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08 juillet 2023

Paysan de la Rive droite

 



André Paul, l'impertinent bibliste, entre cœur et marges de l’Église catholique.


J’ai rencontré André Paul à l’automne 1969. J’étais alors séminariste, étudiant au grand séminaire Saint-Sulpice, à Issy-les-Moulineaux, en deuxième année. De courtes mais denses sessions d’initiation à l’exégèse du Nouveau Testament nous furent proposées, insérées au sein de notre emploi du temps habituel. Je fus immédiatement séduit par ce jeune enseignant de 36 ans au verbe haut et précis, où le Sud-ouest chantait encore. C’étaient des travaux dirigés, en groupes et non un enseignement magistral. Je crois que nous étions presque tous subjugués par la nouveauté de son discours sur les évangiles, qui tranchait sur celui des autres professeurs, Sulpiciens comme lui, et sur  tout ce que nous avions entendu jusqu’alors sur la Bible. Lorsque je repense à cette époque, c’est un verset au tout début de l’évangile de Marc qui me vient, toutes révérences gardées : « et l’on était vivement frappé de son enseignement car il les enseignait en homme qui a autorité, et non pas comme les scribes. » (Mc 1, 22). L’autorité mise en œuvre, c’était celle des Écritures elles-mêmes, en quelque sorte auto-déployée par la pédagogie d’un enseignant inspiré. Avec le recul, je sais que c’est André Paul qui m’a appris à lire, savoir précieux pour la vie entière. Je lui avais marqué ma gratitude à l'occasion de la cérémonie au cours de laquelle son ami Joseph Doré, archevêque émérite de Strasbourg, lui avait remis la médaille d'officier des Arts et des Lettres.

Si j’ai quitté rapidement le séminaire pour me marier et faire toute ma carrière à l’Insee, si André Paul a quitté les Sulpiciens et l'état sacerdotal pour rompre l’impasse existentielle où il se trouvait au terme d'une « seconde adolescence », se marier lui aussi et poursuivre une double et brillante carrière d’éditeur religieux et de savant théologien et historien, son véritable ethos, nous ne nous sommes jamais perdus de vue. À l’hiver 2007, André Paul m’avait demandé de l’aider à mettre en forme ses souvenirs. Des entretiens à Paris que j’enregistrai et transcrivis, plus quelques jours passés ensemble au monastère du Mesnil Saint Loup, aboutirent à un matériau biographique d’environ 180 pages que je lui remis, renonçant sur le moment à composer une « vie d’André Paul », vie qui était d’ailleurs loin d’être achevée, dans un style qui, étant le mien, aurait sûrement trahi l’homme qui avait le sien, tout autre.

On n’est jamais si bien servi que par soi-même. Seize années et quelques livres plus tard, André a décidé de nous donner son « André Paul par lui-même », ce  Paysan de la Rive droite, qu’il est à la fois resté et devenu, dont il m’a fait l’amitié comme pour ses livres précédents de pouvoir suivre la composition chapitre après chapitre, proposant chacun d’eux à cette lecture, dont il m’avait enseigné les principes, d'un texte dont je connaissais la voix.

***

Ce qui frappe d’abord dans cette chronique, c’est la précision des noms, des lieux et des dates. Archiviste de lui-même, André Paul semble n’avoir rien oublié de ces neuf dernières décennies, depuis sa prime enfance pyrénéenne. La variété des personnes côtoyées, amis comme adversaires, se reflète dans l’index des personnalités citées qui aimeront ou appréhenderont de s’y retrouver. La table des matières a été elle aussi soignée et les intitulés des dix chapitres et plus encore des sous-chapitres ne manqueront pas d’aiguiser la curiosité et d’orienter la lecture au moment d’ouvrir le livre.

« Mordante », cette chronique l’est à plus d’un titre. L’un de ses fils rouges est sans doute la polémique constante que notre impertinent bibliste [1] a entretenue avec les milieux qu’il a fréquentés et l’époque – les époques devrait-on dire – qu’il a traversées, depuis la Seconde guerre mondiale jusqu’à nos jours, en passant par Vatican II, mai 68, jusqu’à la Manif pour tous : polémiques intellectuelles, savantes, éthiques voire ethniques qui sont comme les parties immergées, les sous-textes des livres qu’il n’a cessé d’écrire comme auteur et de produire comme éditeur dans le monde catholique. Les conditions de production et de réception de ces livres et des thèses qu’ils défendent sont ici éclairées des plus vives lumières. Elles disent, comme le rappelle Danièle Hervieu-Léger sur la 4ème de couverture,  le prix qu’il faut payer pour qu’existe « la pensée critique au sein de l’Église romaine ». Cet éclairage ne pourra qu’inciter soit à découvrir soit à relire les textes les plus marquants d’André Paul [2].

Un autre fil rouge, qui trouve un écho particulier dans l’actualité,  dans ce qu’on appelle désormais « la crise des abus » dans l’Eglise catholique, c’est l’inventaire qui est dressé des « maladies sexuelles de la foi ». Pour cet inventaire qui commence avec sa propre vie d’enfant puis de séminariste, André Paul n’adopte pas la position de surplomb à laquelle il cède parfois dans les disciplines qu’il maîtrise. Il décrit son propre cheminement, la rencontre de maîtres au comportement ambigu, revient sur la première grande crise du célibat sacerdotal des années 70 avec le mouvement  contestataire de prêtres « Échanges et dialogues », provoquée selon lui par la mise en œuvre de décisions conciliaires trop peu maîtrisées. Il évoque à partir de sa brève expérience de confesseur au cœur du VIème arrondissement de Paris l’état de misère sexuelle dans laquelle l’Église maintient ses fidèles, rappelle qu’Humanae vitae, l’encyclique sur la contraception publiée par Paul VI a été rédigée par un certain Karol Wojtyla… S'il retrouve du mordant, c'est pour dénoncer les « détournements protégés » de « la règle sacrée du célibat » dont il a été le témoin, par une hiérarchie soucieuse de conserver coûte que coûte au sein de l’Église ses « meilleurs » éléments, l’hypocrisie et la duplicité dans ce domaine étant le prix à payer par le système catholique. Et ce prix est élevé.  Là encore, les faits que rapportent André Paul inciteront à relire un de ses maîtres-livres, Éros enchaîné. Il y critique le procréationnisme pythagoricien, corps étranger introduit dans la philosophie chrétienne par Clément d’Alexandrie, position étrangère selon Paul à l’évangile et qui entend imposer que la procréation et non le plaisir soit le seul but autorisé de l’activité sexuelle, à laquelle celle-ci doit rester intrinsèquement ordonnée.

Revisiter l’histoire de l’Église catholique depuis la guerre n’incite pas notre auteur à un grand optimisme quant à l’avenir du catholicisme. De la Rive droite bourgeoise dont il a fait sa retraite, il théorise une Église de petits restes urbains encore privilégiés et tentés par un narcissisme mortifère. Mais, en une conclusion nullement crépusculaire, il ne renonce pas à espérer un nouveau prophétisme, ni réformateur ni restaurateur, que le « souffle de l’Esprit » ferait renaître. Dont acte.

Ce livre percutant, itinéraire singulier d’un homme singulier, se lit comme un roman - la formule n'est pas usurpée - à cheval comme son auteur sur deux siècles. Inclassable, André Paul agacera autant qu’il intéressera « tradis » et « progressistes », déjouant en permanence le « prêt-à-penser » des uns et des autres, comme l’ont fait tous ses livres depuis le premier, L’évangile de l’Enfance selon saint Matthieu, publié en 1968 et toujours au catalogue des éditions du Cerf.

Paysan de la Rive droite - 1933-2023. La mordante chronique d'un théologien libre – André Paul – paru le 6 juillet 2023 - Cerf, collection Patrimoines – 298 pages – 34 €




[1] L'impertinence biblique (1974) est le titre d'un petit livre - publié sans imprimatur - qui valut à son auteur quelque purgatoire à la faculté de théologie de la Catho de Paris et fut comme l'amorce pour lui d'une nouvelle étape de sa vie.

[2] On en trouvera une liste quasi exhaustive sur la page Wikipédia que je lui ai ouverte en 2008 et qui se complète depuis, et bien sûr à la fin du livre.

01 octobre 2020

Le bonheur, sa dent douce à la mort

 


   Madame Cassin n’était sans doute pas assez sage pour n’aimer que la sagesse, ce qu’elle s’est démontré en échouant plusieurs fois, avec obstination, à l’agrégation de philosophie. Le génie mais pas le talent, lui a dit un examinateur. Autre handicap pour une apprentie philosophe : la vérité ne l'intéressait guère, elle s'en explique. Mais elle aimait les mots, qui l’ont sauvée. Son « dictionnaire des intraduisibles », sous-titre du « Vocabulaire européen des philosophies » dont elle a été pendant quinze ans la sage-femme obstinément – encore - penchée sur sa brèche accouchante, restera comme sa grande déclaration d’amour à la parole, aux langues, à l’humanité.

Son « autobiographie philosophique » prend un titre rimbaldien : « Le bonheur, sa dent douce à la mort ». On sait ce que les philosophes doivent aux poètes : l’audace et la force des collisions qui explosent la langue et autorisent de nouveaux assemblages qu’ils nomment « concepts ». Le parcours de vie de madame Barbara Cassin est étourdissant, comme une suite d’explosions. Rien n’y semble prémédité, sinon d’avoir toujours su saisir le kairos, le moment qui donne et à qui on se donne entièrement, en choisissant de préférence les « entrées interdites » du Temps.

Des mille expériences vécues par l’académicienne si peu académique, on retiendra sa contribution à la Commission Vérité et Réconciliation conduite par Nelson Mandela et Desmond Tutu. Elle y a reconnu une nouvelle fois « le pouvoir du langage ». La première fois, ç’avait été en intervenant comme professeur de français auprès d’adolescents psychotiques, sous l’égide de Françoise Dolto. C’est à coup de mots grecs qu’elle leur avait fait entrevoir leur langue maternelle.

Ce récit autobiographique se lit comme le roman époustouflant d’une femme qui détestait l’Un et lui a toujours préféré l’Autre, les autres, infidèlement fidèle dans sa tour de Babel multilangues. Chaque page rebondit sur la précédente pour mieux sauter sur la suivante, dans un apparent désordre qui est celui de la Vie quand on s’y tient, sans chercher rien d’autre qui vaille mieux que ce parcours d’obstacles - voire d’arrêts - arrêts dont elle fait aussi l’éloge paradoxal.

Le dernier chapitre consacré à Étienne, le compagnon de son existence, le père de ses deux enfants, n’est pas le moins beau. La barrière est plus haute. Il y est question de chevaux et de morts, cette mort que, paraît-il, nous envieraient les dieux grecs du haut de leur éternité lassée. Pour l’écrire, Madame Cassin, cavalière d’elle-même, a sans doute pris le mors aux dents et, une nouvelle fois, ne se dérobe devant rien.


L'omelette du parti Renaissance

 Avec ce tract pondu cette nuit à 2 h 39 dans les boîtes à lettres électroniques, les équipes du parti Renaissance ont atteint ce qu'on ...