31 janvier 2019

Varsovie-Les Lilas

Pas un jour sans une ligne





Méfiez-vous de ces espionnes qui vous écoutent aux terrasses ou aux zincs des bistros, qui vous suivent dans la rue ou vous observent aux arrêts d’autobus. Elles n’ont qu’une hâte : rentrer chez elles et écrire, écrire jusqu’à trouver le mot juste qui vous épinglera définitivement sous la vitre d’un livre.

Marianne Maury-Kaufmann pourrait être cette sorte d’entomologiste collectionneuse. Illustratrice, elle campe chaque semaine dans Version Femina, d’un trait cruellement tendre, une version moqueuse voire caustique de ses contemporaines, dont elle ne se désolidarise pourtant jamais. A celles et ceux qui ont la chance de l’avoir pour « amie » sur Facebook, elle offre régulièrement ses petits sketches de la vie quotidienne, si bien ciselés qu’ils réveillent notre regard assoupi sur le monde.


Avec Varsovie-Les Lilas, son deuxième roman, elle nous livre une version plus grave de la vie en nous faisant monter dans un autobus parisien où Francine, son héroïne, voyage sans but précis la journée durant. Sans but précis, vraiment ? En fait, en empruntant le 96 qui passe en bas de chez elle et l’emmène tantôt vers Montparnasse, tantôt vers la Porte des Lilas, Francine cherche à qui parler. Ce n’est pas d’être veuve qui l’a rendue muette. Ce ne sont pas ses rendez-vous avortés avec Roni, sa fille, qui ne lui en laisse pas placer une, qui lui rendront la parole. Non. Francine est née juive à Varsovie en 1939. Elle a donc beaucoup de chances de vivre encore, à Paris, aujourd’hui. Mais ce qu’elle a à dire est trop lourd, trop massif. Elle a eu trop de mamans avant de retrouver la sienne, cette Dorota qui est réapparue devant elle un beau jour du printemps 1945, comme un fantôme, avec toujours « deux ans de moins sur ses papiers » mais « cinquante de plus dans le corps ». Dorota ne racontera rien à sa fille. Francine, elle, ne peut rien raconter à personne de ces années arrêtées et enterrées dans un coin de sa mémoire d’enfance.


Francine continue donc à traverser inlassablement Paris, gentiment toquée. Les lignes de bus ont leurs habitué•e•s. Pourquoi un jour descend-elle avec celle qu’elle a surnommée en secret « la Bougie », pourquoi la suit-elle dans la rue, où trouve-t-elle l’audace de l’aborder, le courage de lui demander : « Vous aussi, vous êtes seule ? » La Bougie est une drôle de fille, qui pourrait être la sienne. Elle s’appelle Avril. Elle va devenir la raison de vivre de Francine, qui n’avait jamais pensé qu’elle pourrait en avoir une, de raison. Avril à Paris. Jusqu’au jour où…


En filmant Francine en plans très serrés, c’est aussi un portrait de la capitale que nous livre « MMK », un Paris saisi à bras-le-corps dans sa mauvaise saison, celle des pavés humides, des lumières de Noël qui pèsent sur les âmes solitaires. Elle mêle tellement les vies croisées et leur décor qu’elle semble pétrir une pâte urbaine de rues, de boutiques, de lampadaires, de façades ouvertes sur l’intime, de paumé·e·s en tout genre, pâte que ses mots précis, ajustés, font lever lentement en nous, jusqu’au dénouement, simple et lumineux. Gracié.


Montez dans le 96 avec Francine, vous ne le regretterez pas.

***

Varsovie-Les Lilas, Marianne Maury-Kaufmann, Éditions Héloïse d’Ormesson (173 pages, 16 €)


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