Plutôt que de pester ou gémir devant la Lettre du président Emmanuel Macron aux Français et d'y voir l'ultime manœuvre dilatoire d'un autocrate en bout de course, je propose d'y reconnaître l'invitation, encore implicite, à ouvrir immédiatement un chantier, à conduire pendant l'expédition des affaires courantes et les JO : l'élaboration de la Constitution de la VIème République, qui, seule, mettra fin à la crise de régime en cours. Prendre au mot le président.
Si on lit bien cette lettre, Emmanuel Macron :
1/ reconnaît la défaite de sa majorité (qui n'en était déjà plus une depuis 2022) en recevant la "demande claire de changement et de partage du pouvoir" qui s'est exprimée dans le résultat des élections ;
2/ définit les "forces politiques", légitimes, auxquelles il s'adresse comme celles qui ont formé le "front républicain" qui a refusé que l'extrême droite arrive au pouvoir, autrement dit tout l'hémicycle hormis le RN (incluant donc l'ensemble des composantes du Nouveau Front Populaire 2024, LFI compris, contrairement à la rhétorique préélectorale antérieure du pouvoir en place qui refusait les "extrêmes", cf. le "ni ni" d'un Édouard Philippe)
3/ invite ces "forces politiques" de l'arc républicain bâtir "une majorité solide, nécessairement plurielle" [je souligne] sous l'égide du front républicain qui les a élues, toutes voix mêlées par le jeu des désistements et des reports. Faut-il rappeler ici que des LR, des Modem, des Renaissance, doivent leur élection à des électeurs du Nouveau Front Populaire 2024; et qu'inversement des députés du Nouveau Front Populaire 2024 doivent leur élection à des électeurs de droite ? Ce métissage électoral doit déboucher sur celui des programmes et "l'invention d'une nouvelle culture politique française".
4/ Ce "en même temps" républicain auquel aurait conduit le dernier scrutin accomplirait donc "l'esprit de dépassement" des clivages partisans que le président a toujours "appelé de ses vœux".
CQFD ?
Nous sommes donc vraiment à un moment-clé de la République : la fin de la Vème, provoquée par cette dissolution et son résultat. La Constitution de 1958 upgradée en 1962 a donné tout ce qu'elle pouvait donner, y compris l'utopie macroniste qui s'est cristallisée dans la formule du « en même temps », formule qu'elle ne pouvait pourtant pas porter entièrement, encore tributaire de la loi majoritaire et du parti unique, dont l'ultime incarnation française aura été « En Marche », progressivement défaite.
En dissolvant l'Assemblée nationale au soir des élections européennes, le président a ouvert, « à l'insu de son plein gré », une nouvelle ère politique dont le premier acte ne peut être que l'élaboration de la Constitution d'une VIème République, capable de supporter la nouvelle donne de la démocratie française : la fin de la monarchie républicaine, le gouvernement par l'accord des minorités, la République des idées. Merci Macron !
Finie la politique comme religion dogmatique, finis les totems de la gauche comme de la droite, lourds et inamovibles : l'égalité formelle, l'âge de la retraite, le SMIC, l'ISF, les nationalisations, etc. versus la libre entreprise, les « lois » du marché, la critique de « l'assistanat », etc.. Place à l'agilité des idées face à un monde mobile et saisissable, à ces idées qui peuvent emporter l'adhésion au-delà des anciens clivages partisans et de leurs œillères.
Finis aussi les partis majoritaires exerçant leur hégémonie : en récusant le RN, les électeurs ont non seulement écarté l'extrême-droite paranoïaque, antisémite, antimusulmane, xénophobe, athée, homophobe, nationaliste et antieuropéenne, mais aussi et surtout le fantasme obsolète du parti majoritaire voire unique, voie directe vers le totalitarisme fascisant dont les incarnations ne manquent pas de par le monde. Place aux formations politiques multiples innervées non seulement par les corporatismes mais aussi par les mouvements et les idées servant le bien commun. C'est autour de ces communs que la discussion politique, citoyenne, doit se nouer, ce que quelques grands débats citoyens ont tenté d'esquisser, dont des référendums auraient dû appuyer les conclusions. Le lobbying doit y être accueilli aussi : mieux vaut qu'il énonce et défende ses intérêts économiques privés au grand jour que dans le secret des alcôves ou des dîners en ville (l'un n'excluant pas l'autre, la lutte des classes n'est pas morte).
Le seul enjeu de la période qui vient de s'ouvrir : que l'actuel Parlement, RN compris cette fois, prenne le président au mot - n'avait-il pas intitulé son manifeste de candidat, Révolution ? - et se mue, profitant de sa récréation forcée, en assemblée constituante qui accouchera de la Constitution de la VIème République et la soumettra à référendum au peuple français. Chiche ?