Quand le namazu se réveille et secoue une nouvelle fois l’archipel ce 11 mars 2011, Yukiko se trouve à Tokyo. Son récit s’ouvre sur une description saisissante du séisme, à partir de « l’onde infime au centre de ma tasse ». Les autochtones accueillent avec un mélange d’inquiétude disciplinée et de routine fataliste la énième manifestation du poisson-chat de légende qui les porte sur son échine souterraine. Mais quand la catastrophe du tsunami est révélée par ces images effrayantes, irréelles, qui à l’époque firent le tour du monde en quelques minutes, Yukiko part immédiatement à la recherche de sa grand-mère qui vit seule, à 98 ans, dans l’une des zones balayées par la vague géante. En fouillant dans les ruines où errent les survivants, hébétés, Yukiko va retrouver la trace de sa grand-mère Obāchan. Elle ne se doute pas alors qu’avec l’horreur, la mémoire de ses lointains ancêtres et l’amour d’Hiroyuki viennent ensemble à sa rencontre.
Le livre de Laurence Couquiaud, que j’ai lu en quelques heures ce dimanche m’a gardé tout au long dans un étrange état de langueur et d’addiction. J’avais tantôt froid avec les rescapés du tsunami, tantôt chaud avec les amoureux du XIXème et du XXIème siècles. Deux histoires parallèles se déploient : celle bien contemporaine que raconte au « je » Yukiko la photographe, bretonne par son père et japonaise par sa mère, confrontée à la catastrophe de 2011 ; et celle, en apparence bien plus lointaine, de personnages saisis au moment où le Japon traditionnel de l’Empereur, du shōgun et des samouraïs s’ouvre bon gré mal gré aux « conquérants » européens, Anglais, Français, Américains, Suisses, dans un libre-échange belliqueux, économique et… amoureux.
Ne gâtons pas le plaisir du lecteur en lui révélant comment les parallèles se rejoignent. L’auteure a peut-être lu Apollinaire et sait en tout cas « [qu’] en nous beaucoup d’hommes respirent qui vinrent de très loin et sont un sous nos fronts »
Laurence Couquiaud a un réel talent pour décrire la nature, mariant précision botanique et lyrisme contenu. Elle nous livre ainsi quelques belles estampes, parfois enneigées, toujours réchauffées par des présences humaines intenses, d’un siècle à l’autre. Quand elle raconte le grand incendie qui ravagea Yokohama en 1866, les flammes semblent courir entre les lignes et nous transpirons avec ces hommes qui, malgré leurs efforts désespérés, voient disparaître en quelques minutes le travail d’une vie.
Elle campe aussi fortement la désolation des côtes ravagées par le tsunami, la grande dignité des rescapés, veufs, veuves, orphelins, parents endeuillés, désemparés mais qui pensent d’abord à retrouver et enterrer leurs morts. « Nous partons dans l’air glacial et la lumière blanche, encore en pensées dans ce lieu sinistre où gît désormais sa mère, la terre de son repos dans les sillons de nos mains. »
Surtout, elle excelle à brosser de très belles scènes d’amour consolatrices, contées sans fards, torrides et pudiques à la fois, réponses très directes en tout cas à la question de Freud « Was will das Weib ? » Et ce que veut une femme, au fond, n’a peut-être pas beaucoup changé au cours des siècles.
La mémoire sous les vagues - Laurence Couquiaud - éditions Les Nouveaux Auteurs, 344 pages, 18,95 € (Prix Femme Actuelle 2016)
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