08 mars 2020



Ivan Jablonka en « ajusteur » des masculinités

« Que faut-il dire aux hommes ? » s’interrogeait Saint-Exupéry. Quelle meilleure lecture pour un homme, pour un adolescent, en cette journée internationale des droits des femmes, que le livre d’Ivan Jablonka, paru au mois d’août 2019 ? En ce dimanche 8 mars où dans chaque église l’évangile de la transfiguration annonce la figure eschatologique du Fils de l’Homme ?

Des hommes justes est né, explique* Jablonka, juste après Laetitia ou la fin des hommes, examen du cas tragique de Laetitia Perrais, cette jeune nantaise de 18 ans assassinée puis démembrée en 2011 par son tueur – « j’ai passé plusieurs années autour de sa tombe »- et un an avant la « vague » #MeToo. Jablonka ne cache pas qu’ayant une femme, étant père de trois filles, il avait un intérêt personnel à explorer, en face du mouvement féministe et en compagnonnage avec lui, le sujet du patriarcat et des masculinités toxiques voire criminelles. Son livre a pour lui valeur d’intervention sociologique dans un champ politique au fond assez vaste qui se préoccuperait de la situation des femmes mais aussi de l’émergence et de la formation de ce qu’il nomme les hommes justes. L’homme juste, le « mec bien », ne l’est pas comme un type-idéal, figé : c’est l’homme qui se préoccupe en permanence de la justesse de son comportement dans la vie courante vis-à-vis des femmes, qu’il s’agisse de la séduction, de la galanterie, dans son couple, au travail, etc. C’est un homme qui s’ajuste pourrait-on dire. Au niveau sociétal, c’est encore un homme en construction, mais ce n’est plus tout à fait une utopie veut croire Jablonka qui lance ce pavé de quelque 430 pages pour contribuer à son avènement. Ce livre est évidemment le livre d’un historien, bien documenté (au risque parfois d'être touffu), qui fait un « état de la question » très complet, historique donc, de longue période, mais aussi sociologique, juridique, par grandes aires civilisationnelles, etc. de la question féminine et de la question masculine.

Quant au sous-titre de son livre, Du patriarcat aux nouvelles masculinités, Jablonka l’a emprunté à l’ouvrage Masculinities (au pluriel) de la sociologue australienne Raewyn Connell, dont il a retenu aussi le concept de « masculinité hégémonique ». La masculinité ne peut en effet être comprise que diffractée dans les masculinités plurielles où elle s’exprime, dans sa diversité. On ne naît pas homme, mais on le devient, et ce devenir expose l’individu à toutes sortes de transformations au regard notamment du genre. Il n’est sans doute pas fortuit que ce pluriel et ce devenir aient été particulièrement énoncés et mis en valeur par une femme trans, madame Connell. Du fait de ce pluriel, la domination masculine n’est pas LA domination indifférenciée de tous les hommes sur toutes les femmes, mais le fait d'UNE masculinité hégémonique qui s’exerce non seulement sur des femmes mais aussi sur des hommes, qui en sont eux aussi victimes. La masculinité de domination se décline elle-même en masculinités d’ostentation, de contrôle, de sacrifice et d’ambiguïté, cette dernière osant même jouer avec le féminin, « comble de la virilité » souligne Jablonka. On sait quels fléaux engendrent cette masculinité de domination : guerre, dictature, fondamentalisme, course au profit. La place des femmes dans une société dit aussi quelque chose de l'état de sa démocratie.

Le livre explore « les failles du masculin », contemporaines, qui ont conduit notamment à la réaction masculiniste, « récupérée par les Églises dans une perspective de reconquête et de lutte contre la féminisation des sociétés » comme l’illustrent, dans l’Église catholique, « une des institutions les plus patriarcales du monde », les camps Optimum ou les retraites Au cœur des hommes. C’est dans une quatrième et dernière partie qu’il énonce les conditions d’avènement d’une nouvelle « justice de genre », grâce à des formes nouvelles de masculinité : de non-domination, de respect, d’égalité, qui devraient, à terme, parvenir à « dérégler le patriarcat », qui remonte au Néolithique.

C’est aussi aux hommes d’y contribuer et Jablonka les y appelle avec ce livre-manifeste. Il tente, après avoir annoncé « la fin des hommes », de proposer des voies de renaissance masculine avec cette figure de « l’homme juste », à la fois familière et utopique, proche et eschatologique, écho intime de son auteur à « l’homme révolté » de Camus.


Des hommes justes  - Du patriarcat aux nouvelles masculinités – Ivan Jablonka – Seuil – août 2019 – (442 pages, 22 €)


 


* Voir l'excellente présentation de son livre par l'auteur chez Mollat (59 mn)


 



 


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