« S'ils se taisent, les pierres crieront ! »
[évangile selon saint Luc (Lc 19, 40)]
Samedi dernier, nous visitions le château de Blois en compagnie de nos petites-filles. C’est, affirme le dépliant offert aux visiteurs, un « véritable panorama historique de l’architecture française » puisque le bâtiment initial, du médiéval corrigé gothique, est flanqué de trois ailes respectivement de styles Renaissance, flamboyant et classique.
Pénétrant dans la chapelle Saint Calais, nous sommes d’abord tombés devant la statue la plus identifiable entre toutes, celle d’un Saint-Sébastien, les mains liées dans le dos et le torse soigneusement criblé de flèches. Plus précisément, car les flèches ne résistent pas au temps, j’ai expliqué à ces demoiselles bien-aimées que les petits trous circulaires et rouges qui recouvraient le corps correspondaient aux impacts des flèches qui avaient fait de Sébastien un martyr et un saint. Plus gore tu meurs. En revanche, je n’ai pas su leur raconter la légende, que vient de m’apprendre l'encyclopédie Théo, selon laquelle Sébastien, capitaine des gardes de Dioclétien, avait été livré aux archers de l’empereur quand celui-ci avait appris que ce fidèle soldat était lui aussi de la bande à Chrestos…
A côté du saint Sébastien, il y avait une superbe Piéta du XVIème siècle : et c’est alors que je commençais à l’examiner que l’une de mes petites-filles a lancé dans mon dos une claire interrogation : « C’est qui, lui ? », pointant manifestement son regard vers le cadavre blessé de Jésus. J’ai répondu, en expliquant rapidement ce qu’était une piéta dans la tradition chrétienne. Mais ce « cékilui » m’a poursuivi bien au-delà de cette visite, moi qui avais entrepris une sorte de catéchèse accélérée le soir même, soit la lecture à voix haute, au pied de leurs lits, du Jésus comme un roman de leur grand-mère.
Ma fille Constance, à qui je contais l’anecdote, vient de me répondre ceci. Un jour, son ami américain « David a emmené au musée sa nièce Mora et son neveu Joaquin (également son filleul), alors âgés de quelque chose comme huit et cinq ans. Après quelques salles, les enfants ont fini par demander, l'air assez embêté, pourquoi tous ces messieurs se retrouvaient cloués à des croix. Un peu surpris, David a essayé de leur faire "Jésus pour les nuls" en cinq minutes, prenant le genre de raccourcis qui te fait subitement réaliser à quel point cette histoire est rocambolesque. Joaquin a vécu très personnellement tout le délire de la crucifixion et s'est mis à pleurer au milieu du musée en criant : 'BUT WHY WOULD THEY DO THAT?' »
L'étonnement et l’interrogation de Romy, le cri et les pleurs de Joaquin, ont heureusement traversé les siècles. Ils continueront à le faire si nous continuons à nous opposer aux Pharisiens qui, scandalisés, enjoignaient Jésus, acclamé comme le Messie à son entrée à Jérusalem, de « reprendre » ses disciples, en gros de les faire taire. De toute façon, si nous restons muets devant nos enfants et nos petits-enfants, Jésus nous a prévenus par avance de ce qui se passerait, quand il a répliqué à ses censeurs : « si eux se taisent, les pierres crieront » (Luc 19, 40). A nous de faire en sorte que les pierres n’aient jamais à crier.
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