Julia Pavlowitch ne manque pas d'audace par les temps qui courent. Forte de ses réussites éditoriales passées, à L'Iconoclaste, chez Phébus (entre autres), elle vient de créer sa maison d'édition : La Tribu. Adossée aux Nouveaux Éditeurs d'Arnaud Nourry, elle appareille, pour faire encore le pari de la littérature contre vents et marées. Pari réussi avec ces deux premiers romans édités, de quête et d'enquête, soigneusement écrits, dans des genres très différents. Ce qui les réunit pourtant, la maquette des deux livres le signale : c'est peut-être par les failles des êtres que l'écriture se glisse le mieux dans les déchirures de la vie pour s'imposer, en souveraine des esprits.
Jérôme Chantreau nous transporte dans le Paris des années 1830, pour élucider une affaire, celle d'un massacre commis par l'armée dans un immeuble paisible de la rue Transnonain. S'emparant d'une histoire vraie comme il en a l'habitude, il ressuscite le décor politique de l'époque et les figures dominantes de Thiers et du général Bugeaud au service des bourgeois louis-philippards, contre les "émeutiers". En émergent deux destins de fiction, Annette, une jeune femme, prostituée, témoin capital de cette horreur d'Etat, poursuivie par un policier des Mœurs, Joseph, qui doit la faire taire, et que sa hiérarchie "tient" par une bavure monstrueuse qu'il a commise. Ces deux silhouettes vont suivre des chemins parallèles, l'une vers la lumière et l'autre par les ténèbres. Se rejoindront-elles, par une mystérieuse attraction ? La façon dont ce "roman" s'épure en sortant du chaudron parisien, de L'affaire de la rue Transnonain, avec toute son agitation, ses multiples personnages, pour s'attacher exclusivement aux pas d'Annette et de Joseph et à leurs destins contraires, qui tissent comme deux traînes au récit, forme une étonnante embellie. L'idéal oblatif proposé - imposé plutôt - par l'abbé Cestac à Annette : "ne rien demander, ne rien refuser" va la sauver, in fine. Quant à Joseph, il devra survivre longtemps aux ténèbres et si on croit à la réversibilité des mérites, c'est peut-être Annette qui l'en aura tiré. Avec Un aveu de tendresse, Cécile Cayrel nous offre une enquête policière, soit une longue confession-interrogatoire, qui est aussi une étrange et déroutante histoire d'amitié et d'aquariophilie. Samuel que tout accuse doit répondre de la mort de Jacques qui lui a vendu Betty avec son aquarium. Convaincra-t-il la commissaire - et le lecteur - de son innocence ? Quel était le secret de Jacques ? Face à la commissaire, Samuel déploie la stratégie de Shéhérazade pour sauver sa peau : raconter, encore raconter. N'est-ce pas ainsi que l'écrivain sauve la sienne...
L'affaire de la rue Transnonain - Jérôme Chantreau - La Tribu (465 pages, 22 €)
Aveu de tendresse - Cécile Cayrel - La Tribu (249 pages, 20 €)