Mardi 20 octobre 2009 (matin)
L'anse Vata vue par ma fille. J'aurais aimé prendre cette photo.
Nous
sommes à Nouméa depuis samedi soir. Nous, c’est-à-dire
Marie-Aude, Constance et moi. Marie-Aude est invitée pour deux
semaines en Nouvelle-Calédonie. Son livre 22 ! a été élu par les
enfants de CM2 et de 6ème qui participaient au concours organisé
annuellement par l’association Livre, mon ami. L’association nous
a généreusement logés dans une suite du Ramada Plaza, un des
grands hôtels qui jouxte l’anse Vata, l’une des plus belles
plages de Nouméa. Nous nous recalons péniblement sur les horaires
locaux (neuf heures de décalage avec la métropole, à 7 h du matin
ici, il est 22 h à Orléans). Hier soir, nous nous sommes couchés
vers 19 h, moi le premier effondré, après la réception au
vice-rectorat. Résultat, nous étions frais comme des gardons… à
3 h du mat’ et n’avons guère redormi. Pendant nos insomnies,
Marie-Aude et moi découvrons Henry James. Constance lit La princesse
de Clèves, l’une des lectures obligées de la Première.
Marie-Aude est partie en animation à 7 h 30 ce matin, un peu
démâtée, accompagnée par Bernard. Au programme, une école
primaire à La Coulée et le collège de Plum, derrière le Mont-Dore
local. Ce mont proche de Nouméa doit son nom à la couleur qu’il
prend dans le soleil couchant et, accessoirement, au premier évêque
local, Mgr Douarre, qui était auvergnat et l’a ainsi baptisé.
Nous retrouverons Marie-Aude vers 16 h ce soir. Demain, nous
l’accompagnerons à Yaté, sur la côte ouest, au pied du grand
barrage qui alimente en électricité le Territoire (c’est ainsi
qu’on nomme ici la Nouvelle-Calédonie). Ici, l’industrie du
nickel consomme trois fois l’énergie nécessaire aux seuls
habitants. Grâce à sa centrale au charbon (et maintenant au fuel),
la Nouvelle-Calédonie se place au rang des pires pollueurs de la
planète par tête d’habitant. C’est un indicateur injuste, me
fera remarquer Paul Maes : on ne produit pas impunément 12 % du
nickel mondial – bientôt beaucoup plus - sur une île qui fait
trois fois la Corse.
Aujourd’hui, je vais explorer Nouméa avec
Constance.
jeudi 22 octobre 2009 (soir)
Nous venons de
passer une journée en rêve à Ouvéa. Levés à 4 h 15 pour être
emmenés à 5 h dans le 4 X 4 de Jean et Brigitte Simon, nous sommes
arrivés très en avance au petit aérodrome Magenta qui dessert les
îles. Nous avons retrouvé le vice-recteur de la Nouvelle-Calédonie,
Ives Melet, après avoir pris un petit déjeuner au bar de l’aérogare
et nous nous sommes embarqués dans un ATR72 d’Air Calédonie. A
l’arrivée, deux jeunes filles en robe mission, escortées par un
enseignant, nous ont offert des colliers de fleurs et des couronnes
tressées avec des feuilles de coco séchées. Puis Samuel,
l’organisateur de la journée est arrivé et nous sommes partis,
tous couronnés, y compris le vice-recteur, jusqu’à Fayaoué. Nous
étions attendus à l’école primaire catholique Saint-Michel. Une
tente et une sono étaient déjà installées devant une petite
église pimpante, entièrement restaurée l’an passé à l’occasion
du 150ème anniversaire de l’arrivée de la mission catholique sur
Ouvéa. Puis les groupes d’enfants nous ont rejoints un à un,
vêtus de couleurs vives, chaque école ayant la sienne. La cérémonie
a commencé avec le « geste » coutumier d’accueil : remise d’une
étoffe de couleur et d’une corbeille tressée dans laquelle était
coincé un billet de 1000 F.
Les billets de banque émis par l’Institut d’émission d’outre-mer sont colorés, coloniaux, très beaux, bien plus que nos tristouilles euros (1000 francs Pacifique font un peu moins de 10 euros). Réponse au geste d’accueil par Brigitte Simon, qui a également remis deux étoffes au chef local. Marie-Aude a dit également un mot. Les activités préparées par les différentes classes ont pu alors commencer. Les 6ème du collège Guillaume Douarre ont d’abord entonné un chant d’accueil en langue faga uvea, accompagnés par Samuel à la guitare. Puis, les CM2 d’Eben Eza ont posé des questions qui ont permis à Marie-Aude de se présenter. Les CM2 de Saint-Michel ont présenté une bande dessinée fixée sur un grand panneau, qui réinterprétait 22 ! S’est ensuivie une chorégraphie sur le même 22 ! par les 6ème du collège Eben Eza, aidés par quelques parents qui assuraient l’accompagnement musical. Les 6ème du collège Hwadrilla ont lu un poème consacré à 22 !. Toute cette cérémonie en plein air a été suivie d’une rencontre, dans une classe, avec des délégués de chaque école, pendant que les enfants goûtaient sur l’esplanade, à deux pas du plus beau lagon du monde….
Après un dernier geste d’adieu – Marie-Aude a
remis une étoffe et un exemplaire de l’Espionne - nous sommes
partis dans un mini-bus, accompagnés par quatre enfants jusqu’aux
falaises de Lekiny. Là nous avons retrouvé une classe «
environnement » qui s’employait à nettoyer l’endroit et à lui
redonner vie et propreté, juste en face des falaises. Photo de
groupe :
Puis nous sommes partis déjeuner avec les enseignants et quatre petits guides chez Roger Alosio : apéritif, entrée de crevettes, bougna au poisson et au tarot (sorte de patate douce, un des féculents de base de l’alimentation locale), poisson cuit à l’étouffée, dessert d’oranges et de pommes, le tout excellent. Nous avons repris l’avion à 15 h 30. Depuis ce qu’on appelle ici pudiquement « les événements », certains habitants pensent encore qu’Ouvéa est une île maudite. Une jeune institutrice originaire de l’île en a fait la confidence à Brigitte. A quinze ans, elle était en internat à Nouméa et en a pris « plein la figure » quand Jean-Marie Tjibaou et Yeiwéné Yeiwéné ont été assassinés à Ouvéa par un insulaire, le 4 mai 1989. Elle pensait même, vingt ans après, que nous ne viendrions pas. Aucun auteur de l’opération Livre mon ami n’était revenu à Ouvéa depuis dix ans. Il semble bien qu’il y ait encore un « complexe ouvéen » mais Marie-Aude ne l’a pas senti dans la nouvelle génération qu’elle a rencontrée. Pour eux, c’est déjà de l’Histoire. Ils n’étaient pas nés à l’époque, les jeunes qui chantent et dansent aujourd’hui devant elle.
La veille, mercredi, nous sommes
allés dans le sud, jusqu’à Yaté. Cette fois, nos guides étaient
Bernard Capecchi, un géographie intarissable, et sa femme Eliane,
moins bavarde mais plus vigilante, sur les horaires comme sur les
itinéraires, quand Bernard, lancé sur une explication, ratait un
croisement... Partis vers 7 h, nous sommes arrivés après une bonne
heure et demie d’une route qui tournicotait pas mal, jusque sur les
bords du lac de retenue du barrage de Yaté. Le lac était à son
étiage, découvrant ses rives rouge latérite et les squelettes
blanchis des niaoulis, derniers témoins debout de la forêt ennoyée.
Nous avons grimpé au sommet du « mur » de Yaté, qui tombe vers la petite ville, blottie près de sa ria, et abritée derrière son récif « frangeant ». Arrivés au collège, Constance et moi avons laissé Marie-Aude à son animation et Bernard nous a emmenés, Constance et moi, jusqu’au barrage de Yaté, achevé par Edf en 1959.
Lundi 26 octobre
…Ce barrage est à lui seul
un véritable exercice de style, commenté par Bernard, car il
combine quatre types de construction en un seul : le barrage-voûte
(style Tignes), le barrage en contrefort (type Génissiat), le
barrage en terre (les ingénieurs d’Edf ont réalisé là les
calculs qui ont servi pour Serre-Ponçon) et le barrage-digue.
Inspecté par le bureau Véritas à l’occasion de ses cinquante
ans, il a été déclaré bon pour le service pour les cinquante
années à venir ! L’électricité qu’il fournit ne sert plus
désormais qu’à écrêter les pointes de consommation du
Territoire. Nous nous sommes baladés dans la nature environnante,
repérant grâce à notre guide quelques plantes endémiques, comme
le « gourde du mineur », une plante carnivore qui recueille l’eau
de pluie, y attire les insectes sur lesquels elle referme un
couvercle pour pouvoir les digérer tranquillement. De retour au
collège de Yaté après avoir fait un crochet par l’usine d’Edf
en contrebas, nous avons dégusté notre premier bougna : du poulet
et des tarots, baignant dans du lait de coco et cuits à l’étouffée
dans des feuilles de bananiers. Le principal de l’endroit avait
sorti sa guitare ce qui nous a donné l’occasion, à Marie-Aude et
moi, d’offrir à l’assemblée une interprétation inoubliable
(évidemment) des Champs-Elysées de Joe Dassin…
Au retour
nous avons emprunté la piste que vont utiliser les camions qui
achemineront la latérite vers l’usine du Sud en construction sur
le site de Goro : extraction du nickel par hydrométallurgie. La
latérite est pulvérisée en fines particules, de l’ordre du
micron et mélangée avec de l’acide sulfurique. Ce jus est porté
à 500 bars de pression dans d’énormes cocottes-minute. L’acide
sulfurique perd son hydrogène et se combine avec les métaux pour
donner des sulfates de nickel, de cobalt, etc. Ce sont les Allemands
qui ont construit le bout d’usine qui va produire sur place l’acide
sulfurique nécessaire et qui en ont déjà déversé
accidentellement 40 m3 dans une rivière puis dans l’Océan. La
nature semble l’avoir bien pris - en dehors des poissons et
végétaux qui étaient sur le trajet de l’acide - mais la facture
pour les Allemands va être lourde car un certain nombre de
paramètres de l’usine, tuyauteries, bassins de rétention, etc.,
sont à revoir… Et l’accident a remis en avant le risque
écologique que fait peser l’exploitation du nickel sur l’île.
Mais les enjeux de développement sont trop importants tant dans le
Sud que dans le Nord (nouvelle usine de Voh) pour que des projets
industriels de cette ampleur soient remis en cause.
La
piste est devenue une véritable autoroute de latérite sur laquelle
Bernard pouvait rouler sans risque à 100 à l’heure.
Les exploitants ont pris des engagements : après avoir gratté la couche superficielle de latérite, ils vont remettre de la terre et planter des arbres pour reconstituer une forêt au lieu et place du « maquis minier » qui s’étendait jusqu’ici sur les espaces labourés puis abandonnés par les mineurs. Nous sommes passés par les chutes de la Madeleine, petit Niagara local au cœur d’un domaine naturel protégé et aménagé. Puis retour à Nouméa vers 16 h.
Je
reviens en arrière. Il y a juste une semaine, Marie-Aude a fait sa
première animation chez un jeune instit’, Jean-Claude Massa.
L’après-midi, nous avons été reçus au vice-rectorat pour une
cérémonie-cocktail de bienvenue avec toute l’équipe de Livre,
mon ami. C’est là que nous avions fait connaissance avec le
vice-recteur, M. Ives Melet.
Le mardi, Constance et moi avons
laissé Marie-Aude partir et nous avons commencé l’exploration de
Nouméa (après avoir commandé une voiture pour l’expédition du
vendredi à Païta et réservé la journée au phare Amédée du
samedi). Pris à l’anse Vata, le bus nous a débarqués sur la
place des Cocotiers, qui est le cœur de Nouméa et de son
quadrillage colonial de rues. Nos déambulations nous ont conduits
successivement au musée de la ville de Nouméa, implanté dans
l’ancienne mairie, ex-première banque éphémère de la
Nouvelle-Calédonie, puis dans un snack où nous avons déjeuné.
Après quoi nous sommes montés jusqu’à la cathédrale qui domine
la ville et nous avons admiré la superbe voûte en bois, due à un
prêtre ancien charpentier de marine. Nous voulions aller jusqu’au
parc zoologique et botanique mais après une petite grimpette
supplémentaire, celui-ci nous a paru provisoirement hors d’atteinte.
Nous sommes redescendus dans le centre, passant par une librairie
scolaire, dont le propriétaire, M. Collette, avec qui j’ai
bavardé, était justement le correspondant de l’école des loisirs
et le fournisseur local des livres de Marie-Aude. Marie-Aude était
déjà à l’hôtel quand nous sommes revenus.
Vendredi
matin, nous sommes partis à Païta. Je suivais la voiture d’Aline
qui accompagnait Marie-Aude ce jour-là. Le collège Louise-Michel de
Païta est flambant neuf… et déjà trop petit car Païta se
développe comme une ville-champignon, dans l’orbite de Nouméa.
Elèves et professeurs sont partis à travers champs jusqu’à une
habitation-musée toute proche que nous a fait visiter une guide en
costume d’époque. La tombe d’un des premiers et plus célèbres
colons de l’île, James Paddon, se trouve à Païta ; les colons
allemands qui avaient fondé la station sont enterrés à proximité
de la maison. Nous avons laissé Marie-Aude après nous être donné
rendez-vous au restaurant du mont Koghi. De là-haut, j’ai
entrepris avec Constance une balade d’une heure et demie dans la
forêt, jusqu’à une cascade que nous avons fini par trouver après
quelques détours hors piste… Au retour, nous avons croisé Aline
et Marie-Aude qui nous avaient rejoints. Evelyne s’est jointe à
nous pour le déjeuner (excellent, Constance a mangé une…
tartiflette, pas vraiment un plat local !). Je suis reparti vers
Nouméa avec Constance et nous avons cherché – et finalement
trouvé – le parc botanique, situé sur les hauts de Nouméa.
Occasion
de découvrir le fameux cagou, l’oiseau-fossile rescapé de Gondwana et emblème du Territoire :
« Fossile toi-même, patate ! ». A la sortie du parc,
nous retrouvons Aline et Marie-Aude de retour de Païta. Aline nous
conseille de faire un crochet par le relais-télévision tout proche
qui domine la rade de Nouméa. Vue imprenable à 360°, coucher de
soleil et…fumées de l’usine de la société Le Nickel
garantis.
Notre sortie de samedi au phare Amédée s’est
déroulée selon un planning qui ne laissait pas grand place au
hasard : tout était organisé de A à Z, mais sans que cela fût
pesant, car on pouvait participer… ou s’éclipser. Après trois
quarts d’heure de navigation dans les embruns, nous avons débarqué
sur l’îlot au son des guitares et des ukulélés. Et la journée
s’est enchaînée sous le soleil : baignades, premières visions
sous-marines (j’avais loué masque, tuba et palmes), repas avec
musiques et danseuses, qui associaient joyeusement l’assistance à
leurs déhanchements, visite du phare (Constance a « calé » à la
perspective des quelque 250 marches et Marie-Aude en a retiré des
crampes aux mollets), démonstration de grimper au cocotier
(sélectionné pour l’épreuve, je ne suis pas arrivé jusqu’en
haut…) et de nouage de paréo (Constance s’en est mieux tirée
que moi), exploration des fonds dans un bateau à fond de verre :
nous avons été les seuls à nous jeter à l’eau pour donner à
manger aux poissons qui se ruaient sur nos vieux croûtons moisis.
Dimanche matin, relâche et bagages avant de partir
vers Koné. Je vais à la messe de 10 h à l’église du Vœu, «
vœu » que la 2ème guerre mondiale épargne la Nouvelle-Calédonie,
ce qui fut le cas, sinon dans ses enfants, du moins dans sa terre.
Les Américains, qui ont utilisé le Caillou comme base arrière de
leurs opérations dans le Pacifique, ont laissé quelques traces de
leur passage, notamment les tiques du bétail, qui n’existaient pas
sur l’île. L’américanophilie n’est pas un vain mot à Nouméa
: pour certains, le 4 X 4 Chevrolet reste le must, loin devant les
japonais ou les coréens. Il y a même un club de passionnés de la
bonne vieille « Jeep » qui défilent une fois par an dans les rues
de la capitale dans les uniformes et les matériels de l’armée
américaine, pieusement conservés et briqués.
Nous sommes
arrivés hier soir à Koné grâce à Jean et Brigitte, après cinq
heures de route dont deux arrêts, un à Foa et l’autre à Bourail,
où, après avoir fait un détour par la Roche Percée, curiosité
naturelle de l’endroit, nous avons mangé des nems dans un petit
snack routier qui ne désemplit pas. Pendant cette longue route nous
avons découvert le paysage de brousse, les champs immenses et les
troupeaux de bovins ou de chevaux, avec à l’horizon le lagon d’un
côté et de l’autre la Chaîne qui, sur 400 km de long, sépare la
côte orientale de l’occidentale. De loin en loin, un flamboyant en
fleur. C’est l’arbre qui signale l’arrivée du printemps en
Calédonie et… la fin de l’année scolaire. Arrivés à la nuit,
l’Hibiscus était fermé mais sa patronne, une grande et élégante
jeune femme, n’était pas loin et nous a fait les honneurs
nocturnes de son splendide hôtel, récemment rénové. Marie-Aude
s’est plongée immédiatement dans la piscine. La déco du jardin
revue en plein jour est splendide, mi-japonaise, mi-mélanésienne.
Chauffe-eau solaire et pompes à chaleur apportent la touche écolo à
l’ensemble. Marie-Aude est partie en animation lundi matin avec
Jean et Brigitte, rejoints par Evelyne dans son pick-up de
broussarde. J’ai fait quelques courses dans le centre de Koné avec
Constance et nous avons bouquiné l’un et l’autre. A midi, nous
avons déjeuné tous les six à l’hôtel, où tout était de
qualité. La cuisine de l’Hibiscus est aussi « quatre étoiles ».
Constance termine Au
bonheur des dames
avant d’attaquer Lambeaux,
l’une de ses lectures obligées avec La
princesse de Clèves
et L’absolue
perfection du crime.
J’en profite pour lire ou relire moi aussi tous ces livres. Avec un
petit plouf dans la piscine.
Mardi 27 octobre
Deuxième
journée à Koné. Marie-Aude vient de repartir avec Brigitte et
Jean. Un collège ce matin et en début d’après-midi, d’autres
collégiens venus exprès en car de Hienghène, sur la côte Est, la
patrie de Jean-Marie Tjibaou. Ce soir, à 18 h, rencontre dans un «
château » tout proche. Hier soir, le journal télévisé local de
RFO a rendu compte de la rencontre du matin au collège de Koné :
interview de Marie-Aude et d'un des jeunes élèves, Boris. Brigitte
était très contente car c'était une première dans l'histoire de
Livre, mon ami,
que cette prestation au JT.
J’ai visité Koné hier avec
Constance. On en fait vite le tour. Cela ressemble à une ville du
Far-West avec une rue centrale, des trottoirs qui s’interrompent de
temps en temps, des maisons ou des magasins alignés… ou pas, peu
de vitrines. La pharmacie est une vraie pharmacie, à l’extérieur
comme à l’intérieur. La mairie est à la croisée des deux rues
principales et une maison commune traditionnelle au toit de chaume
occupe une partie de la cour intérieure. Mais la ville est appelée
à croître grâce à la nouvelle usine d’extraction et de
traitement du nickel qui va s’implanter à Voh.
La province
du Nord est une assemblée de tribus. Au bord de la route, aux
intersections, les panneaux indicateurs ne portent pas le nom d’un
hameau ou d’un village comme en métropole mais signalent
simplement : « tribu de Ouate » ou « tribu de Ouatom ». Hier
soir, nous avons dîné avec la principale du collège que Marie-Aude
avait visité le matin. Une femme solide, avec un fort accent du
Sud-Est (elle est toulonnaise). Elle a choisi de quitter son premier
poste à Nouméa pour partir « en brousse », à Hienghène et
aujourd’hui à Koné, parcours à rebours de l’habituel : finir
sa carrière à Nouméa, en ville, est l’itinéraire « normal ».
Son gendre est un kanak de la tribu de Jean-Marie Tjibaou, à
Hienghène et elle nous montrait fièrement des photos de sa fille et
de son petit-fils métis au milieu des siens. Pour l’heure, ils
sont partis tous les trois… en Auvergne pour trois ans. Son gendre
fait une formation de soudeur et reviendra dans son pays quand il
sera prêt à le faire bénéficier de ses nouvelles compétences.
Je
viens de terminer un livre sur et de Louise Michel, Matricule 2182,
qui contenait notamment de nombreux extraits de son séjour en
Nouvelle-Calédonie, où elle fut condamnée à être « transportée
» après la Commune. Image étonnante de cette femme à la candeur
indomptable, qui devint l’amie des Kanaks et sut les comprendre et
les défendre quand la plupart des colons et des militaires ne
voyaient en eux que des « sauvages ».
mercredi 28 octobre
2009
Il n’y avait pas foule, paraît-il, à la conférence
de Marie-Aude au château Grimini de Pouembout. Un seul enseignant de
Koné s’était déplacé, celui qui l’avait reçue le matin même
et qui était venu avec sa femme et leur bébé de deux mois… Les
autres étaient restés chez eux et Michelle, la principale, n’était
pas là non plus. En revanche de courageuses bibliothécaires et
documentalistes de la côte Est n’avaient pas hésité à traverser
la Grande Terre pour venir entendre Marie-Aude, qui est rentrée vers
20 h avec Jean et Brigitte. Marie-Aude avait préféré que Constance
et moi n’y allions pas. Elle a peur de se répéter devant
nous.
Nous arrivons de Koné après trois heures et demie de
route. Nous sommes partis vers 7 h du matin, laissant à regret le
merveilleux hôtel Hibiscus et notre hôtesse, Cécile Kubeck.
Aujourd’hui, c’est le jour de la remise officielle du prix Livre,
mon ami, au
centre culturel Jean-Marie Tjibaou, l’un des derniers grands
travaux mitterrandiens, réalisé par l’architecte italien Renzo
Piano. Une des fiertés architecturales de l’île et de la région,
avec l’opéra de Sydney.
Jeudi 29 octobre 2009
J’écris
sur un ordinateur qui s’obstine à se croire le jour d’avant. Je
suis jeudi et « il » est mercredi. Il s’en faut de dix heures.
Nous résorbons rationnellement cette anomalie en parlant de décalage
horaire mais tout se passe comme si ce que j’écris ce matin
s’enfuyait à l’instant hier soir. Le temps n’a plus rien
d’absolu parce que je suis dans un autre espace. Tout est devenu
relatif.
Marie-Aude a reçu hier son trophée Livre,
mon ami au
centre culturel Tjibaou. La cérémonie a fait se succéder sur la
scène un nombre impressionnant d’enfants : rap sur les titres des
ouvrages de l’auteur, chorales, chorégraphies sur un slam de Grand
Corps Malade. C’est Fred Fichet, un sculpteur métro installé
depuis vingt ans en Nouvelle-Calédonie, – il avait épousé une
Calédonienne qui, m’a-t-il dit, est repartie en France tandis que
lui restait là - qui avait fabriqué le trophée. Les infos
télévisées du soir ont consacré quelques instants à la remise du
prix et Les Nouvelles de ce matin un petit article avec photo de la
récipiendaire. Un petit goûter a été offert aux enfants par
l’association, ce qui nous a valu de discuter avec les uns et les
autres. Corinne Albaut était là et nous a invités chez elle ce
soir.
Pour moi le plus intéressant est ce qui a suivi : une
visite du centre, en compagnie de Francesca ( ?), une jeune guide
kanak qui, chemin faisant, nous a parlé aussi et surtout de la
culture de son peuple et de la façon dont elle la vivait et la
ressentait. Je sais que je l’ai écoutée avec attention, que je
lui ai posé des questions, mais je n’ai réalisé que ce matin au
réveil la force qu’avaient pris ses propos dans mon esprit. Il y a
dans le centre un chemin qui évoque les cinq étapes de la vie
kanak, de la naissance du premier homme à sa renaissance.
Malheureusement, nous n’avons pas eu le temps de l’emprunter.
Autrefois, nous a raconté Francesca, le défunt était confié,
enveloppé dans une étoffe, aux racines d’un banian. Un gardien,
revêtu d’un masque, lui était assigné, qui pouvait rester plus
d’un an à veiller le corps, la tribu pourvoyant à son
alimentation. Puis lorsque le temps du deuil était accompli, le
corps était déposé dans une grotte. Donc pas d’ensevelissement,
pas d’incinération. La civilisation française a évidemment rendu
impossible ces rites funéraires, et leur a substitué les sépultures
chrétiennes. Mais sur Ouvéa, nous avons entraperçu des cimetières
au bord de la route : pas de tombes en marbre, mais un poteau fiché
en terre, et orné d’étoffes multicolores nouées au bois
vertical.
vendredi 30 octobre 2009
Dernier jour
d’animation pour Marie-Aude. Ce matin, c’était deux classes de
CM2. Anne-Marie est venu nous rechercher vers 10 h 30 car la seconde
classe avait préparé une multitude de plats locaux tous plus
délicieux les uns que les autres. Constance et moi avons été
accueillis avec la fameuse chanson « mon cœur est en Calédonie »,
qui est devenue une sorte d’hymne inscrit au répertoire de toutes
les chorales scolaires. La jolie maîtresse aux yeux d’or avait
fait superbement travailler les enfants.
Le temps est
maussade aujourd’hui sur Nouméa. Il a plu et alors que Constance
et moi attendions notre bus sous un soleil éclatant, nous en sommes
descendus place des Cocotiers sous une averse, juste pour nous
réfugier à l’Atelier des femmes (où Constance a trouvé un
collier). Notre après-midi de courses en a été un peu refroidie.
La pluie ayant cessé, nous avons quand même pu circuler dans le
Chinatown local et faire une ou deux emplettes. Mais je sens bien que
je ne suis pas le complice de shopping idéal pour ma fille.
Hier
soir, nous avons dîné chez Corinne et son compagnon, qui vivent
dans une résidence-hôtel dominant l’anse Vata. Demain, si le
temps le permet, le mari de Juliette, Paul Maes, nous emmène faire
une balade dans son hélicoptère.
Dimanche de la
Toussaint
Je suis retourné à la messe dans l’église du
Vœu, bien pleine à l’office de 7 h du matin.
Je reviens sur
la balade en hélico d’hier. Samedi matin, Juliette nous a donc
appelés : « Le temps est Ok, je passe vous prendre et vous conduit
à l’aérodrome Magenta, Paul vous emmène dans le Sud ». Notre
pilote est un petit homme noueux, aux gestes précis, plutôt
rassurant, mais peu loquace, nous a prévenu Juliette. Mais a-t-elle
ajouté, il répondra à toutes vos questions. Je suis impressionné
en montant dans la cabine de l’hélico vert pomme. Un quatre
places. C’est mon baptême d’hélico, pour Constance aussi. Paul
nous fait coiffer chacun un casque audio qui va nous servir à
communiquer pendant tout le voyage. Je monte à l’avant, Constance
et Marie-Aude sont derrière. Juliette nous prend en photo. Paul
démarre sa machine qui monte en puissance. Dialogue avec la tour de
contrôle. En souplesse, l’engin quitte le sol et file à deux ou
trois mètres au-dessus du sol pour prendre la piste et décoller
comme un avion. Très vite nous sommes au-dessus de l’océan. Nous
volons à 500 pieds, altitude déclarée au contrôleur aérien (une
jeune femme, d’après la voix) et qui s’affiche sur l’altimètre.
Je filme. Nous volons à 180 km/h mais l’océan sous nos pieds
semble presque immobile. Paul tient dans sa main droite un petit
manche recourbé qui ne paye pas de mine. Il a aussi une pédale sous
chaque pied. Rien de spectaculaire dans un pilotage économe de
gestes. Nous quittons la mer pour entrer sur la Grande Terre, par une
ria. Nous survolons une crête couronnée d’éoliennes et nous
redescendons vers un ancien bagne. Paul nous signale, au milieu d’une
anse une curieuse baignoire de pierre, émergeant de l’eau, restes
d’un jacuzzi construit autrefois par les Japonais sur une source
d’eau chaude. Des voiliers sont abrités dans des criques et leurs
passagers nous font de grands signes quand nous passons au-dessus
d’eux. Puis le terminal maritime de l’usine de Goro se profile.
Un long tapis roulant file du port minéralier jusqu’à l’usine
que nous survolons. Les installations, gigantesques, pourraient être
celles d’un grand pays. Paul nous signale les tas de soufre, de
calcaire et de charbon. L’usine va vivre en autarcie, produisant
même son électricité, dont elle restitue les excédents pour
alimenter Nouméa ! Un peu plus loin, nous voyons les habitations où
vont vivre les employés de l’usine, vues de haut une succession de
petites boîtes, comme des Algécos. Un peu plus de 1000 personnes en
période courante travailleront là, dans un décor spartiate, il y
en a eu jusqu’à 4000 pour construire le site. Paul dirige son
appareil vers les cascades de la Madeleine que nous survolons. Il
nous propose de nous dégourdir les jambes et atterrit à côté de
la rivière des Lacs, posant délicatement l’hélico sur une petite
plate-forme naturelle. Il coupe le contact et c’est tout simple :
nous sortons et nous retrouvons sans transition en pleine réserve
naturelle, dans un silence à peine troublé par des chants d’oiseaux
et le bruit de l’eau.
Paul nous montre des roches pleines de minerai et nous fait découvrir une plante carnivore, une petite fleur rouge minuscule. Il est finalement plus bavard que nous. Nous redécollons aussi naturellement que nous sommes arrivés. Constance est montée devant, à côté du pilote. Paul nous signale la plaine du Champ-de-Bataille où les tribus canaques se faisaient la guerre. Nous revenons sur Nouméa. Paul prend l’axe de la piste comme le ferait un avion et au ras du sol, file jusqu’au cercle jaune où il pose son insecte vert. Pilotage précis, impeccable. Nous le remercions chaleureusement et Juliette nous raccompagne au Ramada Plaza.
Après-midi shopping à
Nouméa. Mais écourté car les magasins ferment dès cinq
heures.
mardi 3 novembre 2009
Retour vers Paris, dans
la nuit et le froid (relatif) de cet automne. Le voyage de retour
quoiqu’ayant duré près de 30 heures, de porte (d’hôtel) à
porte (de maison) nous a paru moins long et fatiguant que celui de
l’aller. Il faut dire que le dernier week-end s’est passé
calmement.
Dimanche, même, le temps était maussade sur Nouméa,
bruineux, comme pour ne pas nous faire regretter de quitter le
territoire. Les membres du comité sont venus nous dire au revoir au
Ramada Plaza. Nous avons pris un verre ensemble et Marie-Aude a
improvisé un bilan de son séjour, de ce qui avait marché (ou pas).
C’est Jean et Brigitte qui nous ont accompagnés à l’aéroport.
Nous avons décollé lundi vers 00 h 30, heure locale. L’escale à
Séoul a été plus courte. Pendant le trajet, nous avons alterné
lecture et visionnage de films : au total, nous étions moins abrutis
qu’à l’arrivée à Nouméa. Nous avons également reconquis, en
revenant, les fuseaux horaires que nous avions perdus en partant,
avec en prime, l’heure d’hiver.