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13 février 2025

Adieu Fabrice


Mardi 11 février 2025, adieux à Fabrice Zimmermann. J’aurais voulu dire quelque chose – déformation professionnelle ? – mais il ne me venait que les deux mots : « trop tard ». Trop tard pour dire « bonjour » : celui des obsèques est plutôt un mauvais jour. Trop tard pour dire « je t’aime », déclaration que toi, Fabrice,  en pratique, ne pouvais plus entendre. Et pourquoi aurais-je pris la parole, moi qui, par le fait, t’avais fui depuis que tu m’avais été présenté, avant même que je ne te voie, comme celui qui avait eu « un problème à la naissance ». Infirme, en clair. Trop tard aussi pour demander « pardon ». Mais si « caro infirma est », « spiritus promptus est » : ta tête marchait bien. Très bien même, modulo douleur, souffrance, etc. Imaginais-je. 

Je voyais bien, dans cette petite salle Bigot (sic) du crématorium du Père Lachaise, que j’étais définitivement trop loin, ce lointain où je m’étais tenu, inventant des pudeurs, des peurs de pudeurs, moi le mari de la sœur du mari de la sœur du défunt. Je ne savais guère qu’une chose de toi : ta passion pour tout ce qui touchait au Général, celui qu’on peut se contenter en France de désigner de son grade dans l'armée et d’une majuscule à sa taille. La seule fois où j’étais venu chez toi – avec ta sœur Natalie, pour y emménager ou déménager quelque chose avec ma voiture – j’avais reconnu ta passion à la masse de papiers qui la dessinait dans ton petit deux-pièces. Il t’en aurait fallu une troisième pour héberger toute ta mémoire de Charles de Gaulle, qui poursuivait l'horizon d'une thèse inachevée. Mais je n’ai jamais pris le temps de comprendre où cette passion  s’enracinait précisément en toi avec la force de cette foi que Julia Kristeva l’agnostique nomme « cet incroyable besoin de croire », foi qui n’est qu’un autre prénom de la Vie. Peut-être dans ta souffrance, justement, dont passion est l’autre nom ? N’est-ce pas la souffrance qui entretient les vraies passions, inextinguibles, qu'envient ceux qui n'en ont pas ou qui s'en préservent ? C’est à cela que je pensais en écoutant Cassandre à la flûte et Orane à l'alto jouer pour leur oncle avec leurs larmes contenues par la musique. Je répétais intérieurement le poème tiré de Lorris dans la forêt « Voici qu’un feu couvert par de la cendre humaine/S’est attisé je ne sais dire à quelle haleine », poème de Gérard Murail, qu'il avait consacré à son fils, mari de la sœur du défunt. Nous étions là, vivants et disparus, avant une crémation où tu allais partir en cendres et fumée. Et je chantais tout aussi intérieurement le Salve regina, à toi, « l’enfant d’Ève exilé dans cette vallée de larmes pour y gémir et pleurer ». Drôle de programme. Maudite intériorité.

Il y avait deux côtés dans la salle Bigot qui s’étaient répartis naturellement, comme un fleuve docile, entre les deux rangées de bancs : à droite, le côté du sang, à gauche, le côté de l’alliance ; l’alliance que nouent l’amour et l’amitié, le sang qui coule silencieusement des veines de la mère et du père vers celles de leurs descendants. Natalie avait choisi, pour son frère, de franchir cette ligne de démarcation invisible en s’asseyant à gauche, à côté de Rita, compagne des trois dernières années de Fabrice, comme pour dire que le seul vrai sang était justement le sang de l’alliance, produit de ce pas de côté qu’elle avait fait en cet instant. 

Et moi je pensais, en écoutant l'introduction de Lohengrin diffusée par le maître de cérémonie, au « sang de l’alliance nouvelle et éternelle qui sera versé pour vous et pour la multitude en rémission des péchés » paroles que le prêtre prononce à la messe, au moment où il consacre le pain et le vin. Le poème de Gérard que je n’ai pas récité se termine ainsi : « Pris à la source de la soif, tison éteint/Dans l’eau qui brûle et trempe au feu de l’Esprit saint ». C’est cet Esprit de feu qui nous rassemblait mardi, auquel il nous reste de croire, autant à moi qu’à toi, athée certifié par ton entourage, pour que sa force nous unisse enfin au dernier jour. Au revoir, Fabrice.

24 septembre 2015

L'homme qui jouait de l'orgue



Bertrand Ferrier, en caustique des buffets...

 …il s’agit bien sûr des buffets d’orgue auquel notre littérateur éclectique se frotte avec amour et humour depuis de nombreuses années, car la valeur chez lui n’a pas attendu, etc. Ne dites surtout pas à sa mère qu’il est organiste titulaire à Saint-André de l’Europe, elle croit qu’il chante tous les soirs au Connétable.

En lisant ses quelque 250 pages (éditées chez Max Milo), j’ai mieux compris pourquoi, dans les années 70, M. Guillard tordait le nez en me voyant débarquer avec ma guitare en l’église des Blancs-Manteaux pour soukousser une « messe de jeunes ». A l’époque, mon statut de séminariste en recherche me commandait d’animer parfois les offices du lieu. Or, l’organiste, quand il est en charge d’un instrument aussi prestigieux, placé de surcroît sous la houlette d’un Dominique Merlet, tolère assez peu la concurrence d’un jeunot aux talents musicaux non homologués, dont la guitare acoustique ne transmet ses sonorités faiblardes et imprécises qu’aux premiers rangs de l’assemblée (ceux où siègent les jeunes, la nature est bien faite, malgré tout), alors que ses grandes orgues, malgré leur genre indécis, tantôt féminin tantôt masculin, pourraient de leur souffle faire courber les têtes les plus raides de l’assemblée, et, jusqu’au chœur, tourner les pages du lectionnaire voire soulever la chasuble du prêtre. Surtout si le susdit jeunot ose introduire dans la liturgie des chants - qu’entends-je ? - des chansons, qui ne relèvent d’aucune Versammlung officiellement reconnue par le CNSMP ou le Missel romain et qui se jouent sans partition sur les accords de l’Anatole.

Mais bref, je ne suis pas là pour parler de moi, comme dirait Bertrand, mais de l’excellent livre de M. Ferrier qui conte et compte par le menu la vie quotidienne, aussi précaire qu’exaltante, d’un organiste au temps des banlieues parisiennes lointaines et des caprices de ses multiples interlocuteurs paroissiaux. Du berceau à l’urne, funéraire et non électorale, en passant par les mariages, les grandes fêtes de Noël et de Pâques et le temps qu’on dit ordinaire, l’homme qui jouait - et joue encore et pour longtemps, on l’espère, tout imparfait qu’il soit - de l’orgue, alterne les brèves d’autel, plutôt que de comptoir, que ses amis Facebook ont pu découvrir avant tout le monde, avec les réflexions plus amples qu’ont suscité les péripéties heureuses (ou moins) de sa jeune et déjà longue carrière, au service de la Bête-orgue et de ceux dont il est chargé de consoler les joies et les chagrins en jouant pour eux. Nonobstant la somme de médiations obligées qui s’interposent entre sa musique et le cœur des fidèles, tous ces serviteurs officiels ou bénévoles de l’Eglise ou de la Synagogue, corps intermédiaires qui subissent ici un check-up complet qui n’épargne rien ni personne, notre auteur livre au final un constat lucide mais pas désenchanté sur sa mission haut perchée et les avatars de celle-ci.

L’homme ne vit pas seulement de l’orgue, la preuve, il écrit aussi d’excellents livres – et celui-ci est loin d’être le premier – car il a bien des cordes à son tuyau. Mais organiste est sans doute une sorte de sacerdoce premier chez lui, tant l’instrument qu’il a choisi (ou qui l’a choisi) semble être consubstantiel à une religion, la chrétienne, de plus en plus méconnue et donc incomprise, mais toujours mystérieusement requise aux moments cruciaux de l’existence par les plus athées des hommes. Que l’humour aussi scatologique qu’eschatologique de Bertrand Ferrier en vienne à nous faire toucher du doigt – je ne dis pas lequel - ce mystère, n’est pas le moindre mérite de notre auteur et de son livre pour le moins… endiablé.


L'homme qui jouait de l'orgue - Bertrand Ferrier - Max Milo - 27 août 2015 (256 pages, 19,90 e)


Le consultant

Blesser/Guérir   "Les consultants sont comme les Juifs : incapables d'expliquer ce qu'ils sont." Simon Maïmonide J'ava...