Dans cette campagne éclair des élections législatives de l'été 2024, personne ne parle de la culture, la grande oubliée des discussions. Sans doute parce que, depuis les années 2000, comme l'explique Philippe Poirrier (dans La Croix du 25 juin, p. 6), un consensus politique s'est développé entre les partis républicains : "démocratiser la culture ; soutenir la création artistique dans sa diversité; protéger le patrimoine ; défendre l'exception culturelle" (c'est-à-dire la mise à part des cultures nationales dans les traités internationaux).
Or, le RN n'adhère pas à ce consensus, la culture étant avant tout pour lui le vecteur du combat pour ses valeurs. Son accès au pouvoir changerait donc radicalement la donne. Privatiser l'audiovisuel public par exemple, qui est à son programme, lui permettrait de remettre en cause l'esprit critique et l'ouverture qui caractérisent encore le service public. On le voit déjà à Europe 1, radio détenue par Vincent Bolloré, où les journalistes se seraient vu interdire de qualifier le RN de parti "d'extrême-droite" (contre une décision récente du Conseil d'État validant ce classement par les préfectures).
Dans les communes gérées par le Front national dans les années 90, les bibliothèques municipales d'Orange, Vitrolles, Marignane, Toulon pour citer les plus marquantes, ont subi cette instrumentalisation de la culture, voyant leurs fonds, jeunesse en particulier, censurés et les achats contrôlés. Marion Maréchal, de son côté, a promis de supprimer le régime des intermittents, ce qui aggraverait instantanément la précarité des artistes et de tous celleux qui contribuent au spectacle vivant.
Peut-être en raison d'une forme d'« invisibilisation des classes populaires dans un certain nombre de créations » contemporaines, pointée par Marjorie Glas, la culture est considérée par l'électorat du RN et nombre de ses cadres comme l'affaire d'une élite parisienne qui dépense beaucoup d'argent pour financer des choses incompréhensibles, qui les font ricaner ou les indiffèrent. Le RN est essentiellement tourné vers la conservation du patrimoine, réduit aux monuments historiques, témoins et garants de la pureté des racines des « Français de souche », contre l'envahissement multiculturaliste, l'une de ses obsessions.
L'arrivée du RN au pouvoir provoquerait donc, entre autres désordres, une "crise de la culture" sans précédent que personne n'a envie de vivre.