10 mars 2025

Le fils du roi


 

Dans Le tournant théologique de la phénoménologie française (1990), Dominique Janicaud s'interrogeait sur les raisons qui ont fait que nombre de ténors de ce courant philosophique - la phénoménologie - se sont tournés à un moment de leur vie intellectuelle vers la théologie, vers Dieu. À la suite du juif Emmanuel Levinas, Michel Henry (1922-2002) une fois sa carrière universitaire achevée à Montpellier, a consacré toute la fin de sa vie et de son oeuvre à  confronter la phénoménologie aux évangiles, et singulièrement à celui de saint Jean, et particulièrement au célèbre prologue d'où surgit cette déclaration fracassante : "le Verbe s'est fait chair". Jésus premier phénoménologue ? Les titres de ses trois derniers livres sont éloquents : C'est moi la Vérité (1996), sous-titré Pour une philosophie du christianisme, Incarnation (2000), sous-titré Une philosophie de la chair et enfin Paroles du Christ (2002), au titre le plus explicitement chrétien, dont il a relu les épreuves peu avant sa mort.

Philosophe, Michel Henry est également auteur de quatre romans, autant d'échappées littéraires au cœur de son oeuvre* de phénoménologue. L'un des plus chrétiennement inspiré est sans doute Le fils du roi, paru en 1981, période à laquelle, après avoir analysé l'oeuvre de Marx, Henry entamait celle de Freud, ce qui allait donner en 1985, Généalogie de la psychanalyse, ouvrage issu d'une série de conférences données au Japon.

Est-ce la raison pour laquelle Le fils du roi est un voyage au cœur d'un asile psychiatrique où un certain José a été interné. De quoi souffre José ? Il prétend rien moins que d'être "le fils du roi" et c'est cette douce dinguerie qui lui a valu son séjour en psychiatrie. Rien de bien méchant pourtant. Mais dans son hôpital, José se fait rapidement des ami·e·s qui gravitent autour de lui et manifestent rapidement un mieux-être individuel et collectif qui étonne le médecin-chef et les personnels soignants de l'HP. Plus grave, l'aura qui entoure peu à peu José, l'autorité que prennent les propos qu'il tient à ses "disciples", commencent à saper celles du médecin-chef et de quelques assistants. L'institution psychiatrique pourra-t-elle tolérer cette dérive qui ressemble à une prise de pouvoir ou devra-t-elle briser José pour sauver la face ? 

C'est ce que raconte Le fils du roi, sorte de fanfiction des évangiles en milieu psychiatrique. C'est souvent d'une pertinence drôle, dans la caricature des personnels dits "soignants", mais aussi dramatique. La fable est transparente : si Jésus revenait aujourd'hui, il ne serait peut-être pas crucifié mais il finirait ses jours dans un asile. Sauf à accepter de vivre dans la duplicité, cette duplicité de l'apparaître qu'Henry a théorisée à partir de son expérience de la clandestinité au cœur de la Résistance, à savoir l'opposition entre la visibilité du monde et le caractère invisible de la manifestation de la vie. On n'est pas obligé d'avoir lu les évangiles ni d'être croyant pour comprendre cette fable et l'interpréter. Même si ça peut aider ! En arrière-plan, la phénoménologie du concept de Vie que déploie Henry dans toute son oeuvre philosophique est omniprésente. Ce n'est pas l'être qui a été "oublié" par les humains et les philosophes, c'est la Vie.

Roman à clés, Le fils du roi revisite tous les personnages des évangiles nantis de pseudos que le lecteur se fera un jeu de démasquer : Jean le Baptiste, Judas, Jean le disciple que Jésus aimait, Marie-Madeleine l'amoureuse éperdue de son maître... José devient le roi de cet asile que sa présence transforme en Cour des Miracles, car de vrais miracles finissent par s'y produire, par la grâce de son antipsychiatre en chef.




Le fils du roi - Michel Henry - Gallimard - 1981 (235 pages - épuisé)

Nota : Trois romans de Michel Henry, dont Le fils du roi, ont été réunis en un volume paru aux Belles Lettres

* La vie, l'oeuvre et la pensée de Michel Henry font l'objet d'un livre aussi clair que passionnant de Paul Audi, Michel Henry (Les Belles Lettres, 2006)

13 février 2025

Adieu Fabrice


Mardi 11 février 2025, adieux à Fabrice Zimmermann. J’aurais voulu dire quelque chose – déformation professionnelle ? – mais il ne me venait que les deux mots : « trop tard ». Trop tard pour dire « bonjour » : celui des obsèques est plutôt un mauvais jour. Trop tard pour dire « je t’aime », déclaration que toi, Fabrice,  en pratique, ne pouvais plus entendre. Et pourquoi aurais-je pris la parole, moi qui, par le fait, t’avais fui depuis que tu m’avais été présenté, avant même que je ne te voie, comme celui qui avait eu « un problème à la naissance ». Infirme, en clair. Trop tard aussi pour demander « pardon ». Mais si « caro infirma est », « spiritus promptus est » : ta tête marchait bien. Très bien même, modulo douleur, souffrance, etc. Imaginais-je. 

Je voyais bien, dans cette petite salle Bigot (sic) du crématorium du Père Lachaise, que j’étais définitivement trop loin, ce lointain où je m’étais tenu, inventant des pudeurs, des peurs de pudeurs, moi le mari de la sœur du mari de la sœur du défunt. Je ne savais guère qu’une chose de toi : ta passion pour tout ce qui touchait au Général, celui qu’on peut se contenter en France de désigner de son grade dans l'armée et d’une majuscule à sa taille. La seule fois où j’étais venu chez toi – avec ta sœur Natalie, pour y emménager ou déménager quelque chose avec ma voiture – j’avais reconnu ta passion à la masse de papiers qui la dessinait dans ton petit deux-pièces. Il t’en aurait fallu une troisième pour héberger toute ta mémoire de Charles de Gaulle, qui poursuivait l'horizon d'une thèse inachevée. Mais je n’ai jamais pris le temps de comprendre où cette passion  s’enracinait précisément en toi avec la force de cette foi que Julia Kristeva l’agnostique nomme « cet incroyable besoin de croire », foi qui n’est qu’un autre prénom de la Vie. Peut-être dans ta souffrance, justement, dont passion est l’autre nom ? N’est-ce pas la souffrance qui entretient les vraies passions, inextinguibles, qu'envient ceux qui n'en ont pas ou qui s'en préservent ? C’est à cela que je pensais en écoutant Cassandre à la flûte et Orane à l'alto jouer pour leur oncle avec leurs larmes contenues par la musique. Je répétais intérieurement le poème tiré de Lorris dans la forêt « Voici qu’un feu couvert par de la cendre humaine/S’est attisé je ne sais dire à quelle haleine », poème de Gérard Murail, qu'il avait consacré à son fils, mari de la sœur du défunt. Nous étions là, vivants et disparus, avant une crémation où tu allais partir en cendres et fumée. Et je chantais tout aussi intérieurement le Salve regina, à toi, « l’enfant d’Ève exilé dans cette vallée de larmes pour y gémir et pleurer ». Drôle de programme. Maudite intériorité.

Il y avait deux côtés dans la salle Bigot qui s’étaient répartis naturellement, comme un fleuve docile, entre les deux rangées de bancs : à droite, le côté du sang, à gauche, le côté de l’alliance ; l’alliance que nouent l’amour et l’amitié, le sang qui coule silencieusement des veines de la mère et du père vers celles de leurs descendants. Natalie avait choisi, pour son frère, de franchir cette ligne de démarcation invisible en s’asseyant à gauche, à côté de Rita, compagne des trois dernières années de Fabrice, comme pour dire que le seul vrai sang était justement le sang de l’alliance, produit de ce pas de côté qu’elle avait fait en cet instant. 

Et moi je pensais, en écoutant l'introduction de Lohengrin diffusée par le maître de cérémonie, au « sang de l’alliance nouvelle et éternelle qui sera versé pour vous et pour la multitude en rémission des péchés » paroles que le prêtre prononce à la messe, au moment où il consacre le pain et le vin. Le poème de Gérard que je n’ai pas récité se termine ainsi : « Pris à la source de la soif, tison éteint/Dans l’eau qui brûle et trempe au feu de l’Esprit saint ». C’est cet Esprit de feu qui nous rassemblait mardi, auquel il nous reste de croire, autant à moi qu’à toi, athée certifié par ton entourage, pour que sa force nous unisse enfin au dernier jour. Au revoir, Fabrice.

07 février 2025

Maman se suicide vendredi



 

Une vieille dame qui pense qu’elle est morte depuis longtemps décide de s’en assurer une bonne fois et convoque ses deux filles pour la circonstance.

C’est la nuit la plus longue, qui égrène ses heures et ses minutes en chantant, promettant, pleurant tour à tour. C’est l’aînée Katia qui raconte mais c’est Noémie l’ancienne « petite sœur » qui parle et finit par tout déballer pendant que la mère finit tout court, auscultée périodiquement par la narratrice. L’enfance remonte de son puits pour révéler ce qui l’a tuée inéluctablement. Tout est là, un peu moisi dans cet appartement de vieux, surchargé de bibelots absurdes mais émus tout de même, revenus d’une époque qui semblait abolie. Noémie avoue tout : qu’à neuf ans, elle a sombré, ce que personne n’a voulu voir, surtout pas celle qui lui avait tenu la main jusque là pour pallier le « truc » qui manquait à Claudie, la mère.

Marianne Maury Kaufmann, dessinatrice de presse, écrit comme elle dessine : d’un trait sûr, néo-naturaliste, qui surgit tout armé de ses mots pour tailler impitoyablement dans les choses de la vie. Tout en restant fidèle à celles et ceux qui n’ont d’autre horizon qu’un passé de fumées et de cendres et voudraient la retenir, elle tente de s’arracher à eux à coups de romans de plus en plus fébriles. Son talent de miniaturiste maniaque gratte les décors de la vie, débusque les faux semblants des êtres, rappelle à l’ordre les ellipses paresseuses du temps, faisant au final œuvre de vérité salubre et salutaire, comme il en est peu dans les Lettres contemporaines.

Maman se suicide vendredi - Marianne Maury Kaufmann - éditions Maurice Nadeau - 6 février 2025 (142 pages - 18 €)

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Varsovie-Les Lilas
Ciment

03 février 2025

Malestroit



Malestroit, c'est le nom d'une petite ville de Bretagne traversée par l'Oust et sous ce nom, Jean de Saint-Chéron a caché le récit d'un destin extraordinaire, celui d'Yvonne Beauvais, qui aurait pu devenir sainte si...

La vie-de-saint est un genre littéraire, l'hagiographie, vieux comme l'Église catholique romaine qui s'est fait de longue date une spécialité d'honorer parmi les siens celles et ceux qui auraient fait montre de « vertus héroïques » et - c'est une condition nécessaire - commis quelque miracle dûment attesté au cours de leur existence terrestre (un seul suffit). Depuis Jean Paul II, qui a béatifié et canonisé à tour de bras (482 saints, autant qu'au cours des cinq siècles précédents) avant de l'être lui-même, les papes ont relancé la fabrique des saints et saintes et, en canonisant le 27 avril 2025 un jeune geek italien, Carlo Acutis, mort en 2006 à l'âge de 15 ans d'une leucémie foudroyante, François s'apprête sans doute à battre un nouveau record de jeunesse et de précocité avec la reconnaissance insigne de ce cyber-apôtre.

Mais revenons à Yvonne-Aimée de Jésus, son nom en religion après qu'elle a rejoint les Augustines de Malestroit, elle la Parisienne, issue d'un milieu bourgeois et qui s'était fait un devoir d'exercer dès son adolescence une charité enfiévrée dans les périphéries de Paris, bouleversée qu'elle était par le sort des pauvres.

Elle est morte en 1951 à 49 ans mais n'a pas été canonisée : "trop de miracles" (sic) ont décidé à Rome quelques hommes mitrés soupçonnant sans doute d'hystérie cette femme d'exception. Couverte de médailles à la fin de la guerre par des généraux dont un certain De Gaulle car son couvent de Malestroit et la clinique ultra-moderne qui le jouxtait et qu'elle avait fondée avaient caché et soigné maints résistants (mais aussi des soldats allemands), il n'y avait plus de place sur elle pour l'auréole... Mais, entre autres signes sortant de l'ordinaire : elle pleurait des larmes de sang, une de ses sœurs en religion lui vit un jour la poitrine en feu et une autre les stigmates du Christ ; plus étrange encore : il arriva que son corps produisît... des fleurs ; elle avait aussi le don de bilocation : arrêtée à Paris, elle avait été libérée miraculeusement, à l'instar de saint Pierre dans les Actes des apôtres (Ac 12), aperçue dans le métro au moment même où elle était torturée par la Gestapo.

Onze ans après sa mort, l'autre Yvonne (De Gaulle) était convaincue qu'elle ainsi que son mari lui devaient la vie sauve lors de l'attentat du Petit Clamart, où l'on compta 187 balles tirées au fusil-mitrailleur, dont 14 atteignirent la DS présidentielle. Elle avait alors pressé dans la poche intérieure de sa veste le portrait d'Yvonne-Aimée de Jésus qu'elle gardait toujours sur elle.

Le récit de Jean de Saint-Chéron donne une sorte de tournis ineffable auquel ce bref résumé ne rend pas justice. De la somme des témoignages, écrits d'Yvonne elle-même, lettres, archives multiples, l'auteur fait surgir un surnaturel dont aucune explication n'arrive à venir à bout. "Brûlée de charité, assoiffée d'être aimée", l'expression tirée d'un cantique, s'appliquerait bien à Yvonne-Aimée. Et la silhouette du seul homme qu'elle aurait pu épouser, Robert, apparaît de temps à autre, preuve qu'elle n'était pas un ange éthéré. 

L’œuvre de la presque sainte est admirable et ce qui s'est manifesté à travers le corps d'Yvonne tenait sans doute à quelque disproportion entre son immense désir du Christ et les possibilités matérielles de L'aimer en retour à travers son prochain, excédent d'amour qui a engendré ces produits annexes, quasi-fatals : les sueurs de sang, les stigmates, les fleurs émanées de son corps, les phénomènes de bilocation, etc., tous faits qui ont eu des témoins oculaires ou qu'elle a rapportés dans ses écrits mais qui sont au fond seconds et secondaires par rapport à son activité multiforme, spirituelle, de santé publique, de Résistance, digne de la plus sensée et de la plus résolue des chefs d'entreprise.

Il est caractéristique de notre époque que de jeunes écrivains entreprennent de dépoussiérer le genre hagiographique. Malestroit est une enquête qui vaut largement un bon polar mâtiné d'héroïque fantaisie. Comme avant lui, Sainte Marguerite-Marie et moi, de Clémentine Beauvais (aucun lien avec Yvonne) avait brossé le portrait déjanté d'une sainte aussi excessive qu'Yvonne-Aimée, mais qui avait eu pour elle de vivre à une époque où le surnaturel était plus naturel aux yeux des hommes.

Malestroit - Jean de Saint-Chéron - Grasset 2025 (215 pages, 20 €)

22 janvier 2025

Vers la joie

 


Est-on jamais libre de vivre à sa guise, comme ce jeune homme qu'enviait Proust, se laissant dériver entre le ciel et l'eau, couché au fond de sa barque ? Il faudrait pour cela s'échapper à l'âpre réalité. Laurence Tardieu a perdu « le chemin du temps », elle vit sous « un monde flottant dans un tissu de soie qu'en élevant le bras j'aurais pu toucher ». Cette image, qui veut traduire la proximité de la mort, revient tel un leitmotiv et l'autrice la combat de toutes ses forces au début de son témoignage, d'un autre conseil qu'elle donne à l'écrivain qui tente de renaître en elle : « Revenons aux faits, seulement aux faits ». Comme pour raisonner sa plume qui tantôt divague tantôt s'est asséchée. 

Depuis le 17 mars 2020, exactement, lorsque le services des urgences de l'hôpital pédiatrique Robert Debré a diagnostiqué chez son fils Adam, quatre ans et demi, une « leucémie aiguë myéloblastique ». La médecine a l'art de fabriquer des syntagmes mortifères, comme autant de déclarations de guerre. Sur le champ de bataille qui s'ouvre, chaque date, chaque chiffre, le nombre de globules blancs refabriqués par Adam après une greffe de moëlle osseuse (cent dix, Adam peut remercier sa grande sœur), le nombre de jours passés à l'hôpital (cent cinquante huit), font l'objet d'un relevé soigneux, méticuleux, comme si les nombres étaient la dernière assurance que pouvait donner la réalité de sa consistance, pour pouvoir y greffer un espoir. Cet espoir renaît après la guerre, mais il semble alors que tout est changé pour les survivants, au nombre desquels se compte la mère, au côté de son fils. Est-ce d'avoir vu la mort de près à travers Adam ? 

La narratrice n'est pas certaine de pouvoir encore faire l'écrivaine, de cette écriture dont elle pense, contrairement à Duras, qu'elle « sauve ». Faire le récit de ce passage, de cette épreuve, va relancer la machine à écrire, un moment interrompu par « l'événement ». Laurence Tardieu tourne autour de lui, avance, revient en arrière : c'est que le temps, qui était linéaire « avant » est devenu cyclique « après ». Dans la bataille, le couple que formait la narratrice avec « le père de ses enfants » s'est rompu et cette rupture, curieusement, est expédiée en quelques phrases dans le prologue du livre, comme un simple dégât collatéral. Dieu, lui, a droit à une simple interjection, « Oh, mon Dieu » en guise de merci. Une page s'est tournée, une autre vie a commencé.

Vers la joie - Laurence Tardieu - Robert Laffont (173 pages, 19 €)

12 décembre 2024

Dortoir des grandes


Au Brady, Paris 10e, 9 décembre 2024

Séance de cinéma ce lundi soir au Brady, Paris 10e, salle qui fut la propriété de Jean-Pierre Mocky et dédiée désormais au ”7e genre” du 7e art, qui réunit tout l’arc-en-ciel de la production cinématographique.

Dortoir des grandes (1953), un film d’Henri Decoin, d’après un roman de Steeman, est a priori un drame atroce, transmué  par la magie du cinéma en une délicieuse comédie, truffée des dialogues pétillants de Jacques Natanson, qui se déroule dans le huis-clos d’un pensionnat chic de jeunes filles bien sous tous rapports.

Une pensionnaire a été retrouvée au matin morte étranglée dans son lit, ficelée, sans qu’aucune de ses voisines de dortoir n’ait rien vu ni entendu. C’est ce que rapporte au début du film le commissaire qui décide de passer l’affaire à un de ses jeunes inspecteurs les plus prometteurs, campé par Jean Marais.

Mis à l’épreuve par son mentor, jeté en pâture dans ce gynécée aussi charmant qu’impitoyable, notre policier novice va-t-il réussir là où un homme d’expérience vient d’échouer ? Il se heurte d’emblée au mur du silence des adolescentes et à l’intime conviction de la directrice : ce crime n’a pu être commis que par un vagabond pervers extérieur au pensionnat.

Bien évidemment, notre jeune premier va progressivement fracturer tous les codes qui maintiennent ce silence et corsètent le pensionnat, directrice en tête. L’ange de la vérité incarné par la figure doucement virile de Jean Marais va révéler les abîmes de ces cœurs féminins, jeunes et moins jeunes, leurs jeux tranquillement pervers, leurs désirs naissants ou refoulés selon l’âge.

Après coup, ce film au charme désuet apparaît étonnamment prophétique quant aux pouvoirs que vont prendre les images dans notre monde, s’emparant des voyeurs et des Narcisses, jusqu’à mettre dans les mains d’une pure jeune fille, la première du pensionnat et la plus belle, les terribles outils du premier chantage à la sextape, au dénouement tragique.

Jean Marais est LA vedette de ce film, auquel Françoise Arnoul en pensionnaire enamourée et Denise Grey en directrice guindée (mais pas que) donnent la réplique côté féminin.  Mention spéciale à Jeanne Moreau, femme de chambre prête à jouer Mata-Hari pour les beaux yeux (mais pas que) de l’inspecteur et à Louis de Funès, photographe libidineux sur les bords.

Un débat suivait le film. L’animation de ces séances du 7e genre au Brady est confiée à Anne Delabre qui avait invité ce soir-là Clara Laurent, venue spécialement de Marseille.

14 novembre 2024

La Tribu est née

 


Julia Pavlowitch ne manque pas d'audace par les temps qui courent. Forte de ses réussites éditoriales passées, à L'Iconoclaste, chez Phébus (entre autres), elle vient de créer sa maison d'édition : La Tribu. Adossée aux Nouveaux Éditeurs d'Arnaud Nourry, elle appareille, pour faire encore le pari de la littérature contre vents et marées. Pari réussi avec ces deux premiers romans édités, de quête et d'enquête, soigneusement écrits, dans des genres très différents. Ce qui les réunit pourtant, la maquette des deux livres le signale : c'est peut-être par les failles des êtres que l'écriture se glisse le mieux dans les déchirures de la vie pour s'imposer, en souveraine des esprits.

Jérôme Chantreau nous transporte dans le Paris des années 1830, pour élucider une affaire, celle d'un massacre commis par l'armée dans un immeuble paisible de la rue Transnonain. S'emparant d'une histoire vraie comme il en a l'habitude, il ressuscite le décor politique de l'époque et les figures dominantes de Thiers et du général Bugeaud au service des bourgeois louis-philippards, contre les "émeutiers". En émergent deux destins de fiction, Annette, une jeune femme, prostituée, témoin capital de cette horreur d'Etat, poursuivie par un policier des Mœurs, Joseph, qui doit la faire taire, et que sa hiérarchie "tient" par une bavure monstrueuse qu'il a commise. Ces deux silhouettes vont suivre des chemins parallèles, l'une vers la lumière et l'autre par les ténèbres. Se rejoindront-elles, par une mystérieuse attraction ? La façon dont ce "roman" s'épure en sortant du chaudron parisien, de L'affaire de la rue Transnonain, avec toute son agitation, ses multiples personnages, pour s'attacher exclusivement aux pas d'Annette et de Joseph et à leurs destins contraires, qui tissent comme deux traînes au récit, forme une étonnante embellie. L'idéal oblatif proposé - imposé plutôt - par l'abbé Cestac à Annette : "ne rien demander, ne rien refuser" va la sauver, in fine. Quant à Joseph, il devra survivre longtemps aux ténèbres et si on croit à la réversibilité des mérites, c'est peut-être Annette qui l'en aura tiré.
Avec Un aveu de tendresse, Cécile Cayrel nous offre une enquête policière, soit une longue confession-interrogatoire, qui est aussi une étrange et déroutante histoire d'amitié et d'aquariophilie. Samuel que tout accuse doit répondre de la mort de Jacques qui lui a vendu Betty avec son aquarium. Convaincra-t-il la commissaire - et le lecteur - de son innocence ? Quel était le secret de Jacques ? Face à la commissaire, Samuel déploie la stratégie de Shéhérazade pour sauver sa peau : raconter, encore raconter. N'est-ce pas ainsi que l'écrivain sauve la sienne...

L'affaire de la rue Transnonain - Jérôme Chantreau - La Tribu (465 pages, 22 €)
Aveu de tendresse - Cécile Cayrel - La Tribu (249 pages, 20 €)

L'affaire Bayard

  Blitzkrieg dans la presse et l’édition catholiques Lundi 25 novembre 2024, le groupe Bayard annonce l’arrivée d’un certain Alban du Rostu ...