29 mars 2024

L'omelette du parti Renaissance



 Avec ce tract pondu cette nuit à 2 h 39 dans les boîtes à lettres électroniques, les équipes du parti Renaissance ont atteint ce qu'on pourra appeler désormais le "point Macron" de la communication politique (en référence au point Godwin), point qui équivaut pour un chrétien, en ce Samedi saint, à une descente aux enfers.

Pâque(s) est une marque religieuse déposée, singulièrement juive et plurielle dans sa récupération chrétienne, qu'on ne peut pas mettre à toutes les sauces, fût-ce pour faire du neuf de l'idée européenne, qui vaut mieux. 

Sauf à vouloir provoquer du bruit sur les réseaux sociaux, à quoi ce court billet se résout, un pauvre sourire dans l'âme.

25 mars 2024

Miss Charity

À l'issue du spectacle, Marie-Aude Murail et Elsa Ritter
ont improvisé un bord de scène avec les spectatrices et spectateurs de tous âges.


 Adapter au théâtre le gros roman de Marie-Aude Murail paru en 2008 avait déjà tenté Céline Devalan qui en compagnie de Pascal et Vincent Reverte avait relevé le défi, présenté à la Noël 2013 dans le cadre du théâtre Essaïon. Peter, le lapin de Charity Tiddler aka Beatrix Potter était alors le partenaire à part entière de Charity, que jouait Céline Devalan.

Une deuxième actrice, Elsa Ritter, vient de s'attaquer à ce monument de la littérature jeunesse contemporaine. Avec l'idée de monter un seule-en-scène, elle a sollicité l'appui de Jean-Christophe Leforestier : elle lui a fait lire le livre et il a accepté, puis ils ont commencé à réfléchir en parallèle sur les « morceaux » à choisir dans ce gros récit peuplé de nombreux personnages hauts en couleur, illustres inconnus de fiction auxquels Marie-Aude Murail a mêlé quelques bien célèbres comme Bernard Shaw ou Oscar Wilde. Après quoi ils ont opéré un montage de ces morceaux choisis, réfléchissant parallèlement aux « objets » à utiliser et à la bande-son qui accompagne le spectacle. Se sont imposées aussi deux marionnettes, celle du lapin Peter et celles du duo de souris Miss Désirée et Miss Tutu, à la manipulation desquelles Elsa a été initiée par Jean-Christophe Leforestier. 

Jouant sur la voix et les attitudes corporelles, Elsa Ritter incarne avec force cette galerie de personnages qu’elle fait aussi dialoguer et dont l’identité nous devient familière au fil de la pièce divisée en deux parties (1 h et 1 h 15). Il y a aussi un format jeunesse qui dure… 35 mn ! La scène est divisée en plusieurs espaces grâce à un jeu de paravent, de portants et de draps blancs (effet d’ombres chinoises utilisé) suspendus, avec ou sans pince à linge, à des cordes tendues.  Des aquarelles de Leforestier illustrent le travail et les progrès de Charity dans le fameux "grossissement schématique des détails"... L’actrice disparaît sous une identité pour réapparaître sous une autre, nous laissant seuls-en-salle, en quelque sorte, nous le quatrième mur. Brefs moments de solitude qui permettent de réfléchir au fil de l'émotion et de le garder, dans l’attente de ce qui va ressortir de derrière le drap ou le paravent. 

Le résultat est saisissant, tant Elsa Ritter impose son jeu d'actrice, transformiste sans temps morts pour les besoins multipliés du roman. Un angle de la main, une courbure du corps, une mimique lui suffisent pour caractériser un personnage voire un animal : étonnant Petruchio, le corbeau apprivoisé de Charity, qui volète sur la scène en croassant "je suis un démon, pouët, pouët !" ; effrayante Tabitha, le nounou folle et pyromane de Charity, qui lui conte des histoires effroyables, etc. Ainsi se déploie peu à peu le roman d'apprentissage victorien de Marie-Aude Murail, qui recèle aussi l'étonnante histoire d'amour entre Charity et Kenneth, entrevue dès l'enfance et le jeu de snap dragon

Les lecteurices de Miss Charity verront, souvent avec une intense émotion, se matérialiser le récit de Marie-Aude Murail par la grâce de l'actrice ; quant à celleux qui n'ont pas encore lu le roman, nul doute qu'iels auront à cœur de percer les ellipses de la pièce qui en a été tirée, roman auquel même les silences de son adaptatrice et actrice rendent un hommage fervent.

(pièce vue samedi soir 23 mars 2024 à Arcueil, dans les locaux de L'Anis Gras - le lieu de l'Autre)

02 mars 2024

Frère(s) : d'Olivier à Christian

 

Dimanche 3 mars

Je me réveille en pensant à mon frère. J’ai acheté hier pour 3 € à Emmaüs Olivier, le livre que Jérôme Garcin a consacré - le mot pour une fois n’est pas usurpé - à son frère jumeau, tué à l’été 1962 par un chauffard qui ne s’est pas arrêté. Olivier comme Jérôme avait 5 ans et demi. Et je l’ai lu dans la soirée avant de m’endormir. Je ne l’ai pas lâché. Il y a des livres qui vous font de l’œil et curieusement semblent attendre leur heure pour vous laisser les pénétrer, à moins que ce ne soit eux qui s’emparent de vous. Qui sait ? Tout à coup, il m’est revenu que j’avais dû lire une critique de ce livre dans Télérama à sa sortie. Rêvais-je ? Dans le gros classeur où j’ai accumulé ce que pourrais appeler « ma Recherche » sur mon frère Christian, je viens de retrouver l’article en question, que j’avais soigneusement découpé à l’époque dans le numéro 3187 du 9 février 2011. La date a son importance. Je venais de « prendre ma retraite » comme on dit. J’avais enterré ma mère le 3 janvier précédent à l’issue d’une messe d’obsèques célébrée à l’Abbaye aux Dames, à Saintes. Après la mort de mon père à l’été 2002, j’étais donc complètement, totalement, orphelin d’une mère qui avait été veuve pendant 9 ans.

Il n’y a pas de mot pour se dire veuf ou orphelin d’un frère. Ce n’est pas une situation identifiée par l’état civil. Parce qu’elle n’emporte aucune sorte de droit mais juste un devoir de mémoire, si on peut nommer devoir un genre d’obsession qui vous accompagne toute votre vie et dont témoigne, après et avant d’autres, Jérôme Garcin. Comme il n’y a pas de mot, vous n’en parlez pas à vos proches. Votre conjoint vous a adopté avec ce déficit en vous, ce trou fait à l’emporte-pièce dans votre histoire et vous êtes tous les deux passés à autre chose, la vie, amoureuse, professionnelle, familiale. Vous vous êtes distrait de ce chagrin sans oublier. Vos enfants qui naissent savent eux aussi qu’il y a eu un drame, qu’ils découvrent peu à peu chez leurs grands-parents : ce portrait à 18 ans, une photo faite pour le permis de conduire, un peu raide, c’est tout ce qu’ils sauront pendant longtemps de leur oncle, mort quand leur père avait 12 ans et demi. Puisqu’on vous le dit, il n’y a pas de mots. Les parents non plus, qui ont perdu un enfant, n’en ont pas.

Voilà, il n’y a que ce seul mot : « perdu ». Comme on perd sa casquette dans un train, son portable sur la plage ou son chat qui s’est enfui ? Et il n’y a pas de service d’objets trouvés où l’on pourrait espérer retrouver un frère, un fils perdu. Il n’y a que dans l’évangile, celui de Luc relu et commenté hier, que le berger retrouve la brebis perdue, la femme la drachme perdue, le père le fils perdu. Et tous se réjouissent. Dans la vie, il est rare que votre père vous annonce cette bonne nouvelle : « ton frère que voilà était mort et il est revenu à la vie, il était perdu et il est retrouvé. » (Lc 15, 32)

L’article de Télérama est dans un classeur à vues. Il faudrait que je relise mon journal pour savoir si c’est la recension du livre de Garcin qui m’a ouvert cette perspective dans le temps libre que la retraite m'offrait : poursuivre mon enquête et en faire un livre, de ces livres qui délivrent ceux qui les écrivent et montrent le chemin à d’autres qui cherchent eux aussi une forme de délivrance par l’écriture. Pour contredire cet état de choses : « il n’y a pas de mot » et les trouver, les mots en question, faute de recouvrer celui qu’on a perdu. Pour contredire Duras qui affirmait, catégorique : « écrire ne sauve de rien » comme si elle avait voulu se réserver ce salut-là, par les Lettres, griffonnées sur un manuscrit ou affichées sur un écran où le curseur qui clignote semble dire : « je t’attends ». Disons qu’écrire ne sauve pas de tout mais que tenter de recomposer l’être disparu auquel on s’adresse déjà depuis si longtemps, de son for intérieur, pour en retrouver la figure et l’âme, proposables à d’autres, n'est sûrement pas une entreprise totalement vaine. Jusqu'ici, je n'ai fait qu'interroger les survivants, recenser les témoignages, racler ma mémoire, écrire sans but précis. Il semblait perdu et je l’ai retrouvé. Un peu. Pourrai-je le dire un jour, dans une fraternité d’écriture, pour un livre cénotaphe qui lui redonnerait un corps de mots, ressuscité ?


L'omelette du parti Renaissance

 Avec ce tract pondu cette nuit à 2 h 39 dans les boîtes à lettres électroniques, les équipes du parti Renaissance ont atteint ce qu'on ...