Avertissement : j'ai rassemblé ici tout ce que j'ai écrit sur Emmanuel Macron, depuis qu'un certain Denis Robert a attiré mon attention sur le premier documentaire de France 3 consacré au futur président, La stratégie du météore.
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Une vie de transgressions ? (22 novembre 2016)
Je n'avais pas vu hier soir le documentaire de France 3 (désormais disponible pour 1,99 € après l'avoir été sur YouTube) sur le "météore" Macron. C'est un post bizarrement séduit du journaliste Denis Robert qui m'a d'abord fait réagir : Denis Robert avait parlé d'Arlequin, j'ai commencé par rectifier et j'ai continué.
"Harlequin", Denis Robert... Je n'ai pas encore vu le documentaire mais ce que vous en dites et votre empathie manifeste me laisse penser que ce morceau de "plan de com" n'est peut-être pas si foireux que ça. Les strates du "spectacle" (au sens de Debord) se déposent en nous et ce qui en subsiste produit des effets durables parfois bien différents de ceux que nous avons immédiatement perçus. Il y a en Macron bien des singularités qui se télescopent et qui forment déjà un récit fascinant, à mon avis fort éloigné des formatages de la collection Harlequin : car des jeunes adolescents amoureux de leur professeur de français, il y en a certes des milliers. Beaucoup moins les épousent. Des jeunes philosophes, il y en a des centaines : ceux que Paul Ricoeur a crédités dans un de ses derniers ouvrages (La mémoire, l'histoire, l'oubli) sont bien moins nombreux. Des jeunes banquiers ambitieux, ça ne manque pas ; combien ont abandonné le fric pour se mettre au service d'un président de gauche (du moins réputé tel) ? Un homme (j'embrasse les femmes aussi) est un ensemble de singularités. J'ai tendance à penser que leur exhibition n'est obscène que lorsque celles-ci ont été fabriquées de toutes pièces. Ce qui n'est pas le cas ici, je pense, même si nous assistons bien, par ailleurs, au processus, bien contemporain, de fabrication d'un candidat par la société du spectacle, sur lequel pèse effectivement ce risque permanent d'obscénité. Mais qui y échappe aujourd'hui ? Et peut-on reprocher à ce jeune homme d'être pressé... par amour (ou par l'amour) ? A un homme d'avoir une femme avec lui, dans l'ombre ou dans la lumière ? Moi, ça me rassure plutôt. Un homme seul est en mauvaise compagnie."
Puis, je me suis décidé à aller voir par moi-même et j'y ai donc passé 82 minutes de ma vie, pour écrire ensuite ce qui suit, en réponse d'abord à un post qui avait collé une grille psy sommaire sur ce portrait :
Je viens de visionner ce documentaire, ce que je n'avais pas encore fait quand j'ai écrit mon post précédent. Je ne crois pas que Macron soit un "petit garçon" qui "couche avec sa mère", même si je reconnais qu'il est tentant d'appliquer cette grille de lecture psychanalytique sur la situation. Ce n'est possible qu'en s'asseyant sur la singularité d'une personne. L'intéressé suggère d'ailleurs lui-même cette interprétation au moment de sa rencontre avec Houellebecq quand il évoque la "transgression" comme éventuel point commun avec l'écrivain. La différence est que l'un est dans l'action et l'autre dans la fiction... Mais le documentaire m'a confirmé dans ce que je relevais comme des "singularités" de Macron, car elles sont effectivement autant de transgressions (qu'il n'a pas recherché pour elles-mêmes, affirme-t-il) des usages communs du monde, usages qui sont aussi pour lui un autre nom des "blocages" de la société française.
D'où l'accent aussi qu'il met sur le désir de liberté - et la liberté de son désir - source commune pour la gauche libertaire et la droite libérale. A noter que Macron ne veut pas renier l'une au profit de l'autre, c'est sans doute l'origine de son ni gauche ni droite que suspectent évidemment la droite coincée à la Fillon et la gauche idéologue réunies. La "société bloquée", ce n'est pas une nouveauté, le sociologue Michel Crozier en a esquissé l'inventaire dans le livre du même nom, publié deux ans après les "événements" de mai 68. On en est toujours au même point. Macron veut donc logiquement repartir de là, de cet os bien français sur lequel beaucoup d'autres se sont cassés les dents. Ces "blocages", on peut encore choisir de les lire comme des "protections" (des salariés contre le capital, en gros) mais comme il est manifeste que dans la mondialisation, rien ne protègera plus quiconque de quoi que ce soit, du moins à terme, ce ne sont plus souvent que des "résistances" (pour le coup au sens psychanalytique du terme) de la société, si du moins on peut voir celle-ci comme un "sujet", au changement.
Evidemment, on est en face avec ce documentaire d'un très bon "story-telling" sur un homme dont la vie apparaît, comme le dit le commentaire "nourrie d'idéalisme et ponctuée de transgressions". Quand le patron de Rothschild explique que Macron a appris chez lui "à raconter des... une histoire" (il s'est repris car raconter DES histoires et raconter UNE histoire n'a pas le même sens) aux actionnaires de Pfizer racheté par Nestlé et que le reporter lui demande s'il ne s'agit pas là de techniques transposables en politique, il répond, hésitant "techniques... pas de manipulation de l'opinion, mais de... un petit peu" (CQFD). Mais tous les hommes politiques en sont là, le "conteur" le plus doué sur le marché politique actuel étant sans doute Mélenchon.
Les mécanismes de la société du spectacle fonctionnent dans tous les sens : quand, à Lunel, Macron lâche "la meilleure façon de se payer un costard, c'est de travailler", il passe en boucle dans la lessiveuse "spectaculaire" (au sens de Debord) avide de ces petites phrases, mais la réponse qu'il oppose à celles et ceux qui se sont fait exister sur les réseaux, un peu pathétiquement, en commentant cette citation jusqu'à l'exténuer est tout aussi imparable : "si j'étais dans le mépris de classe, je n'irais pas au contact" (sous entendu, je serais resté confortablement dans ma banque au lieu de me faire chier avec des connards - ce qu'il ne dit pas évidemment car il est bien élevé). On peut préférer ce Macron-là, politique, qui prend des œufs et des horions, au banquier qu'aucun manifestant n'est jamais allé embêter.
Pour finir sur ma bonne ville d'Orléans et sur le 8 mai 2016, le portrait qu'il trace de Jeanne d'Arc, d'un trait : "elle était un rêve fou, elle s'impose comme une évidence", renvoie sans doute autant à son parcours amoureux, à sa femme Brigitte, qu'à la présidence qu'il convoite sans doute désormais avec la même force de désir. Politique et amour ont partie liée, comme Sade l'écrivait : "Il n'est point d'homme qui ne veuille être un despote quand il bande". Cette jeunesse et ce désir sonnent de façon authentique. Tant pis pour les jaloux - drôle de revirement d'Attali en cours de documentaire - les envieux, les aigris, les débandés. Ils ne peuvent ni aimer ni faire de politique tant qu'ils garderont ces poses.
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Élyséez-moi (9 février 2017)
Le "moment Macron"
« Tout homme désire être le témoin de sa propre vie. Devant tous. »[1]
Si vous n'aviez pas eu le temps de lire ce livre, en voici le résumé détaillé...
Il faut avoir un sacré culot pour proposer aux Français, en 2017, un livre politique intitulé Révolution. Même Mélenchon n’a pas osé. Surtout quand son auteur, avec des accents gaulliens ou mendésiens, ses références (37)*, s’érige en initiateur unique et hors partis du mouvement qui doit conduire la France à ce grand changement, allant jusqu’à lui donner ses propres initiales : « En Marche ! ». Avec ce titre si chargé d’histoire, le simili-bandeau inamovible de la couverture ajoute l’accent guerrier sans lequel il n’est ni révolution ni même politique : « C’est notre combat pour la France ». N’allez pas chercher une introduction ou un résumé sur la quatrième de couverture : c’est le portrait pleine page d’Emmanuel Macron, jeune, beau et souriant, qui saute aux yeux des lecteurs comme pour leur demander : « Élyséez-moi ! » Je serais libraire, j’aurais empilé ce livre à l’envers. Le leader d'En Marche ! a fait l’objet d’une telle couverture médiatique, que son premier-né est désormais parfaitement identifiable sur sa seule photo.
Bien élevé, Emmanuel Macron commence par se présenter. Ce que je suis (I) brosse un rapide tableau de ses origines familiales, d’où émerge une grand-mère de cœur, enseignante qui lui a « appris à travailler » (13) « Je crois au travail » (139) est un article fondamental de son credo. S’ensuivent de riches années de formation, la rencontre précoce, à 17 ans, avec celle qui allait devenir sa femme, Brigitte, une enseignante de français et de théâtre dans son lycée d’Amiens, de 20 ans son aînée, un parcours dans l’enseignement supérieur chahuté par cet amour naissant et qui s’entête – en échec au concours d’entrée à l’Ecole normale supérieure, en philosophe à Nanterre, croisant l’un des plus grands, Paul Ricœur au soir de sa vie, Sciences Po, l’ENA. Itinéraire d’un enfant gâté mais pas pourri. Inspecteur des finances, il va « décortiquer les mécanismes multiples qui font la vie de l’État et de ses agents » (23), pendant quatre ans et demi. Rapporteur général-adjoint de la Commission présidée par Jacques Attali, auquel Nicolas Sarkozy avait confié la « libération de la croissance française », il y fait les bonnes rencontres qui vont lui permettre de rejoindre la banque d’affaires Rothschild. Faisant le tour de la question du « privé » en quatre années, il y gagne bien sa vie « sans avoir fait une fortune qui me dispenserait de travailler » (25), tient-il à préciser. Il décide en 2012 de « retrouver le service de l’État » (26). La suite, tantôt racontée, tantôt justifiée, est mieux connue tant la vie publique de l’intéressé va rapidement accrocher la lumière des médias, jusqu’à sa démission du ministère de l’Économie le 30 août 2016 et sa déclaration de candidature à l’élection présidentielle, dont Révolution est le manifeste.
Le livre pourrait être résumé en trois lignes. Macron y balaye d’un revers de main nos « passions tristes » (34, 57) et nos discours déclinistes. Il aime la France, sa seule « allégeance » (30) et voit en elle des énergies et des volontés qui ne demandent qu’une chose : être libérées, au service d’une « vision » pour le pays.
En explicitant ce que je crois (II), Macron veut surtout situer d’où il parle et à qui. Tout son livre est ponctué de « je crois », « je ne crois pas ». Il n’estime pas faire partie « d’un système politique qui [dit-il] ne m’a jamais véritablement reconnu pour l’un des siens » (33) Il ne peut pourtant ni se plaindre ni s’étonner de cette non-reconnaissance, puisqu’il avoue juste après que s’il a « décidé de défier les règles de la vie politique », c’est qu’il ne les a « jamais acceptées ». Transgressif en politique comme il a été transgressif en amour ? S’il croit « dans la démocratie », c’est dans la démocratie directe, l’adresse au peuple sans intermédiaire. Une posture bien gaullienne. « C’est bien mon ambition de m’adresser directement à mes concitoyens et de les inviter à s’engager à leur tour. » Et ce ne sont pas les « petites griseries » du pouvoir qui l’attirent, lui, mais « l’action et la réalisation [qui] comptent seules. » (35) Lui qui chante la « grandeur » de la démocratie élective, n’a jamais été élu. Il fera donc ses classes électorales directement avec… la présidentielle. Dans sa quarantième année.
Ni à gauche ni à droite : Macron refuse d’être « enfermé dans des clivages d’un autre temps. » Mais veut bien se voir traiter simultanément de « libéral » et « d’homme de gauche. » (38-39) Si gauche et droite n’ont plus de sens, c’est que l’une et l’autre apparaissent divisées en leur sein même sur les grandes questions de l’époque : rapport au travail, environnement, Europe, économie numérique, protection des libertés individuelles, etc. « Notre République se trouve aujourd’hui prise dans les rets des jeux d’appareils. » (40) et « nos partis politiques sont morts de ne plus s’être confrontés au réel ». Au passage, il dénonce évidemment les primaires, inventées pour désigner un chef et masquer les conflits internes derrière une façade uniforme, dans un contexte où plus personne ne rassemble d’emblée et où les idées divisent les partis au lieu de les nourrir.
En racontant ce que nous sommes (III), Macron entend redéfinir la place de l’État dans la France d’aujourd’hui, vivante comme une langue et une géographie d’enfance, et le périmètre souhaitable de ses interventions, qui est un des fils rouges qui court tout au long de ces 268 pages. Ce faisant, et quoiqu’il pense d’un distinguo qu’il réfute, il trace bien, à partir de ce rôle de l’État, une des frontières qui sépare la droite de la gauche, ne serait-ce qu’au prix d’un nouveau ni-ni. « Pour les uns, l’État doit pouvoir tout faire y compris dépenser l’argent qu’il n’a pas. Pour les autres, c’est de l’État que vient tout le mal et le briser serait la solution. En vérité, il n’en est rien. » (48). Et de justifier l’État par… la République, qui « tisse notre projet commun » autour de lui et qui est « notre effort collectif », « jamais achevé », « pour nous rendre libres ». La liberté, autre fil rouge, avec celui du travail, de Révolution.
Cet effort est confronté à la grande transformation (IV) du monde qu’un mot, source de tous les fantasmes et toutes les peurs, résume : mondialisation. Celle-ci crée une « interdépendance entre les nations, les entreprises, les centres de recherche » irréversible (54), dont on ne peut prétendre pouvoir sortir : « ce serait mentir » (55). L’un des avatars de la mondialisation, c’est l’essor de la finance internationale, qui n’est pas un mal en soi. Macron invite à faire preuve de « discernement » : « lutter contre la finance sans finalité [sinon purement spéculative] et encourager la finance qui permet d’investir » (56). L’autre fruit ou support de la mondialisation, c’est « le développement d’Internet et du numérique », qui imprime des changements majeurs aux métiers, clivant progressivement le marché du travail entre emplois peu ou très qualifiés, vraie menace pour la classe moyenne et les salariés. En positif, le numérique a engendré une organisation du monde « profondément décentralisée, où chacun peut jouer un rôle et reprend du pouvoir. La multitude reprend forme car chacun peut avoir sa place », d’où un double « défi » pour notre civilisation : la mondialisation va de pair avec une individualisation. Ce double processus « affaiblit toutes les formes classiques d’organisation intermédiaire de la société et en particulier l’État. Elle le déborde de toute part » (61). Concomitamment à cet affaiblissement, apparaissent des risques nouveaux, partagés à l’échelle de la planète : environnemental, géopolitique, terroriste, religieux. « L’État se voit sommé d’éliminer tout risque. C’est une promesse qu’il ne peut tenir »(63). Ou plutôt une attente à laquelle il ne peut répondre. Après celui des partis, Macron annonce le dépérissement du capitalisme, car cette grande transformation du monde le condamne ; il est parvenu à « un stade final » où « par ses excès, [il] manifeste son incapacité à durer véritablement ». La liste des dits excès est longue : « financiarisation de l’économie, inégalités, destruction environnementale » accompagnés de processus qui en aggravent les conséquences : « augmentation inexorable de la population mondiale, migrations géopolitiques et environnementales, transformation numérique » (64). Et d’en appeler à une nouvelle « Renaissance en Occident », soit une « réinvention des organisations sociales, politiques, imaginaires et artistiques » analogue à celle du XVIème siècle. Pour ne pas disparaître.
Mais pour l’heure, la France semble « à l’arrêt » et, fait plus grave, « le système s’est organisé pour protéger l’ordre existant » (66). Depuis trente ans, la classe politique n’a rien su inventer d’autre que des « droits sans contenus » (ex : le droit au logement opposable) et un « surcroît de dépense publique » pour suppléer à la « « croissance défaillante » : 170 Mds d’euros en cinq ans sous le précédent quinquennat » (i.e. Sarkozy-Fillon).
Ce n’est pas la France que nous voulons (V). Et d’évoquer en modèle historique la « conversion » économique de Venise quand la chute de Constantinople lui barre la route de la soie. Et une Histoire française en laquelle on peut puiser des raisons d’espérer, une « énergie ». Il y a par exemple une passion française ancienne, « réelle, sincère, de l’égalité ». Nous ne sommes pas semblables, mais « égaux en droits ».Mais cette égalité ne doit pas être confondue avec un « égalitarisme qui fait que le succès d’autrui devient une offense insupportable » (71). Dans ce cadre, Macron en appelle à un développement de l’innovation dans un modèle décentralisé par la révolution numérique.
Pour investir dans notre avenir (VI), il faut « renouer avec le rêve productif », car sans production il n’y a pas de « modèle social ». Revenant donc sur l’intervention de l’État, il renvoie dos-à-dos les partisans de la « relance » et ceux de la « rigueur ». Certes il faut poursuivre la réduction des dépenses publiques : réformer l’APL qui bénéficie plus aux propriétaires qu’aux allocataires, freiner l’augmentation des dépenses de fonctionnement notamment quand celles-ci croissent davantage que les transferts de compétence qui les justifieraient, baisser le plafond d’indemnisation du chômage (à 6000 € actuellement !). Mais il faut aussi investir. S’agissant des domaines où « l’action publique peut faire mieux mais où personne ne peut faire sans elle, Macron en cite quatre : l’école, la santé, la transition énergétique, le déploiement de la fibre numérique jusque dans les territoires les plus enclavés. Il n’y a pas d’investissement possible pour les entreprises sans stabilité du cadre juridique et baisse des charges qui pèsent sur le travail. Au passage, Macro fait l’éloge de l’échec : « celui qui échoue, c’est avant tout celui qui a tenté » et qui de ce fait « a accumulé de l’expérience » (86). Et fustige la rente et l’investissement immobilier… Dans ce contexte voulu d’innovation, l’État doit jouer plusieurs rôles : faire respecter les règles de la concurrence ; être le garant du long terme (incluant la stabilité juridique déjà invoquée) ; dans le cadre de l’Union européenne, lutter contre « la concurrence déloyale des pays étrangers ». Et il est intervenant direct dans des secteurs « qui ne peuvent être abandonnés au seul jeu du marché (90) : les programmes militaires liés à la Défense, le secteur des matières premières et de l’énergie.
On doit produire en France et sauver la planète (VII). Avec la COP21, la France a pris avec succès une initiative internationale en faveur du climat. Il faut maintenant donner aux partenaires économiques « le signal d’une grande mobilisation nationale au service des technologies vertes. » (101) et élever des champions de clean tech pour promouvoir une « économie circulaire qui ne rejette rien mais recycle tout » (100). C’est dans les villes que doit être développée en priorité cette transformation écologique, sans oublier les campagnes, avec la perspective de la nouvelle politique agricole commune (PAC 2020).
Dans le chapitre Éduquer tous nos enfants (VIII), Macron reprend le constat le plus connu et le plus inquiétant fait sur notre système éducatif : « un cinquième [20 %] des élèves quitte l’école primaire sans savoir lire, écrire ni compter. » (108). Il propose de dédoubler les classes dans les CP dépendant de réseaux d’éducation prioritaire et d’améliorer la médecine scolaire de prévention, afin de détecter de façon précoce les troubles de la vue, de l’ouïe ou d’autres pathologies Il dénonce la « fausse réforme » des rythmes scolaires, le bricolage autour de la formation des maîtres (supprimée, réintroduite…). Il plaide pour une scolarisation précoce, une reconsidération de la carte scolaire pour désenclaver les « quartiers difficiles ». Sur les deux autres sujets qu’il évoque, l’orientation et l’Université, il note que l’Education nationale tend à méconnaître l’enseignement professionnel, méconnaissance « allant jusqu’à la résistance ». (113) Quant à l’Université, c’est en lui laissant davantage d’autonomie qu’elle se développera, à condition que les « conservateurs » arrêtent de crier, devant ce mot, à « la rupture de l’égalité républicaine ». Il faut au contraire rompre cette égalité factice de traitement et « faire plus pour ceux qui ont moins. » (116). Il faut aussi que le ministère arrête de « dire à plus d’un million de fonctionnaire ce qu’ils doivent faire dans les moindres détails » : fin de l’inflation des textes, des circulaires, etc. « La Révolution à l’École est possible. » (119)
Pouvoir vivre de son travail (IX) : pour Macron, hors du travail, point de salut. C’est par lui que l’homme s’émancipe. C’est cette émancipation par le travail, et non le bonheur, que peut promettre la politique. Sachant que le plein-emploi ne peut suffire à redonner la confiance à un pays qui renoncerait par ailleurs à l’égalité : le Brexit au Royaume-Uni, l’élection de Trump aux États-Unis, pays de plein emploi, en ont administré la preuve. Le marché du travail est malade à tous les étages et injuste : « il favorise les statuts et paralyse la mobilité » (121), les insiders au détriment des outsiders (les jeunes) Le principe de qualification ne doit pas bloquer celui qui dispose de l’expérience mais non du diplôme pour créer son entreprise. L’apprentissage doit être « déverrouillé ». La rupture doit elle aussi être moins coûteuse : il faut instaurer un plancher et un plafond pour les dommages et intérêts versés aux Prud’hommes. Il faut diminuer le coût du travail en ne faisant plus reposer la protection sociale sur les seuls revenus du travail mais aussi sur l’impôt (repris p.150), en substituant une logique de solidarité à une logique d’assurance : la réduction des cotisations salariales et celles des indépendants augmentera les salaires nets « sans détériorer la compétitivité ou l’emploi. ». Il faut cesser de fixer la durée du travail et d’autres règles de droit du travail de façon uniforme, en laissant « aux accords de branche et d’entreprise la possibilité de déroger à la loi par accord majoritaire.» L’exemple des Chantiers navals de Saint-Nazaire a montré qu’un accord prévoyant un chômage partiel avait permis de sauver l’entreprise. « Les syndicats qui bloquaient la négociation nationale », « opposés à ce type de réforme par idéologie », avait approuvé « l’accord d’entreprise »(126). Le politique ne peut promettre la « sécurité de l’emploi ». Mais il peut faire que l’on puisse évoluer d’un métier à l’autre et que l’on soit protégé face à la perte d’emploi. Pour cela, il faut simplifier les démarches pour l’obtention d’une formation et « ouvrir les droits à l’assurance chômage aux démissionnaires, pour les accompagner dans une démarche de formation et de requalification. » (131) ; l’ouvrir aussi aux indépendants, commerçants et artisans. Sur ce volet indemnisation, Macron ne croit pas à la dégressivité des allocations-chômage comme incitation à la recherche et à la reprise du travail. Il propose d’autres principes : « au bout d’un certain temps de chômage, qui ne se forme pas n’est pas indemnisé ; à l’issue de la formation, qui n’accepte pas « une offre d’emploi raisonnable n’est plus indemnisé. » (132)
Comment faire plus pour ceux qui ont moins (X), formule déjà employée au chapitre consacré à l’éducation (116) ? Notre attachement à l’égalité est ce qui nous distingue des sociétés anglo-saxonnes. Or, « l’uniformité - de droits, d’accès, de règles, d’aides – ne signifie plus l’égalité. L’enjeu, c’est de « fournir à chacun ce dont il a besoin » (136). Macron retrouve là une formule célèbre, celle des Actes des apôtres [2] reprise par les socialistes de l’utopie et par Marx. Le rôle de l’État doit changer radicalement. Macron propose la notion d’ « investisseur social ». On ne peut ni traiter les pauvres d’assistés, dans le but de les culpabiliser, comme le fait la droite, ni se contenter de leur verser quelques prestations sans plus se préoccuper d’eux. « Nous devons solidarité, assistance et considération aux plus fragiles. » Il faut aussi « durcir notre réponse face aux discriminations » : selon le sexe et selon les origines, principalement (141-142), en systématisant les politiques de testing, notamment. En matière de santé, le maître-mot est prévention. Sur la protection sociale, l’État doit reprendre la main sur la gestion du système, ce qui écartera les partenaires sociaux de celle-ci ou du moins modifiera les équilibres de la gouvernance actuelle (gros débats en vue avec les syndicats !)
Le « rêve français » a toujours été un rêve d’unification (qui s’est mué en centralisation…). Mais il faut sans doute y renoncer, car « notre pays se fragmente sous nos yeux ». Il faut réconcilier les France (XI). La France comme tous les pays du monde doit faire face à la « métropolisation » de son territoire. 50 % du PIB français est produit dans une quinzaine de métropoles. Il s’ensuit que 80 % des populations les plus modestes vivent dans la « France périphérique » [3] . Il faut renoncer au rêve d’une France uniforme. La première question à résoudre est celle du logement : la priorité n’est pas d’accroître la réglementation mais de « construire des logements » (157), « là où nos concitoyens l’attendent », c’est-à-dire dans les « zones tendues » que sont l’Île-de-France, la Côte d’Azur [4] et quelques autres grandes métropoles. L’État doit intervenir par des « procédures d’exception », accélérées, libérant le foncier. Seul cet effort libérera la tension sur les prix et pourra amorcer la décroissance « des aides publiques massives octroyées ces dernières années » (158), dont le montant s’est accru sous l’effet de la spéculation immobilière. Dans les villes moyennes dont les cœurs se vident « parce qu’on a laissé se constituer dans leur périphérie des centres commerciaux trop importants », il faut « conforter la ville-centre ».
On peut aussi « revivifier les territoires de la France périphérique » : Besançon l’a fait quand son industrie horlogère a été balayée par le quartz ; il y a aujourd’hui plus d’emplois industriels qu’à l’époque des « Lip ». Ce ne sont pas les emplois qu’il faut préserver mais les salariés, avec leurs compétences, au besoin augmentées.
Que faire enfin de la France de la ruralité ? Pour la dizaine de départements qui perdent chaque année des habitants, Emmanuel Macron préconise une « approche différenciée », et non seulement « des règles produites de manière uniforme par l’État » : des infrastructures de transport, numériques, des services publics maintenus. Et bien sûr, pour les paysans, redonner à leurs productions le « juste prix qui permet à la fois de vivre et d’investir » (164) et d’assurer le maintien de ceux qu’on a parfois désignés comme des « conservateurs de l’espace rural ».
Les territoires d’Outre-mer sont évoqués parmi ces « France » qui doivent faire l’objet de politiques adaptées.
En conclusion de ce chapitre, quelques propositions pour poursuivre la réforme territoriale. Dans les métropoles, articuler le couple Région-métropoles et l’on pourrait dans ces zones se passer du département. Qui, au contraire, pourrait jouer un rôle plus important dans les zones rurales, quitte à les regrouper. Emmanuel Macron croit dans ces domaines aux expérimentations, à l’expertise des « acteurs de terrain » (167).
Vouloir la France (XII), c’est le chapitre où sont abordées la question de l’islam en France, celles de la laïcité et de l’immigration. En affirmant que « la France est une volonté » (169), Emmanuel Macron récuse autant l’idée d’une identité française figée que le recours à l’autorité ou à la force pour affirmer cette identité, même s’il convient que le « feu identitaire » pourrait fracturer le pays et lui faire courir « le risque d’une guerre civile » (170). Contre ceux « qui tiennent boutique de nos angoisses collectives » (sans citer explicitement le FN) il réaffirme que « la laïcité est une liberté avant d’être un interdit », laïcité évoquée comme « l’un des principes fondateurs de la République ». Pour cette laïcité, « on ne négocie pas les principes élémentaires de la civilité » [5] , ni « l’égalité entre les hommes et les femmes » ; elle est un « refus sans appel de l’antisémitisme, du racisme, de la stigmatisation des origines » (172) ; il réitère un peu plus loin « l’égalité entre les hommes et les femmes », « la liberté de conscience et de culte, y compris la liberté de ne pas croire » (182). Ce disant, il se retrouve sans doute plus proche d’une laïcité inclusive que d’une exclusive. Les lignes consacrées à la lutte contre le salafisme son extrêmement fermes ; il propose que l’État appuie sur le terrain les associations déjà en lutte (174), dans ces quartiers « que nous avons trop souvent délaissés » où même, dit-il, nous avons d’une certaine façon « assigné à résidence leurs habitants. » (175). La culture et le passé, « début de notre avenir » (177) ont un rôle essentiel à jouer dans la construction de cette volonté française. « Notre culture, c’est ce qui nous rassemble » affirme-t-il dans un élan sans doute un peu optimisme. Pour autant, s’« il ne revient pas à la politique de donner un sens à la vie » (177), à chaque vie, les Français seront malheureux « s’ils renoncent à faire vivre un espace politique qui les dépasse, celui de la cité. » (178). Ce chapitre se conclut sur des vues claires et fermes sur l’immigration. Vue généreuse car l’immigration y est présentée comme un « enrichissement, une nécessité profonde » mais vues fermes sur les conditions de mise en œuvre d’une véritable politique de l’asile : réduire la durée de traitement des dossiers à « deux ou trois mois maximum » et reconduire à la frontière les personnes qui sont déboutées de ce droit. Pour mettre fin au scandale des morts en Méditerranée, il propose de traiter les demandes d’asile au plus près des zones de conflit, dans les pays limitrophes et de refondre « l’absurde système de Dublin ».
Protéger les Français (XIII) revient sur le contexte de la France. Il fustige la « foire aux propositions » des politiques, faites soi-disant pour rassurer les Français contre le terrorisme : « les menus des cantines scolaires, la longueur des tenues vestimentaires, les modalités d’acquisition et de retrait de la nationalité française. » (184) Un pays comme le nôtre ne peut pas se réassurer « en reniant les lois qui le fondent ni leur esprit. » La déchéance de la nationalité pas plus que l’enfermement de tous les fichiers S ne sont des solutions et il propose de sortir de l’état d’urgence. Il faut reconstruire un renseignement territorial pleinement opérant et créer une « cellule centrale de traitement des données de masse de renseignement » (à l’instar de ce que font Britanniques et Américains), restaurer la police de proximité créée par Jospin et Chevènement (+ 10 000 fonctionnaires de police). La crédibilité de la réponse pénale s’effondre quand on est sûr que le parquet ne requiert plus de mandat de dépôt quand la peine de prison est inférieure à 2 ans. Il faut redonner du sens au prononcé de la peine, en faisant relever certaines infractions de la simple contravention et non plus du tribunal (exemples du vol, de l’usage et de la détention de cannabis). Il faut aussi assurer une forme de stabilité juridique, en cessant de légiférer en réponse à telle ou telle actualité dramatique. Emmanuel Macron propose une loi-cadre quinquennale sur toutes ces questions. Il ne veut pas revenir au service militaire obligatoire pour tous mais propose la création d’une « réserve opérationnelle » de 30 000 à 50 000 jeunes, hommes et femmes.
Maîtriser notre destin (XIV) passe par l’Europe. La mondialisation est un fait, nous sommes liés les uns aux autres, et la France a « une vocation universelle » (199) et une « voix » (198). Notre langue est parlée par 275 millions de personnes de par le monde et depuis le Brexit, nous sommes désormais le seul représentant de l’Union européenne au Conseil de sécurité de l’ONU. Nous disposons de l’arme nucléaire, nous pouvons « projeter des forces à travers le monde » (199) mais nos interventions doivent « s’inscrire dans le cadre de mandats de l’ONU » et aussi dans un cadre européen, en « dialogue stratégique indispensable avec l’Allemagne ». Ces interventions doivent tenir compte de la réalité des peuples et non de « nos intérêts directs de marchands d’armes » qui nous font soutenir « des régimes dictatoriaux et inefficaces, absolument contraires à nos valeurs. » (201) Emmanuel Macron propose d’ailleurs de faire évaluer par le Parlement vingt ans d’opérations militaires, à froid, hors de la passion ou de l’émotion du moment. Lancer des opérations militaires « lorsqu’aucune option politique n’existe sur le terrain » est pour le moins risqué, comme l’a montré l’affaire libyenne. La suite du chapitre est consacré à une ample revue de politique étrangère autour de trois axes : 1°/ la sécurité extérieure 2°/ l’ensemble de nos relations commerciales économiques et culturelles avec le monde extérieur et 3°/ un « nouvel humanisme à penser », résumé en fin de chapitre : « civiliser par tous les moyens cette mondialisation ». Nous devons cultiver notre relation historique avec les pays arabes et singulièrement le Maghreb, il faut garder la Turquie arrimée à l’Europe, rester vigilant avec Israël (« la politique de colonisation est une faute »), continuer à jouer un rôle de stabilisation en Afrique, face au terrorisme, en lien avec l’Union européenne (formation militaire). Il faut « refonder notre relation avec la Russie », stabiliser la relation avec l’Ukraine quitte à mettre entre parenthèses la question de la Crimée et lever progressivement les sanctions. L’Amérique d’Obama s’est réorientée vers l’Asie, désengagée au Proche et Moyen Orient : la relation de l’Europe avec les États-Unis doit être réévaluée, surtout avec l’élection de Trump. Construire une stratégie diplomatique et militaire de l’Europe à dix ans est essentielle. Le maintien des bourses, des centres culturels et des écoles à l’étranger est encore plus important que celui de nos postes diplomatiques (212). Emmanuel Macron relève que le capitalisme mondial produit plus d’inégalités qu’il n’en a jamais créées dans les pays développés et reprend l’hypothèse (déjà émise p. 64) que ce capitalisme là, en raison même de ses excès, est peut-être « en train de vivre ses dernières étapes. »( 217) Le renforcement d’une régulation internationale est essentiel, contre les financements opaques, en encadrant les rémunérations des dirigeants financiers, etc. Il faut construire sur dix ou quinze ans une « convergence fiscale pour l’impôt sur les sociétés » (218) et faire renégocier tous les accords nationaux avec les paradis fiscaux.
Pour arriver à cela, il est essentiel de refonder l’Europe (XV) en cessant de faire (ou laisser) croire qu’elle est la source de tous nos maux. L’Europe est jeune mais le projet des pères fondateurs, de paix, de prospérité et de liberté, s’est perdu, par manque de vision, dans les traités et les procédures. Aujourd’hui, l’austérité n’est pas un projet et la réduction des déficits publics ne constitue pas une ambition politique. Les États n’ont nommé, délibérément, que des dirigeants faibles à la tête de l’Union européenne et une commission à 28 membres ne peut pas fonctionner. Nostalgie de l’âge Delors… Il y a eu une vraie coupure en 2005 avec le non au référendum sur l’Europe, « devenue trop libérale et éloignée de nos valeurs ». Et les défenseurs de l’Europe, après ce traumatisme, n’ont pas su revenir sur le terrain du débat et des idées. Les valeurs n’ont pas été rappelées aux Grecs, quand il s’est agi de les sauver, ni aux Hongrois et en février 2016, nous avons cédé au chantage du Royaume-Uni en lui offrant « une Europe à la carte » (227). Le Brexit, qui a vu un débat public où se cumulaient « l’arrogance des experts et les mensonges des démagogues » n’est pas une crise britannique mais une crise européenne : tous les scrutins allemands, italiens, autrichiens, les dérives hongroises et polonaises, témoignent d’une fracture entre partisans de l’ouverture et tenants de la fermeture. Il faut « renouer avec le désir d’Europe », avec la philosophie d’un Jacques Delors (229), en travaillant avec l’Allemagne, l’Italie et quelques autres. Pour Emmanuel Macron, les vrais souverainistes sont pro-européens, sauf à confondre souverainisme et nationalisme. La vraie souveraineté des nations ne peut être reconquise qu’au niveau de l’Europe. Ainsi, la vraie protection des États ne peut être assurée par un retour aux frontières nationales. En économie, c’est aussi au niveau européen que les mesures anti-dumping doivent être prises, de façon aussi rapide et puissante qu’aux États-Unis. Il faut lancer un budget de la zone euro finançant les investissements communs et aidant les régions en difficulté. Il faut donc un ministre des Finances de la zone euro, contrôlé démocratiquement une fois par mois par un Parlement de la zone euro. Un plan d’investissement européen doit être déployé (fibre, énergies renouvelables, stockages d’énergie, éducation formation et recherche), qui sera sorti des objectifs de dette et de déficit du pacte de stabilité et de croissance. Il faut retrouver la confiance de l’Allemagne en reprenant les réformes de fond sur lesquelles nous nous étions engagés avec elle, et l’agenda de réduction des dépenses publiques. Il faut que quelques États européens aillent ensemble plus loin en matière de convergence fiscale, sociale et énergétique, formant un cœur de la zone euro. Emmanuel Macron propose en 2017, après les élections allemandes, de lancer des conventions démocratiques autour de l’Europe, pendant six à dix mois, pour relancer le projet européen, élaborant des projets qu’un membre ne pourra pas bloquer s’il ne souhaite pas s’y associer.
Emmanuel Macron ambitionne de rendre le pouvoir à ceux qui font (XVI). A cet effet, l’urgence n’est pas de réformer les institutions comme le souhaitent ceux qui prônent une VIème République, même si on peut réfléchir à la « durée du mandat présidentiel, à la réduction du nombre de parlementaires ou à la réforme de telle ou telle assemblée. »( 245). C’est la pratique des institutions existantes qu’il faut modifier : conditions de la représentativité, mode de scrutin, lutte contre le « bavardage législatif » et « l’instabilité des règles ». Les parlementaires doivent davantage ressembler au pays (catégories sociales, parité). Il faut introduire la proportionnelle quitte à faire entrer le FN : il vaut mieux combattre ses idées que l’empêcher d’être représenté. Limiter le non-cumul des mandats est une bonne chose, même si « le non cumul des indemnités eût été suffisant. » (247) Mais le plus important est le non-cumul dans le temps : la politique doit être une mission, non une profession. De toute façon, plutôt que d’interdire, il faut encourager de nouvelles personnes à se lancer. Les partis d’apparatchiks doivent se transformer pour que « la société s’empare du politique » (249) Emmanuel Macron salue la haute fonction publique, sélectionnée sur concours et non cooptée comme l’élite des partis. Mais l’État doit être capable d’attirer des talents aux plus hauts postes et pour cela mieux les payer tout en allégeant les protections dont bénéficient les corps administratifs. Il faut restaurer le principe de responsabilité. Après l’engagement en Libye, les Britanniques ont mis en place une commission d’enquête, ce que nous n’avons pas fait. La nomination de ministres devrait être entourée de précautions (absence d’inscription au volet B2 du casier judiciaire), audition du ministre avant nomination par la commission compétente du Parlement. On ne peut pas exercer de responsabilité politique lorsque la probité personnelle est mise en cause.
Qui gouverne aujourd’hui ? L’Europe, les partis, les marchés, les sondages, la rue… ? Les gouvernants et au premier chef le président de la République et le Premier ministre doivent prendre le temps d’expliquer plutôt que de « faire de la communication » (255) Et il faut dire, pour gouverner clairement, « ce sur quoi on n’a pas prise », « ce sur quoi on n’a pas les moyens d’agir. »
En finir avec le bavardage législatif implique de considérer enfin que la rédaction d’un texte n’est pas la finalité de l’action administrative. Il s’agit de réaliser des projets et non d’édicter des normes. Il faut revoir les procédures d’adoption des lois qui prend parfois un an, et autant pour les décrets d’application. Emmanuel Macron réclame l’évaluation systématique des lois, deux ans après leur vote et même d’instaurer « une clause d’abrogation automatique en l’absence d’évaluation probante. » (256) Ce qui semble un peu contradictoire avec le souhait de stabilité des lois et des textes qu’il émet juste après .
Emmanuel Macron plaide pour une nouvelle étape de la déconcentration rendant le pouvoir aux services de terrain. Et aussi pour une réforme de l’actuel statut de la Fonction publique.
La démocratie « ce ne sont pas des citoyens passifs qui délèguent à leurs responsables politiques la gestion de la nation. » La fin du chapitre est un éloge des militants associatifs et des bénévoles de toutes sortes qui incarnent « la volonté de servir » (261) « plutôt que subir ».
Chacun d’entre nous est le fruit de son histoire, conclut Emmanuel Macron, en appelant à rêver à nouveau, comme le firent les Révolutionnaires.
Ecrit avec un lyrisme contenu, ce livre est la bouteille à la mer d’un promeneur pressé de retrouver à sa suite ceux qui l’auront repêchée. La question que Staline posait à propos du Vatican peut s’appliquer à Macron : « Combien de divisions ? » Hors partis, quasiment hors sol, il est pour l’heure un promeneur solitaire dans le monde « spectaculaire » des médias. Son pouvoir d’attraction, de séduction politique, est indéniable. Ses meetings font le plein. Beaucoup de citoyens ont déjà cliqué sur ses pages Facebook, mais un clic vaut-il engagement ? De toute façon, qu’il fasse 0,3 % ou 20 % au premier tour des présidentielles, qu’il dure ou qu’il fasse « pschitt » comme le prédit l’acide Attali, Emmanuel Macron restera à jamais, dans l’histoire politique française, « ce marcheur français qui partit d’un si bon pas. » [6]
* les chiffres romains entre parenthèses renvoient aux chapitres et les chiffres arabes à la pagination de Révolution (chez XO, 268 pages, 24 novembre 2016). Ceux entre crochets aux quelques notes ci-dessous.
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Notes :
1. Sartre, cité par Madeleine Chapsal in Oser écrire
2. « On distribuait alors à chacun selon ses besoins » (Ac 4,35)
3. Titre d’un livre du géographe Christophe Guilluy (2014).
4. On le voit, curieusement, Emmanuel Macron ne cherche à contrarier ni le mégalopolisme parisien ni l’héliotropisme français. L’aménagement du territoire volontariste des années soixante, comme celui des villes nouvelles un peu plus tard, n’est plus de saison. Pragmatisme ou écho de sa phrase : "pour gouverner clairement, il faut dire ce sur quoi on n'a pas prise." (p. 255)
5. Sans doute fait-il là allusion au fait qu’un homme doit accepter de serrer la main d’une femme...
6. Cf. Charles Péguy écrivant à propos de Descartes : "ce cavalier français qui partit d'un si bon pas"
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Macron par lui-même (20 avril 2017)
Un pari raisonné
Le 1, hebdomadaire dirigé par Eric Fottorino a rassemblé une série d’articles publiés depuis 2015 dans ses colonnes, sur ou par Emmanuel Macron. La 4ème de couverture indique que, dans ces quelque 120 pages, Macron « se livre à mots découverts ». De tels mots, « découverts », existent-ils ? Pour moi, c’est la dernière lecture politique de Macron avant de voter, dimanche prochain, même si tant de choses se diront encore sur lui et sur les autres candidats d’ici au 23 avril et qu’au fond, tout se joue dans l’isoloir, le jour J. Et, surtout, dernière exploration de la ou des raisons qui font que pour moi, qui ai 66 ans*, Macron est ma première véritable émotion politique et le sera jusqu’au moment où je jetterai mon bulletin dans l’urne. Mais peut-on en politique parier sur une émotion ressentie comme vraie, au point de la considérer comme une raison suffisante ?
Donc, encore lire et réfléchir. Et discuter d’ici là, sans « se laisser intimider par la brutalité du moment » [référence à celle subie par Ricœur à Nanterre en 1968] (36) [1].
Dans la première interview (8/7/2015, 9 mois avant le lancement d’En Marche !), Macron revient sur sa rencontre avec Paul Ricoeur, le philosophe de l’herméneutique , c’est-à-dire de l’interprétation. Il lui attribue le mérite de l’avoir « rééduqué sur le plan philosophique », de l’avoir fait repartir de zéro après une formation classique, scolaire et universitaire et un DEA consacré à Hegel. Ricœur lui a appris deux choses : savoir lire un texte et qu’il n’est nul besoin pour cela d’être un expert. Soit dit en passant, c’est le propre du phénoménologue qu’est aussi Ricœur que de revenir « aux choses mêmes » à partir de la façon dont il les perçoit et non du point de vue des théories qu’on lui en propose. Origine du pragmatisme macronien ?
Il y a chez Ricœur, précise Macron, une « philosophie délibérative », c’est-à-dire une réflexion sur les conditions de production des idées conduisant à l’action, affranchie à la fois de la relation de pouvoir et des risques de la discussion permanente conduisant à « contrarier la prise de décision ». Pour Macron, il faut conjuguer une « très grande transparence horizontale nécessaire à la délibération » et « des rapports plus verticaux nécessaires à la décision. » (24) : pour passer entre deux écueils, « l’autoritarisme » (du 49.3 ?) et « l’inaction politique » (le quinquennat qui s’achève ?). La politique a besoin d’idéologie, éclairant le réel, à égale distance de ce qui serait une « vérité unique » et d’un « relativisme absolu ». Ni-ni bien macronien.
Or, pense Macron, les partis souffrent aujourd’hui d’un déficit d’idées, d’idéologie politique. Comment rehausser la politique au niveau de la pensée ? Être d’un parti ne peut se réduire à avoir sa carte, payer sa cotisation et suivre tel ou tel homme. L’abandon des idées a ouvert le champ des malentendus au sein des partis, devenus des auberges espagnoles. Fuyant les idées, les politiques se sont tournés vers les valeurs, dans un rapport émotionnel aux situations, suiviste des opinions. Symptôme de ce renoncement aux idées : la réduction de l’État à ses fonctions régaliennes, en dehors desquelles il n’est plus pensé, notamment à droite.
Sur la démocratie, dont le processus même et les procédés sont remis en cause aujourd’hui (l’abstention est une des marques de cette contestation), Macron note qu’on ne la connaît que par ses incarnations, nécessairement imparfaites et transitoires. En France, la République est cette incarnation qui peut susciter l’adhésion via ses représentations symboliques et son imaginaire. En dehors de ses incarnations, la démocratie en elle-même ne serait désirable que pour ceux qui en sont privés. Sinon elle est vouée à une forme d’incomplétude : « elle ne se suffit pas à elle-même ». Macron pense d’ailleurs - avec d’autres - que l’interrogation récurrente en France sur la forme présidentielle a ses racines dans un événement traumatique de son histoire, la mort du Roi, « que le peuple français n’a pas voulu », affirme-t-il. Il y aurait donc une névrose politique française instituée par la Terreur. Le vide créé ne s’est comblé qu’épisodiquement, sous Napoléon ou De Gaulle. On attend du président qu’il occupe ce siège vide. La restauration que propose Macron, « en gardant l’équilibre délibératif », c’est « un peu plus de verticalité » : « proposer des idées », en roi-philosophe. Tout pouvoir vient d’en-haut (en grec : anothen) de la transcendance des idées, de leur supériorité originaire. On entrevoit là la critique implicite du quinquennat qui s’achève. La « présidence normale » de François Hollande ne pouvait satisfaire le besoin français récurrent de voir la souveraineté du peuple se réincarner dans un roi (ou une reine) symbolique. Mais ce que veut restaurer Macron, ce n’est pas tant le pouvoir d’un homme - il se défend autant que Mélanchon de « l’omni-présidence », de la « monarchie présidentielle » - que la souveraineté des idées en politique. Soit pour la France « une République plus contractuelle et plus européenne, inscrite dans la mondialisation, avec des formes de régulation » correspondant à notre histoire et à nos souhaits collectifs (34).
Il n’empêche que c’est bien ce « siège vide » [du Roi] qu’il vise, comme tous les autres. Mais il paraît être le candidat le plus au clair avec cette question. Moins ambigü en tout cas qu'un Mélenchon dont on ne sait plus trop, au final, s'il se retirera dès qu'il sera élu comme il s'y est d'abord engagé, laissant travailler ses "constituants", ou s'il reconsidérera la "monarchie présidentielle" comme un "mal nécessaire", se maintenant à son poste (et pour combien de temps ?)
La seconde interview, intitulée « Il est urgent de réconcilier les France » est datée du 13 septembre 2016, donc après la démission du ministère de l’Économie et du gouvernement, mais alors que Macron n’a pas encore officiellement déclaré sa candidature à l’élection présidentielle, même si tout le monde politique s’y attend.
A ce moment-là, Macron entend faire advenir une nouvelle offre politique, autour de l’idée fédératrice de « progressisme » (41). Il y a une alternative dans notre système politique, qui ne se réduit pas à l’alternance de la droite et de la gauche.
Reprenant le vieux thème de la « société bloquée » qu’avait lancé Crozier en 1970, Macron dénonce des maux français bien connus, sources de son immobilisme : le corporatisme, la résistance au changement des corps intermédiaires et le système politique lui-même, autant de phénomènes qui défendent ceux qui sont dans le système, les insiders, au détriment des outsiders. Pour Macron, les nœuds gordiens du pays ont trait au travail, à l’argent, à l’innovation, à la mondialisation, à l’Europe et aux inégalités. La France est partagée entre les gagnants et les perdants de la mondialisation, lesquels se replient dans le fait religieux ou identitaire.
L’enjeu pour la société française est de retrouver de la mobilité, de libérer les accès : c’est là le « cœur de la politique ». « Toutes les politiques d’accès, donc de libération, sont des politiques de justice sociale » (45), sachant que pour Macron, « l’égalitarisme est une promesse intenable. » On ne résout pas (seulement) les inégalités a posteriori par des mesures fiscales compensatrices de redistribution mais (aussi et surtout) en se battant pour offrir l’égalité a priori, au stade des opportunités et des accès. C’est pourquoi la rente d’innovation doit être préférée à la rente de situation. Accumuler en innovant ne doit plus être un tabou. D’où l’accent mis aussi sur l’éducation.
La question qu’esquive Macron, cependant, c’est celle que pose la richesse accumulée jusqu’au stade où elle constitue en elle-même une rente de situation, fermée et contrôlée par le « réseautage » des riches, ne servant qu’à eux, que les Pinçon-Charlot ont bien mis en évidence dans le cas français. On sait bien que notre fiscalité épargne les patrimoines et taxe bien plus lourdement les revenus du travail. « Il y a une guerre des classes, c’est un fait, mais c’est ma classe, la classe des riches, qui mène cette guerre, et nous sommes en train de la gagner ». Je ne sais pas comment Macron commenterait cette déclaration du milliardaire américain Warren Buffet, qui introduit le livre des Pinçon-Charlot, consacré au quinquennat de Nicolas Sarkozy [2].
Il y a d’autres textes dans ce court livre. Deux hommages rendus par Macron, l’un à Michel Rocard, « homme libre », et l’autre à Henry Hermand. Dans un entretien inédit, intitulé « Je n’envisage pas ma vie sans les livres », Macron paye son tribut à sa grand-mère, qui l’initia à la littérature, celle qui « nous rend disponibles à l’émotion du monde » (82). Est-ce la raison pour laquelle ses références semblent classiques, pour ne pas dire anciennes ? Ou bien parce qu’il préfère encore relire que lire ? (85) Peu d’auteurs réellement contemporains sont cités, hormis Quignard. Et aucune femme (m'a fait remarquer la mienne). Mais il s’est vécu lui-même écrivain, à l’adolescence et il peut donc conclure ainsi cette confession : « la culture est le seul horizon valable de notre existence », lui qui en scrute aujourd’hui un tout autre.
Quatre courts textes concluent cet ouvrage.
Eric Fottorino cite abondamment un discours prononcé en janvier 2017 à la Humboldt Universität où Macron redit son attachement au « couple » franco-allemand. Il parcourt rapidement le programme du candidat, avec un préjugé plutôt favorable.
Marc Lambron, à sa manière piquante, voit en Macron non pas un « ludion » mais un « hybride » : « des poumons de philosophe, des cordes vocales d’énarque, des jambes de courtier et un cœur de webmaster. » (117) Pas étonnant qu’une telle chimère attire autant qu’elle n’effraie.
Plus critique, Natacha Polony craint que Macron ne « réduise l’existence humaine au déploiement d’une performance individuelle » (121) et qu’au fond, derrière sa soumission au fait de la mondialisation, il n’ait la même position que Margaret Thatcher face au capitalisme : « il n’y a pas d’alternative ».(122).
Cette critique est sans doute injuste car Macron exprime au moins à deux reprises dans son livre Révolution [3] son scepticisme vis-à-vis du capitalisme : pour lui ; la grande transformation du monde le condamne. Le capitalisme est parvenu à « un stade final » où « par ses excès, [il] manifeste son incapacité à durer véritablement ». La liste des dits excès qu’il énumère est longue : « financiarisation de l’économie, inégalités, destruction environnementale » accompagnés de processus qui en aggravent les conséquences : « augmentation inexorable de la population mondiale, migrations géopolitiques et environnementales, transformation numérique » . Et d’en appeler à une nouvelle « Renaissance en Occident », soit une « réinvention des organisations sociales, politiques, imaginaires et artistiques » analogue à celle du XVIème siècle.
Vincent Martigny rediscute en final le rêve de Macron qui est de substituer une société de mobilité à la société de « places » qui est la nôtre. Mais il redoute que ne persiste en France un « cens caché », celui qui fait que ce ne sont pas les outsiders qui votent. Sur quoi son rêve pourrait se briser le 23 avril, si nous n’étions pas suffisamment nombreux à le partager.
* Je me dois de rapporter ici une anecdote de campagne. Assurant un jour un "kiosque" pour Macron sur la voie publique, un quidam auquel je tendais le programme me lança : "Vous n'avez pas honte à votre âge de tracter pour ce petit merdeux !" (sic). Il s'éloigna puis revint sur ses pas. Je m'attendais à une agression : il me raconta sa vie, pendant une demi-heure... Je suis un piètre militant. Je le fus de façon éphémère.
1. Les chiffres entre parenthèses renvoient à la pagination du livre.
2. Le président des riches, Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot; 2010, Zones, La découverte.
3. Révolution, p. 64. Cf supra.
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Macron l'incompris (9 juillet 2017)
Réussir ou être rien ?
Une phrase de Macron a tourné en boucle sur les réseaux, évidemment extraite de son contexte, soigneusement détourée par tous ceux qui voulaient avoir une nouvelle occasion de crier « oh ! » ou « ah ! ». « Vous croisez des gens qui réussissent et d’autres qui ne sont rien ». Rares sont les commentateurs qui ont réussi à se hisser à la hauteur du propos. Ce fut instantanément le haro : « ça y est, le banquier tape encore sur les pauvres gens » fut l’opinion la plus unanimement partagée. Le mépris pour les « sans-dents » était de retour. Alors que Macron, qui se trouvait dans l’ancienne gare Freyssinet, devenue pépinière de start-up par la grâce (et l’argent) de Xavier Niel, s’était simplement saisi du mot gare, comme allégorie du passage, du brassage et du partage pour improviser un message à l'usage de tous ceux qui allaient avoir la chance d’apprendre là et en seraient redevables aux autres.
Relisons ce qu’il a dit, pour restituer la « petite phrase » dans son contexte. Verbatim :
« Tout ce que l’État porte, vous le partagez : la capacité à faire réussir chacune et chacun […]. Ne pensez pas une seconde que si demain vous réussissez vos investissements, votre start up, la chose est faite. Non. Parce que vous aurez appris dans une gare et une gare c’est un lieu où l’on croise des gens qui réussissent et des gens qui ne sont rien. Parce que c’est un lieu où on passe. Parce que c’est un lieu qu’on partage. Parce que la planète où nous sommes aujourd’hui, parce que cette ville, parce que notre pays, parce que notre continent, ce sont des lieux où nous passons et si nous oublions cela en voulant accumuler dans un coin, on oublie d’où on vient et où on va. »
C’est donc la gare Freyssinet qui a soufflé à Macron ce vieux thème philosophique : « la vie n’est qu’un passage ». Dans ces conditions, il est inutile « d’accumuler dans un coin » pour tenter d'oublier « d’où on vient et où on va », cet inconnu par essence. Les créateurs de start-up doivent s’en souvenir eux aussi. Ils doivent déployer la même intelligence que l’État, « la capacité à faire réussir chacune et chacun. » Macron veut désarrimer les Français de leur obsession patrimoniale, de leurs bas de laine, de leurs retrait(e)s. Refaire circuler l’argent de l’énergie et l’énergie de l’argent. Et c’est un thème qu’il déclinera ad libitum pendant cinq ans, n’en doutons pas. Seuls s’en étonneront encore ceux qui n’ont pas lu Révolution.
Et par ailleurs, qui n’a pas éprouvé dans une gare ce sentiment de n’être rien, justement, ballotté dans ce mouvement de fourmilière, ayant quitté la sécurité d’un lieu de départ et n’ayant pas recouvré celle du lieu d’arrivée ? Il suffisait de retrouver en soi, un instant, ce sentiment de déréliction mais aussi d'ouverture totale à l'inattendu, à l'inouï, pour entendre le mot de Macron. Nous ne pouvons réussir qu’à la condition d’admettre que nous sommes des êtres de passage, perpétuellement entre un avant et un après, un ici et un là-bas. En somme, des riens en transit. Lost in translation. Notre gare, aujourd'hui, c'est le monde. Car le monde est devenu une gare. C'est vertigineux, mais c'est ainsi. Nous y sommes – fondamentalement - des passants. Seuls y réussissent ceux qui ont cette double conviction : d’être rien, d’être des passants. Des perdus et des pas-perdus. Mais il faut avoir pris le temps de l’apprendre, de le comprendre, de l'admettre. Pas sûr que les enseignements de M. Niel y suffisent… Mais relire l'évangile reste une bonne introduction, éclairante, aux paradoxes de la vie. Par exemple : "Le vent souffle où il veut et tu en entends le bruit. Mais tu ne sais d'où il vient ni où il va" (Jean 3, 8). "Qui chercher à épargner sa vie la perdra, et qui la perdra la conservera." (Luc 17,33). Etc.
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Épilogue ?
Depuis quatre ans, je n'ai pas écrit d'autres textes à propos d'Emmanuel Macron, après avoir scruté, voire brièvement accompagné, son irrésistible ascension. Comme tous les présidents avant lui, son image victorieuse au soir des élections s'est érodée et brouillée à l'épreuve que constitue l'exercice du pouvoir présidentiel sous la Vème République, en France. L'élection de 2022 est incertaine.