diocésaine « d’écoute des blessures » par des paroissiens pour des « comportements inadaptés ». Immédiatement suspendu par son évêque au moment de la rentrée qu’il avait soigneusement préparée, son dossier partit directement chez le procureur-adjoint de la République. Une enquête de gendarmerie fut diligentée et bien que les gendarmes aient signifié en personne à ce jeune prêtre qu’au final aucune charge ne pouvait être retenue contre lui, il fut retrouvé pendu quelques jours après dans son presbytère, rien ni personne ne l’ayant officiellement réhabilité dans son honneur ni réintégré à temps dans ses fonctions. Tout au plus aurait-il été question de le « déplacer ». Un mois auparavant, un autre jeune prêtre encore [5], d’un autre diocèse  s’était pendu lui aussi dans les combles de son église, signalé auparavant à l’évêché par la mère d’une jeune fille majeure après une « conduite inconvenante ». Dans les deux cas, la disproportion entre les faits et leurs conséquences dramatiques n’échappa à personne, d’autant que les vrais prédateurs, eux, se suicident rarement. Ces deux drames eurent pour effet, paradoxalement, de m'inciter à me réengager dans l'Église. Mais ces deux affaires signalent la difficulté, pour les catholiques de base comme pour leur hiérarchie, à gérer les questions sexuelles, qui tétanisent l’Église après l’avoir obsédée, prise qu’elle est entre un laxisme ancien qu’elle voudrait faire oublier et la volonté d’afficher une soi-disant « tolérance zéro », dans l'air du temps et aux effets parfois tout aussi dévastateurs.


Peut-être l’Église devrait-elle s’arrêter un instant pour revoir ses conceptions sur la vie sexuelle en méditant, après celle de Sade citée plus haut, la maxime célèbre de Pascal : « L’homme n’est ni ange ni bête, et le malheur veut que qui veut faire l’ange fait la bête. » Lui faudra-t-il un Concile rien que pour ça, gérer Sade et Pascal ensemble ?

__________________________

[1] C'est la reprise d'une "Lettre aux catholiques", datée du 25 mars 2021, jour de l'Annonciation (sic).

[2] Je reprends volontairement ici le titre du beau film d’André Cayatte (1967), si bien servi par Jacques Brel en instituteur (faussement) accusé par une jeune élève.

[3] C’est ainsi que le § 2357 du catéchisme de l’Église catholique qualifie encore en 2021 « les actes d’homosexualité ».

[4] Pierre-Yves Fumery, du diocèse d’Orléans.

[5] Jean-Baptiste Sèbe, du diocèse de Rouen.

_______________________________________

Annexe : Le dépliant de l'épiscopat français distribué ce dimanche 3 octobre à la sortie des messes :








L'omelette du parti Renaissance

 Avec ce tract pondu cette nuit à 2 h 39 dans les boîtes à lettres électroniques, les équipes du parti Renaissance ont atteint ce qu'on ...