Pour Maman,
« Nunc et in hora
mortis nostrae
dimanche 26
décembre 2010
Je suis arrivé hier soir à Saintes, après être repassé par Orléans pour prendre ma voiture. Dominique m’avait laissé un message la veille de Noël pour me dire que maman n’allait plus très bien. Je ne l’ai écouté que le matin du 25, en contemplant à mon réveil le jardin de Sophie Chérer enseveli sous la neige qui était tombée toute la nuit sur Courcelles-Chaussy.
C’est donc sur une route toute blanche que Sophie m’avait conduit samedi midi à la gare de Metz après avoir récupéré son père, un Pierre lui aussi, vieil original et incorrigible bavard, aux beaux yeux bleus. Il vit seul dans une chambre de « B and B » dans une zone hôtelière de nulle part, à proximité de Metz, entre des bretelles d’autoroute. J’ai donc raté le repas du jour de Noël et l’oie dodue qui rôtissait déjà dans le four quand je suis parti. Mais la journée du 24 avait été très joyeuse. Nous avions préparé le sapin, sommes allés à la messe de Noël des enfants à 19 heures, en marchant dans la neige – c’était vraiment Noël ! - puis nous avons dîné, trinqué tous les six et nous nous sommes offert nos cadeaux. Après quoi, Marie-Aude, Constance et moi avons terminé la soirée devant un film, Love actually, que Sophie nous a laissé regarder, l’ayant déjà vu vingt fois, tandis que Mathilde et Charles regagnaient sagement leur grande chambre du premier étage.
Difficile dans cet
accompagnement de ne pas perdre soi-même le sens des réalités, du temps, de ne
pas sombrer dans un état de nulle part, une sorte d’anti-chambre du néant. Que
devient la vie quand elle arrive au bout d’elle-même et qu’elle semble pourtant
vouloir s’étirer encore vers un infini dénué d’horizon ? Seules des tâches
matérielles redonnent quelque consistance à cette durée guimauve sans parfum.
Ma crainte – très maternelle - est que nous n’arrivions pas à nourrir
suffisamment maman et qu’elle meure littéralement de faim et de soif. En la
voyant triturer son drap tout à l’heure, je me revoyais tout petit roulant mon
« sassa » (= doudou) sous mon nez, avec la même satisfaction aveugle.
Retrouverai-je ce geste quand je serai moi aussi au bout du chemin ? Il me
semble qu’il est encore sous mes doigts, prêt à reprendre du service quand je
sombrerai à mon tour.
J’ai lu à maman le
texte sur le sourire, sans résultat apparent sur elle, mais la lecture à voix
haute m’a fait du bien. Le son des mots m’a rasséréné alors que j’allais me
défaire. Maman a commencé à s’agiter comme pour sortir du lit. Je lui ai
demandé si elle voulait aller aux toilettes. Elle m’a dit oui dans un souffle.
A recommencé la lente et hésitante migration… Elle a voulu faire un crochet
vers la salle de bains. Devant l’armoire à glace, elle a essayé d’attraper son
image. Je lui ai dit que c’était un miroir et elle semble l’avoir compris. Je
l’ai fait pivoter, non sans l’obliger un peu, pour entrer dans les toilettes.
Avant qu’elle ne se retourne pour s’asseoir, j’ai baissé sa culotte de pyjama, sa
couche et elle s’est mise aussitôt à uriner debout. Mauvais timing : je
saurai ce qu’il ne faut pas faire. J’ai réussi à la poser sur la lunette pour
qu’elle termine son émission. Je l’ai essuyée. Elle est restée longtemps
assise, comme si elle n’avait plus voulu ou pu se relever. Moi, j’étais
accroupi devant elle, appuyant sa tête sur mon épaule et lui caressant les
cheveux. Je l’ai aidée à se relever en forçant un peu le mouvement je l’ai
réinstallée sur son lit : petit coup de lingette sur les jambes, enfilage
d’un change propre, et hop, dodo. L’effort avait dû la fatiguer. Elle s’est
endormie.
Dominique est repassée. Elle a rapporté une boîte de clés. Depuis des mois, maman cache on ne sait où les clés des portes, des armoires et nous nous efforçons de les retrouver. Un des problèmes est qu’on soupçonne que certaines clés sont dans des armoires…fermées à clé.
Maman ne s’est
guère éveillée depuis tout à l’heure. Nous entourons son lit, penchés au-dessus
d’elle. Elle décrit des arabesques avec son bras gauche, élevé au-dessus de sa
tête et semble suivre sa main des yeux. Cherche-t-elle attraper des objets, dans
quelle réalité virtuelle évolue-t-elle ? Dominique me disait qu’elle
essayait peut-être d’écrire, faute de pouvoir parler. L’usage de la main gauche
rend cette hypothèse improbable.
N’arrivant pas à
rester continûment à côté de ma mère, je circule dans la maison. Tout m’est
familier, j’y revoie mon père vivant, installé dans son fauteuil vert face à la
télévision ou assis derrière son bureau, descendant au garage, dans ce sous-sol
où il aimait bricoler. Maman a garni les meubles et les murs de photos encadrées
ou simplement tenues par de petits aimants. C’est un pêle-mêle de morts et de
vivants mais heureusement, ces derniers l’emportent en nombre. Car en dehors de
Christian et de papa, et maintenant d’Andrée, ce sont les photographies des
enfants, petits-enfants et arrière-petits-enfants, pris à tous les âges de la
vie, qui occupent le moindre espace propice à exposition : dessus des
meubles, télévision, cheminée, murs où sont accrochés des tableaux magnétiques.
Et même si c’est à ce jour comptablement inexact – morts versus vivants - les
descendants sont visiblement majoritaires sur les ascendants, ce qui est
plutôt une bonne nouvelle.
Cette maison, où je n’ai jamais vécu, reste surdéterminée par les objets d’un passé qui est quand même le mien, absolument. Je me demande si je pourrais m’y installer. Sans doute, en jetant tout mais en aurais-je le courage ?
Dominique m’a dit qu’elle allait me ramener de la soupe de chez elle pour maman. Je vais me faire un frichti avec ce qui reste dans le frigo. Je vis de plats cuisinés pour une personne qu’achetait maman (ou Dominique pour elle).
lundi 27 décembre 2010
Papa aurait aujourd’hui 91 ans. Et c’est l’anniversaire de Félix. La nuit n’a pas été très calme. En allant me coucher vers 23 heures, j’ai trouvé maman par terre. Je l’ai recouchée. Puis je me suis endormi et réveillé vers 6 h du matin. Maman était encore allongée sur le parquet, la tête coincée cette fois entre le lit et sa table de nuit, jambes nues. En la relevant, j’ai retrouvé par hasard les clés de ses armoires que nous cherchions depuis si longtemps. Je l’ai remise sur son lit et je me suis vaguement recouché en écoutant sonner les heures et en somnolant. J’ai rêvé que j’étais dans une ville italienne avec Marie-Aude et que nous croisions un dealer un peu collant dont j’avais le plus grand mal à me débarrasser. Quand je me suis enfin levé vers 8 h, maman était encore allongée par terre, tournée sur un côté, derrière la porte, les jambes très froides. Je l’ai recouchée. Elle s’est fait une nouvelle bosse au front, sans doute en tombant cette nuit. Louisette, la voisine malgache qui aide maman tous les matins de 8 h 30 à 10 h, est arrivée et s’est mise au ménage, discrète et efficace. Pendant ce temps, j’ai préparé un café au lait pour maman (plutôt un lait au café, d’ailleurs), additionné de gélifiant, avec une biscotte tartinée de confiture de myrtille, que j’ai fait fondre dans le lait chaud. Elle a tout mangé. Puis j’ai préparé un bain et avec l’aide de Louisette, j’ai pu laver maman. Pour la première fois. Dans le bain, elle s’est détendue et semblait bien, tranquille. Au sortir, après l’avoir rhabillée et que Louisette l’eut peignée, je l’ai installée dans le fauteuil vert que j’avais transporté hier soir dans sa chambre. Elle y est restée tranquillement, sans parler, jusqu’à l’arrivée du Dr Bosseboeuf. Nous allons avoir un lit médicalisé et des soins à domicile. Pour le moment il n’y a pas grand-chose d’autre à faire. Elle était somnolente quand le docteur est arrivé mais elle a fini par se réveiller et, semble-t-il, le reconnaître. Elle avait un peu de tension (18) mais sans gravité d’après le médecin qui a prescrit des soins infirmiers quotidiens : toilette, massages anti-escarres. Je commence à penser à l’avenir immédiat : je crois que je vais proposer à Dominique de venir en début de semaine et de repartir le jeudi pour que nous alternions la garde.
Soir
J’ai commandé le lit médicalisé en téléphonant à la pharmacie du Haras. Il devait être livré dans l’après-midi, aussi j’ai fait passer maman sur le lit de la chambre d’à côté et démonté son grand lit, celui-là même qu’elle a partagé avec papa depuis qu’ils sont mariés (soixante-dix ans en 2011). Le lit médicalisé est arrivé et j’ai aidé le livreur – qui était seul – à le monter. Arthur, en repartant, s’est arrêté pour dire au revoir à son arrière-grand-mère. Il était avec Sophie qui est restée un peu et qui pleurait d’avoir revu maman dans cet état de prostration, ne reconnaissant personne, épuisée. On a parlé. J’ai replacé maman dans le lit médicalisé, équipé de barrières amovibles qui devraient l’empêcher de sortir de son lit et de tomber. Sophie est repartie à pied. Jean-Louis est repassé me donner un coup de main pour descendre les éléments de lit au sous-sol. Louisette est revenue ce soir, ce qui m’a permis d’aller jusqu’à la pharmacie, de faire trois pas dehors, car je ne suis guère sorti ces jours-ci. J’ai fait manger maman, un peu de soupe, un petit suisse et une compote. Puis je l’ai changée et je l’ai couchée. Je ne sais pas combien de temps elle va dormir mais au moins elle ne devrait pas tomber cette nuit. Je ne sais même pas si elle saurait m’appeler, elle ne l’a pas fait les nuits précédentes.
Marie-Aude, elle,
a su. Elle ira voir Lorris et sa famille mercredi. Elle s’est remise à son
roman. Constance a pris froid et s’est enrhumée (elle était à peine couverte à
Courcelles). Je repasserai un coup de fil à Sophie Chérer.
Après avoir
rapidement dîné devant la télé, j’ai commencé à regarder une niaiserie sur
France 3 avec Pierre Richard et Gérard Depardieu, tout en ayant envie de
dormir. Et là je vais essayer d’écrire mon texte pour L’Express : il faut
que j’y arrive ce soir mais je bloque.
Dominique va peut-être passer, je vais l’attendre.
Mardi 28 décembre
Finalement, j’ai terminé ma critique hier soir, pour expier ma « niaiserie », et je l’ai envoyée à 1 h du matin. Coïncidence, il n’y est guère question que de mort.
J’ai dormi jusqu’à 6 h. Maman a dormi elle aussi, et je l’ai retrouvée le matin dans l’exacte position où je l’avais laissée, contrairement aux nuits précédentes. Le lit à barreaux a été efficace et maman s’est sans doute encore affaiblie.
C’est le soir. Je suis dans la chambre de maman, qui respire de façon très irrégulière. Elle ne s’est alimentée que ce matin et à midi presque rien. J’ai réussi à lui donner un peu d’eau gélatinée à la cuiller dans la journée. L’infirmière, Delphine Grolleau (« avec deux ‘L’ pas comme le marchand de cycles »), est passée ce matin pour la première toilette. Elle parlait très fort à maman, s’est aperçue que je m’en apercevais et en a plaisanté : « J’ai l’habitude de soigner des personnes âgées qui sont souvent sourdes alors je crie. Même chez moi, d’ailleurs mon mari s’en plaint parfois et le pire c’est que mes deux petites filles se sont mises elles aussi à parler aussi fort ! » Cet après-midi, le père Félix, que Louisette avait sollicité de notre part, est arrivé pour donner à maman le sacrement des malades. Avec l’huile sainte, il a tracé une croix dans chaque paume des mains et une croix sur le front. Il a lu plusieurs prières, lentement, avec sa voix forte d’Africain. Il est nigérien du Niger à ne pas confondre avec les Nigérians du Nigéria nous a-t-il précisé à la sortie et en nous faisant un couplet – gentil - sur la façon dont nous autres Européens nous occupons de nos vieux. Il avait pris nos numéros de téléphone et ce soir il m’a rappelé vers 21 h pour me demander des nouvelles de maman.
Ce matin, je suis
sorti pour aller chercher les compléments alimentaires que j’avais commandés à
la pharmacie. Je n’ai pas réussi à prendre mon petit déjeuner, bien qu’ayant
rapporté une baguette et un croissant.
Lu dans La Vie une
superbe citation de François Mauriac, tirée de sa dernière interview :
« Une vie, c’est l’ensemble des forces qui résistent au désespoir. »
Maman est épuisée
de ne pas s’être alimentée. Elle ne serait sans doute pas dans le même état si
nous l’avions hospitalisée. D’où mon interrogation : est-ce qu’en la
gardant ainsi chez elle, nous ne la laissons pas tout bonnement mourir ?
Ou du moins nous accélérons sa mort. Ou encore nous ne prenons pas tous les
moyens pour repousser celle-ci. Est-ce que quelqu’un qui n’a plus la force de
s’alimenter doit être laissé ainsi ? Je ne sais pas, je ne sais plus. J’ai
appelé ma sœur et nous allons en reparler. J’en ai discuté aussi avec
Marie-Aude que j’ai eue au téléphone et qui me conseille d’appeler un
médecin : en fait ici, le soir, c’est le 15. Mais si on les appelle, ce
sera l’hospitalisation. Je me sens impuissant, indécis, ambivalent. Que veut
dire en l’occurrence « laisser faire la nature » ?
mercredi 29 décembre 2010
Hier soir, j’ai rappelé Dominique car je ne voulais pas rester seul sur cette interrogation. Elle m’a rejoint après avoir couché Galileo et nous en avons rediscuté, ce qui m’a un peu soulagé. Nous sommes convenus de revoir un médecin. Ce matin, je l’ai appelé et lorsqu’il est arrivé, j’ai prévenu Dominique qui nous a rejoints. Le docteur a d’abord jugé qu’il fallait hospitaliser maman puis a convenu que dans son cas une formule d’hospitalisation à domicile était sans doute possible et même préférable. Elle avait neuf de tension, le Triatec, un hypotenseur, que je m’étais échiné à faire fondre mais que je n’avais pu faire prendre à maman n’était plus nécessaire… Le Dr Briche est convaincu, en la voyant, qu’elle a dû faire un AVC. Ce soir Louisette m’a dit que maman s’était plainte, l’avant-veille de Noël, d’un violent mal de tête. Elle avait d’ailleurs vomi dans la nuit suivante des matières noires, ce qui avait alarmé Dominique qui l’avait retrouvée le matin couchée dans le lit d’à côté.
Au départ du
médecin, je suis allé à la pharmacie chercher une potence pour la perfusion et
les produits, une solution glucosée. Puis j’ai prévenu l’infirmière qui devait
passer comme tous les matins faire la toilette. Elle s’est procurée en chemin
les tuyaux qui manquaient. Je pensais qu’elle allait faire une perfusion en
intraveineuse mais finalement, elle a fait une sous-cutanée, moins
problématique à domicile (pas de risque d’hémorragie si la perfusion
« saute »). Christina Reus est d’origine roumaine, une petite pointe
d’accent et un beau visage plein et énergique. Elle a pris en mains la
toilette, a posé la perfusion sans problèmes, avec des gestes précis et décidés.
Les deux infirmières que j’ai vues, Delphine hier et Christina aujourd’hui, me
réconcilient avec la profession médicale.
Maman ne semble
plus du tout consciente. Elle respire bruyamment mais plus régulièrement
qu’hier, les yeux mi-clos ou complètement fermés selon les moments. Il y a peu
d’espoir qu’elle « revienne », à mon avis.
Cette après-midi,
j’ai commencé la lecture de Cleer, un autre roman de la sélection du
premier prix du livre numérique. C’est un vrai roman, intéressant, sur le
milieu des consultants et des grandes « firmes ». Je ne sais pas si
je pourrai le terminer car j’ai oublié le câble qui me permet de recharger le
Reader et la batterie n’affiche plus qu’un petit carré sur quatre …
Vers 17 h 30,
Dominique est passée avec Ulysse, Félix et Galiléo qui ont vu quelques instants
leur arrière-grand-mère dans son lit, yeux fixes et bouche ouverte et lui ont
dit bonjour de loin. Ils n’avaient pas l’air d’être trop impressionnés.
J’espère que ce n’est pas la dernière image qu’ils garderont de maman. Nous
sommes allés tous ensemble à la pharmacie et à Intermarché, laissant maman avec
Louisette. C’était ma sortie du jour.
Dominique m’a dit
qu’elle allait repasser quand elle aurait couché les enfants pour m’aider à
changer maman pour la nuit. Fred et Cécile reviennent ce soir de leur séjour à
Carthagène, avec encore une galère d’avion via Lyon… Ils devaient arriver à
Mérignac ce soir et reprendre leur voiture jusqu’à Saintes.
La perfusion de
maman, qui devait durer jusqu’à demain est presque terminée. J’espère que ce n’est
pas embêtant. Du moins son corps aura-t-il absorbé un litre d’eau glucosée dans l’après-midi, signe
qu’il en avait besoin. J’ai envoyé un SMS à Christina Reus mais je ne sais pas
s’il va passer, car c’est une ligne fixe réacheminée vers son portable.
Peut-être vais-je appeler le 15 pour leur demander conseil ? Je vais en
parler avec Dominique.
J’ai l’impression
que je m’installe dans quelque chose : maman dans sa chambre,
inconsciente, à qui je parle de temps en temps sans savoir si elle m’entend,
que l’on soigne, change, sans savoir combien de temps elle va vivre encore.
Va-t-elle mourir au moment où je vais la quitter vendredi ? L’autre jour, Dominique m’a
rappelé qu’il fallait « autoriser » les mourants à partir, qu’ils
étaient souvent retenus par les vivants. A tort ? Je compte en tout cas
revenir lundi ou mardi. Par moments, je repense au film d’Almodovar, Parle
avec elle, et à cet infirmier qui dans une folle pulsion d’amour redonne la
vie – doublement – à la jeune femme dans le coma dont il s’occupe tous les
jours.
Dominique est repassée. Fred et Cécile étaient enfin arrivés. Nous avons changé et massé maman ensemble, pour la première fois. Des escarres se dessinent dans son dos, il va falloir être vigilants. Il faut que je la change de position de temps en temps. Auparavant, j’avais enlevé moi-même la perfusion qui était terminée, faisant comme Christina m’avait indiqué. Geste simple. Dominique est repartie chez elle. De la cuisine, je n’entends maintenant que le tic-tac de la pendule, qui couvre la respiration de maman, plus lointaine. Je vais aller me coucher et lire un peu Cleer jusqu’à ce que la batterie rende l’âme.
jeudi 30 décembre 2010, matin.
Maman est morte cette nuit, dans le 6ème jour de l’octave de la Nativité. En me réveillant ce matin, vers 7 h 30, j’ai tendu l’oreille et n’ai pas entendu sa respiration de ma chambre, contiguë à la sienne. Je me suis levé, presque certain que… Je l’ai trouvée dans son lit, les yeux mis clos et la bouche ouverte, telle que je l’avais laissée vers minuit, mais sans souffle, déjà froide quand j’ai caressé sa tête et embrassé son front. Ses traits étaient détendus. J’espère qu’elle n’a pas souffert dans ce passage ultime. J’ai ouvert Prions en Eglise qui titrait à la date du jour : « L’heure de la délivrance est arrivée. » J’y ai vu un signe pour maman et pour moi. J’ai appelé Dominique sur son portable, qui ne répondait pas. J’ai prévenu Marie-Aude. Louisette est arrivée vers 8 h 30 comme d’habitude et je l’ai accueillie à la porte : elle s’est mise à pleurer et je l’ai prise dans mes bras. Sa maman est morte il y a tout juste un an. Elle s’est assise dans la cuisine, recrue d’émotion. Elle m’a dit que maman était sa seconde maman. Dominique est arrivée. Maintenant, nous entrons dans les obsèques. J’ai appelé Benjamin. J’ai demandé à Charles, qui doit dormir, de me rappeler.
La journée s’est passée en multiples démarches et coups de fil.
Abandonnant maman,
j’ai déjeuné chez Dominique avec Jean-Louis et les Bajard au presque complet
(moins Arthur) et ce soir j’ai dîné aussi chez eux. Je suis revenu dormir à la
maison avec maman. Je ne peux pas me résoudre à parler de sa « dépouille
mortelle ». Morte ou vive, c’est maman. Je regrette de ne pas avoir passé
la nuit dernière dans un fauteuil à côté d’elle. Elle est partie dans
« mon » sommeil devrais-je dire plutôt que dans « son »
sommeil.
Ce matin, le
docteur Briche est passé pour établir le permis d’inhumer. Il reste convaincu
que maman avait fait un AVC massif. Je lui ai reparlé des conditions dans lesquelles
elle avait été « accueillie » à l’hôpital de Saintes. Il m’a
conseillé d’aller en parler au service des urgences. Je ferai peut-être ça
demain après avoir choisi le cercueil et préparé la célébration. Dominique ne
veut pas de « prise de parole » mais je dirai sûrement un mot
d’accueil.
Je suis allé aux
Pompes funèbres avec le livret de famille qui se trouvait dans une caissette
métallique que j’ai réussi à ouvrir et le permis d’inhumer. Dominique les avait
appelés. J’ai été reçu par un certain M. Chagneau très affable et nous avons
mis au point tous les détails ou presque. Demain paraîtra le faire-part de
décès dans les journaux des Charentes, de Vendée et des Deux-Sèvres. Les
obsèques auront lieu lundi à 14 h 30 à l’abbaye aux Dames et maman sera inhumée
à Courcoury.
Vers midi, à mon
retour, Christina Reus, l’infirmière,
que j’avais prévenue, est passée. Elle a revu maman. Je lui ai parlé de la
citation de Prions en Eglise. Elle est croyante elle aussi. Je lui ai
redonné tous les produits, désormais inutiles, que j’avais pris à la pharmacie
et les ai mis dans son coffre. Lorsqu’elle remontait dans sa voiture, je lui ai
dit qu’elle faisait un beau métier. Dans l’instant, je l’aimais d’un amour
universel.
L’après-midi, je suis revenu à la maison avec Dominique pour accueillir le thanatopracteur qui allait « préparer » maman. Un grand jeune homme en pull-over noir est arrivé en même temps que nous, dans une voiture (noire elle aussi). Il a sorti de son coffre deux grandes valises métalliques. On se serait cru dans « Les Experts ». J’ai choisi pour maman l’ensemble bleu qu’elle portait au mariage de Cécile et que nous avons fini par retrouver dans ses armoires compactes. Dominique a précisé à l’homme de l’art : « Pas trop de rouge à lèvres », ayant un mauvais souvenir de sa belle-mère morte qui avait subi le même traitement et ressemblait à une mère maquerelle. Nous lui avons remis aussi le dentier qu’elle ne portait plus depuis plusieurs jours parce qu’il la faisait souffrir. L’homme s’est enfermé avec maman. Au bout d’une heure, il nous a appelés. Le résultat était très convenable, naturel, et notre mère ne ressemblait pas trop à une momie. Bien coiffée, yeux clos, bouche fermée, elle paraissait endormie. Nous avons juste fait ajouter des souliers, que Dominique avait passés au blanc dans le garage, non sans avoir explosé sur elle le vieux tube, qui s’ouvrait difficilement. Le thanatopracteur nous a conseillé d’éviter les courants d’air et de toucher maman, pour ne pas déposer des bactéries sur son corps. Un peu plus tard, les Pompes funèbres ont apporté une « table réfrigérée » qui a permis de déposer maman dans le salon mais que, curieusement, ils n’ont pas branchée, arguant que c’était inutile, maman ayant été « préparée ». Dans le salon, où j’ai allumé une bougie, je ne vois que le profil aigu de son visage. Elle a un air de squaw. Plus tard, j’ai démonté le lit médicalisé et l’ai mis au sous-sol. En fin de soirée, j’ai fait un saut chez Leclerc pour acheter de l’encre pour l’imprimante. J’ai trouvé aussi des fleurs incarnates que j’ai mises dans la cartouche en cuivre d’un des deux obus de 155 sculptés que Léonce, mon grand-père maternel, avait rapportés de la guerre de 14-18. Les roses parfumeront la mort.
Vendredi 31-Samedi 1er janvier 2011
Il est minuit passé de 2010. Nous sommes donc en 2011. Je suis seul dans la cuisine de la rue Garnier. Maman repose dans le salon. Les dix roses rouges de chez Leclerc ont fini par parfumer le salon, comme je l’espérais. Tout à l’heure, Louisette, Dominique et moi avons récité un chapelet. Il y a longtemps que je n’avais pas dit cinquante Je vous salue Marie à la suite. En le déroulant sur le chapelet que m’avait tendu Louisette, j’essayais de rompre la mécanique et au bout d’un moment, j’ai associé à chaque grain le visage d’un proche. Excellente méthode, je vais la faire breveter.
Aujourd’hui
(vendredi), j’ai encore couru encore entre les Pompes funèbres (pour choisir le
cercueil), le presbytère Saint-Pallais (rue des Curés !), où j’ai préparé
la messe avec « Mlle Aveline » et puis l’après-midi où j’ai fabriqué
la plaquette pour les obsèques.
En me levant ce
matin, j’avais fini de rédiger le mot d’accueil que je lirai à la messe et que
j’avais commencé jeudi soir avant de m’endormir dans la maison où maman passait
sa première nuit de morte.
À maman,
Au
seuil de cette messe où nous allons confier à Jésus, le Christ de Dieu, celle
qui va rester à jamais notre mère, grand-mère et arrière grand-mère mais aussi
notre parente, notre amie, notre voisine, nous tenons ma sœur et moi à
remercier toutes celles et tous ceux qui
nous accompagnent aujourd’hui de leur présence, de leurs prières ou de leurs
pensées affectueuses.
« Une
vie, c’est l’ensemble des forces qui résistent au désespoir. » Comme
j’étais auprès de maman ces derniers jours, je suis tombé dans le magazine La
Vie sur cette citation de François Mauriac. Alors que la conscience semblait
abandonner progressivement maman, son souffle continuait à emplir sa maison
jour et nuit avec cette force et cette obstination qui furent jusqu’au bout sa
signature. Résister fut sans doute l’un
des mots-clés de sa vie.
Il
y a exactement trois semaines, après sa chute dans les rues de Saintes, lors de
la première nuit agitée passée au sortir de cet hôpital où l’on avait essayé si
maladroitement pendant deux jours de dompter sa résistance à coups de sangles
et de neuroleptiques, maman m’avait évidemment reparlé de Christian. La mort de
son fils, de notre frère, il y a quarante sept ans sera restée jusqu’au bout un
point d’interrogation, une équation non résolue, la source intime de tous ses
questionnements, de tous ses refus, de tous ses dénis. Résister au désespoir de
perdre un enfant sans raison et sans explication.
Maman
est morte dans mon sommeil. En me réveillant, jeudi matin, et en prêtant tout
de suite l’oreille, j’ai su avant même de pénétrer dans sa chambre qu’elle
avait cessé de résister. En embrassant son front déjà froid, j’ai eu cette
pensée : « elle est délivrée » et puis je m’en suis voulu car au
fond quelque chose en moi aussi était délivré de cette angoisse, lâchement
soulagé de cette lutte inégale à laquelle j’assistais depuis le soir de Noël et
dont je venais de manquer les derniers instants. En ouvrant instinctivement
Prions en Eglise au 6ème jour de l’octave de la Nativité, j’ai lu
ces premiers mots en lettres rouges : « L’heure de la délivrance est
arrivée » et j’ai su que tout était bien en dépit de tout.
Il
y a exactement une semaine, alors que Dominique et moi étions penchés sur elle,
de part et d’autre de son lit, maman nous a regardés alternativement l’un et
l’autre et gratifiés d’un dernier sourire, arraché à la brume qui envahissait
déjà son esprit. D’où venait ce sourire ? Peut-être, comme elle nous
l’avait souvent raconté, de cette petite Foulonneau vif argent qui, il y a
quatre-vingts ans, courait autour de la
table de la cuisine pour échapper à sa mère Albertine qu’elle venait de faire
enrager. C’est ce sourire de Micheline que nous emporterons comme viatique pour
la route qui nous reste. C’est ce sourire que papa, je l’espère, a enfin
retrouvé huit ans après.
J’ai aussi réussi à joindre Anne-Marie Rateau qui voulait revoir maman et que j’irai chercher en voiture demain matin. J’ai reçu en début d’après-midi les voisins de maman, les Perrot. Mme Perrot s’est excusée de ne pas pouvoir venir aux obsèques de maman. Elle a un rendez-vous avec le Conseil de l’ordre des médecins : un chirurgien de Saintes a continué à lui opérer le bras à vif alors qu’elle lui signalait que l’anesthésie ne lui faisait plus aucun effet. « Ce n’est pas mon problème » lui aurait répondu le boucher en action… J’ai eu aussi une longue conversation avec Nathalie Foulonneau. Ce soir j’ai dîné avec Jean-Louis et Dominique : j’ai mon rond de serviette chez eux ces jours-ci. Ils m’ont parlé des frères de Jean-Louis, Michel l’aîné qui a hérité la propriété maternelle de Laruscade et Jean-Claude, le cadet d’Orléans et de Nina, la Russe que Vergnaud père a épousé en secondes (et tardives) noces. Noces qui lui ont valu l’inimitié définitive du fils aîné, lequel n’a pas supporté ce remariage de son père avec une femme quarante ans plus jeune. Et là après quelques passages sur gmail, orange et Facebook, je vais aller me coucher.
Petit réveil dans
le froid. La maison est à peine chauffée à cause de maman. Il fallait il y a
quelques jours la tenir au chaud et maintenant, c’est de fraîcheur que son
corps a besoin : elle n’a jamais su ce qu’elle voulait, ma petite mère…
Moi, présentement, je fais dans la crémation. Je viens de déjeuner en regardant
mes messageries, et donc en oubliant à nouveau des toasts dans le grille-pain
de maman, qui les a brûlés. Il fut automatique, mais c’était il y a longtemps.
Une fumée âcre a envahi la cuisine, vite dissipée en ouvrant les deux fenêtres
sur un matin gris et humide, encore pris dans un léger brouillard, le premier
matin de l’année MMXI, comme l’affiche Google. Avant de déjeuner, je me suis assis près de maman
et j’ai prié à voix haute en lui parlant comme si elle était là. Je me sentais
étrangement libre de lui dire ce que j’avais sur le cœur avec la certitude
qu’elle m’écouterait pour la première fois et qu’elle ne me contredirait pas.
La mort ne ment pas. Je me suis réconcilié avec maman, à dire vrai je n’étais
pas fâché, avec moi aussi et j’ai pensé que je commencerai désormais toutes mes
journées du reste de ma vie avec elle. Dominique m’avait envoyé hier soir une
des dernières photos prise par Corinne le 23 décembre, il y a dix jours, où on
la voit entourée de Laurent et de Mahault, ainsi que de Dominique. Je vais me
préparer pour cette journée de cette année qui commence.
Je suis allé chercher Anne-Marie Rateau à Courcoury et l’ai fait parler du passé. Elle a visité maman avec beaucoup d’émotion, contenue mais non feinte. En roulant, elle me disait qu’elle s’entraînait à l’idée d’entrer dans une maison de retraite aux Gonds en allant y visiter Jeannine David : elle a 86 ans, mais elle n’en est qu’à évoquer un « entraînement » ! Il faut dire que sa grand-mère est morte à 103 ans. Elle a de la marge. Elle m’a d’ailleurs montré des photos de la centenaire. Le médecin avait conseillé pour le jour de son anniversaire d’éviter de lui dire qu’elle avait cent ans, redoutant sans doute un choc fatal… Revu une jolie photo de maman qui était présente, elle avait à l’époque 63 ans.
Je viens de
déjeuner une nouvelle fois avec Dominique et Jean-Louis. Dans la foulée des
propos d’Anne-Marie que je lui rapportais, nous avons partagé quelques
souvenirs d’enfance et par chance, a-t-elle constaté, nous n’avons pas toujours
les mêmes. Je suis revenu à la maison. C’est finalement le père Jacques Genet
qui dira la messe demain. Je l’ai appelé et je lui ai envoyé par messagerie les
documents que j’ai préparés.
Vers 17 h, Thérèse Thior, la locataire de maman, est venue avec ses deux filles, Chloé et Inès, deux adorables jumelles de 8 ans et qui en paraissent 3 ou 4 de plus si je les compare à Stella et Isis. J’ai demandé avec quel engrais ces deux petites chabines étaient arrosées. Elles ont regardé attentivement maman, plus curieuses qu’effrayées de cette première morte qu’elle voyait. Elles ont d’ailleurs jugé qu’elle souriait légèrement, ce qui est vrai mais n’est peut-être dû qu’au talent du thanatopracteur - je ne le leur ai pas dit- puis ont déposé sur l’étoffe dorée qui la recouvre un dessin remplis de cœurs qu’elles ont fait toutes les deux et où chacune a écrit : « au revoir petit ange ! ».
Comme je viens de
le dire à Marie-Aude au téléphone, ces jours-ci, je fais visiter maman... J’ai
longuement parlé avec elle, plus de trente-cinq minutes d’après l’affichage du
téléphone et je ne me suis pas forcé. Quelque chose de délié entre nous ?
Ce soir, j’ai reçu un message de condoléances de mon ami André Paul :
Cher Pierre,
À ma place et à ma façon, celles que l'amitié
permettent, j'ose partager ta douleur. Une vie faite de longues relations, même
vécues à distance, ne cesse de tisser des liens filiaux que j'imagine (je ne
peux faire autrement) d'une densité et d'une force inégalées. Mais je sais
qu'avec toi et chez toi rien n'est à la vérité rompu. Même douloureux voire,
cruel, il s'agit bien d'un départ commun, celui de la mère et celui du fils. La
mort, et ceci je le dis d'expérience, est loin d'être une disparition. Elle
ouvre dans l'existence des voies inédites. Autre manière de dire « espérance ».
Je note le 11 janvier à 12h 15, à l'endroit habituel.
Tu me confirmeras.
Très amicalement.
André PAUL
dimanche 2 janvier 2011
J’ai répondu hier à Laurent, qui m’avait envoyé un (plutôt long) message, en lui adressant mon journal de ces derniers jours. Puis je me suis assis près de maman dans le salon, de plus en plus froid et je lui ai parlé quelques instants.
Hier matin, j’ai
fait lire à Dominique le mot d’accueil que j’avais préparé. Elle m’a dit :
« c’est très bien, tu vas faire pleurer tout le monde » et elle n’a
pu s’empêcher elle aussi d’essuyer une larme. Je l’ai serrée dans mes bras, ma
petite grande sœur qui ne pleure jamais, de peur peut-être de ne plus pouvoir
s’arrêter. Sophie s’est résignée sagement à ne pas venir et va envoyer des
fleurs. J’ai tiré les feuilles de la cérémonie sur l’imprimante de Jean-Louis.
En me réveillant,
j’ai appelé Marie-Aude et Constance pour m’assurer qu’elles étaient debout et
prêtes à prendre leur train. C’est Constance qui m’a rappelé car notre
téléphone fixe marche mal.
Ce journal qui enregistre
des bribes du présent me permet de les ranger dans le passé et de rester dans
les préparatifs de ce qui vient. Manière peut-être d’éviter d’être-là,
d’échapper provisoirement au chagrin et au deuil, qui reprendront du service
plus tard. Où je reconnais, sous un autre déguisement, la forme d’activisme salvateur
qu’a toujours déployé maman et que ma sœur a hérité.
Soir
Je suis allé chercher Marie-Aude et Constance au train de 12 h 22 à Angoulême. Occasion de revoir fugitivement cette ville où j’ai passé mon adolescence sans vraiment y laisser quelque adhérence que ce soit. Vaguement familière comme le serait une ville étrangère visitée plusieurs fois. A l’arrivée, Constance et Marie-Aude ont vu maman. Nous sommes allés prendre un café chez Domi. Nous avons passé la fin de l’après-midi réfugiés dans les trois pièces chauffées de la maison. Puis nous sommes allés dîner chez ma sœur. J’avais amené une galette et une bouteille de champagne qui attendait son heure dans le frigo de maman, mais nous ne l’avons pas débouchée. Ce sera pour une autre fois.
Nous sommes rentrés à Orléans hier soir vers 22 h 45. Lundi, le jour s’est levé sur un temps clair et moins froid. Le soleil nous a accompagnés pendant toute cette journée d’obsèques. Le matin, j’ai réceptionné les fleurs et réexpédié le lit médicalisé qui n’avait servi que deux jours à maman. J’ai tiré quelques livrets supplémentaires pour la messe chez Jean-Louis et j’ai répété l’hymne Ô Dieu qui fis jaillir avec Constance. Marie-Aude s’est jointe à nous. Les enfants de Paris sont arrivés ensemble au train de Niort vers 12 h 45 et c’est Jean-Louis qui est allé les chercher à la gare. C’était jour de foire à Saintes, premier lundi du mois. Benjamin et Charles sont passés voir maman et se recueillir quelques instants. Moment d’émotion pour eux, en découvrant leur grand-mère morte, allongée dans le salon.
J’avais fait les
courses chez Leclerc et préparé un bon repas pour accueillir nos garçons avec
un curry de poulet au coco, du riz, une salade, du fromage, un
Châteauneuf-du-Pape… Pour la première fois depuis longtemps (Noël 97 ou 98 à
Bordeaux ?), Marie-Aude et moi avons mangé avec nos trois enfants, tous
les cinq. Ils étaient en face de nous, alignés devant leurs parents, sur la
grande table de la cuisine.
Les employés des
Pompes funèbres sont arrivés en même temps que les Vergnaud : mise en
bière, dernier baiser, pose et vissage du couvercle, scellés à la cire fondue
sur les vis extrêmes par deux policiers municipaux. Puis nous sommes partis
vers l’abbaye aux Dames, moi cherchant frénétiquement au dernier moment ma
parka pour me souvenir que je l’avais laissée le matin chez Domi (qui est allée
la rechercher). Nous avons suivi le fourgon mortuaire dans les rues de Saintes,
jusqu’à l’abbaye aux Dames. Le Père Jacques Genet et Mlle Aveline nous attendaient
ainsi qu’une petite foule de Courcoury : Jacky Robert et son fils Michel,
Françoise la seconde femme de Jacky, Anne-Marie Rateau, des connaissances de
maman. Des voisins étaient là aussi, les Dupré, Louisette bien sûr. Nous ne les
avons pas tous identifiés, je le crains. J’ai essayé de saluer tout le monde
avant la messe, tout en distribuant le livret que j’avais préparé.
Puis la cérémonie a commencé. Le cercueil, accueilli par le prêtre au seuil de l’église est entré au son du Banquet céleste, d’Olivier Messiaen (Mlle Aveline m’avait rappelé pour me signaler qu’elle trouvait cette musique « triste »…) Benjamin a déposé sur le cercueil de sa grand-mère une bougie allumée que le prêtre lui avait tendue. J’ai lu le mot d’accueil que j’avais préparé et j’ai « calé » deux ou trois fois, au bord des larmes. Prévisible. Domi a lu l’épître de Saint Paul aux Romains, très bien, très posément. Pour le chant du psaume, nous étions trois : Marie-Aude, Constance et moi. L’homélie du Père Genet était sobre, impeccable. J’ai confié la prière universelle à Charles. A la bénédiction, au son du Pie Jesu de Duruflé, même Jean-Louis a utilisé le goupillon pour bénir le cercueil de sa belle-mère. Nous sommes sortis accompagnés par le Jesu bleibet meine Freude de Johann Sebastian Bach.
Puis nous sommes
partis en convoi vers le cimetière de Courcoury. La cérémonie au cimetière a
été courte. Un « moment de recueillement » était prévu, le cercueil
étant déposé quelques instants dans l’allée, sur une curieuse moquette verte.
Puis le cercueil a été descendu dans la fosse, à l’aplomb de celui de Désirée
Bellamy, la grand-mère maternelle de papa. Raclements du bois contre les parois
de terre et bruits des cordes que l’on remonte. J’ai distribué les dix roses qui
avaient parfumé le salon à des mains qui les ont jetées sur le cercueil de
maman, ainsi que quelques fleurs séchées prévues par les Pompes funèbres. Nous
avons quitté rapidement les lieux pour laisser les fossoyeurs reboucher la
tombe avec leurs engins. Ils sont maintenant très équipés. Nous avons discuté
un peu avec ceux qui étaient présents à l’inhumation, notamment Francis Audaire
et sa femme Claudine Guichard, une vieille amie de Dominique à Courcoury.
Nous sommes
revenus sur Saintes. Nous nous sommes tous retrouvés en famille rue Garnier,
autour des galettes que Domi avait achetées et d’un solide thé, précédé d’un
symbolique pineau, bu à la santé présente et à venir de nos familles. Nous
étions neuf, le noyau dur : ne manquait que Sophie, qui n’avait pu revenir de
Montpellier, dissuadée par sa mère, la distance, la reprise de ses cours et
quelques maux intimes qu’un nouveau trajet éclair n’aurait sûrement pas guéris.
C’était, dans la maison maternelle, ce moment d’après obsèques où les vivants
se recomptent entre eux. C’est drôle, on ne se sentait pas triste, comme dans
la chanson d’Aznavour, et je ne sais pourquoi à un moment nous avons longuement
plaisanté sur le sort des chaussettes orphelines au sortir des machines à
laver. Autre façon de parler des âmes dépareillées ? Charles s’est retiré
de notre tablée. Peut-être n’arrivait-il pas à raccrocher à cette ambiance
bizarrement joyeuse ou bien était-il fatigué d’avoir dû prendre un train si
tôt. Ce n’est plus son rythme. Benjamin repartait le premier. Je l’ai conduit
au car de 17 h 30 qui l’emmenait jusqu’à Angoulême pour prendre le TGV. Puis,
nous avons déposé Charles, et Dominique a fait de même avec Cécile et Laurent,
repassés par la maison paternelle mais qui repartaient tous les trois ensemble.
Et nous avons pris l’A10 pour rentrer à Orléans, Marie-Aude, Constance et moi. Lorsque
je suis entré dans notre appartement, mon premier réflexe a été d’aller
regarder dans une glace ma nouvelle tête d’orphelin. Je me ressemblais.
***
J'ai lu et je me dit que c'est pour cela que j'ai pleuré cette semaine. Partir quand ? Bientôt la comme m'a dit le psy du dispensaire la semaine appadernière.
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