« Femmes, je vous aime »
Femmes je vous aime, Julien Clerc, ♂
« Il n’y en a qu’un qui sait poser ses mains/
Au creux de mon cou, au creux de mes reins »
Ni belle ni bonne, Barbara, ♀
« Bientôt se retirant dans un hideux royaume
La Femme aura Gomorrhe et l'Homme aura Sodome
Et, se jetant, de loin, un regard irrité,
Les deux sexes mourront chacun de son côté »
La colère de Samson, Alfred de Vigny, ♂
Octobre 2017
J’ai envie depuis quelques jours d’inventer un mot-dièze #JeSuisunPorcMoiaussi après le tweet et le #BalanceTonPorc posté par Sandra Muller, victime d'une drague grossière et sexiste pendant une soirée à Cannes. Réflexe de/du corps ? Léger dégoût devant une soudaine campagne de délation d’hommes par des femmes, dont on vantait que la « parole » fût enfin « libérée », alors qu’il ne s’agissait que de quelques mots écrits jetés sur Twitter et dans la Toile pour participer au concours du plus grand nombre de suiveuses ? Fallait-il entrer dans une bataille d’où ne sortiraient que des vaincu.e.s ? Je me souvenais de Proust citant La colère de Samson comme d’une triste prophétie.
Et puis hier matin, on est le 20 du mois, juste avant de prendre mon train pour Paris pour aller y philosopher, un ami Facebook, provocateur à tendance incel, aimant peut-être plus les chiens que les filles, comme Brel qu’il n’aime pas, postait ce commentaire ::
"En baguenaudant dans le métro et la rue, je pensais, au nom de l'égalité feffuelle [=sexuelle, mon ami est pudique], à un hashtag #balancetespouffes. Celles qui, plus tard, balanceront des porcs, certainement."
accompagné de ces images :
"En matière de balance, tout est question de poids, de tare et d'équilibre. On a vite fait de la faire pencher d'un côté plutôt que de l'autre, auquel cas la mesure du phénomène est faussée. Quant aux images sus-montrées, je proposerais volontiers le délit de "harcèlement de vue" dont hommes et femmes sont également victimes."
J’avais envie en effet de rétablir la fameuse balance et je venais de trouver le titre de mon texte à venir. Mais j’allais plutôt me balancer moi-même dans une sorte de confession publique qui ramènerait, je l’espère, la paix perpétuelle entre les sexes (rien que ça), non sans avoir livré bataille à ma manière.
Au fait, à quand remontent les campagnes publicitaires qui proposent au su et vu de tout le monde de jolies jeunes femmes de plus en plus déshabillées dont la plastique est sensée attirer le regard du chaland sur le produit qui lui est associé et qui n’est pas forcément de la lingerie ?
Une indignée avait réagi ainsi au post de mon ami :
« Enfin ce qui est à dénoncer c'est ce que font les publicitaires du corps des femmes pour faire du profit! »
A laquelle j’eus envie de répondre illico :
« Auxquels se prêtent/vendent des femmes que RIEN n'oblige à ça. »
[Judith Godrèche a avoué avoir commencé à fréquenter les plateaux des photographes à l'âge de 8 ans. Avec quelles complicités ? Note de février 2024]
Quand j’avais commencé à « fréquenter » sa fille, qui était mineure – elle n’avait pas 18 ans et la majorité était alors à 21 ans, Giscard d’Estaing n’étant pas encore président, c’était au siècle dernier - mon futur beau-père avait lâché à sa femme : « S’il touche à ma fille, je lui casse la gueule » à quoi ma future belle-mère, fine mouche, avait répondu : « Tu sais, ces choses-là se font à deux », m’absolvant par avance, et sa fille avec, de nos premières et oh combien malhabiles entreprises amoureuses hors mariage. 45 ans plus tard, la fille en question est toujours sur le dos du même cheval, qui prend soin de rajuster ses œillères chaque fois qu’il l’emmène se promener, de peur de trop tourner la tête tellement il y a à voir en chemin.
Un jour déjà lointain que j’étais seul et donc sans œillères, assis à contresens dans le 58, quelque part dans le 14ème arrondissement, je levai les yeux de mon livre et aperçus au fond du bus une jeune femme dont le visage très blanc et surtout la bouche rouge écarlate (penser à Nothomb sans chapeau) attirèrent mon regard. Relevai-je la tête trop souvent, distrait de ma lecture ? La regardai-je trop intensément ? En tout cas, je la suivis des yeux quand elle descendit un peu plus loin et, de mon siège, alors qu’elle longeait le bus et arrivait à ma hauteur, je la vis soudain se tourner et lever la tête vers moi, visiblement en furie. Malgré la vitre Securit qui nous séparait, je l’entendis clairement hurler depuis le trottoir, toutes dents dehors : « Je ne suis pas une CHIEN-NE ! » Avais-je trop fixé ses lèvres turgescentes, quelle pulsion scopique si terrible m’avait échappé ? Je n’ai jamais oublié cette scène dramatique et qu’un regard, le mien, avait pu être vécu comme une atteinte sexuelle. Le bus démarrait déjà, je n’ai pas eu le temps d’en descendre, pour comprendre ce qui m’arrivait, ce qui lui arrivait. Je l’ai regretté. C’était il y a longtemps, mais rien en moi n’a prescrit ce moment.
« Celui qui regarde une femme pour la désirer a déjà commis l’adultère en son cœur avec elle. » (Matthieu 5, 28). Certes, mais ne peut-on plaider non coupable quand le maquillage – ah, ce rouge à lèvres ! - la longueur de la jupe ou l’échancrure du corsage - jusqu’où ne pas le boutonner ? - sont manifestement prévus pour attirer le regard en question. Séduire, dit-elle, mieux vaut faire envie que pitié, etc. Même avec des œillères, on voit donc des choses qu’on ne devrait sans doute pas voir. Et ne parlons pas de l’invisible qu’on déduit du visible ou qu’on imagine pour peu qu’on ait l’esprit vagabond. S’arrêter au bord du désir, avant l’eau à la bouche ? Je conviens volontiers que la soi-disant « irrépressibilité du désir masculin », dénoncée naguère par la regrettée Françoise Héritier, est une foutaise. D’ailleurs quel séducteur invétéré se confiait récemment ainsi : « Ma recette avec les femmes ? Ne jamais éjaculer. » ? variante crue du « dur désir de durer ».
A l’époque où j’étais encore séminariste, il y avait devant le portail du séminaire Saint-Sulpice à Issy-les-Moulineaux, l’entrée d’une école catholique. Un de mes condisciples écossais, très prude et très malicieux - son nom me revient, il s’appelait Donald McKinnon - m’avait fait remarquer à moi qui ne voyais rien de toutes ces choses pendant cette période de ma vie, que certaines (très) jeunes filles qui sortaient de cours, en corsage blanc et jupe plissée bleu marine, s’empressaient de faire faire deux ou trois tours à leur ceinture pour sortir leurs genoux - et parfois plus - de la pénombre. « Au printemps, les jours rallongent et les jupes raccourcissent » comme l'observe le lucide Émilien, le premier héros de Marie-Aude Murail.
Il y a donc beaucoup à voir dans nos rues, dans nos transports en commun, dans nos magasins et dans nos galeries marchandes, sur nos lieux de travail et de loisirs, partout où les hommes et les femmes se croisent, se côtoient, échangent des regards, des phéromones… S’y joue sans cesse cette attraction universelle que l’on ressent plus ou moins selon les jours et l’humeur. Histoire vraie : si P., après avoir croisé le regard de E. et y avoir deviné instantanément quelque connivence, avait laissé les portes de la rame se refermer sur lui, il ne l’aurait jamais rattrapée en haut de l’escalator pour lui proposer de prendre un café, là, tout de suite maintenant et elle ne lui aurait jamais répondu, dans un sourire : « mais oui, pourquoi pas… ». Et ils n’auraient pas aujourd’hui deux enfants… Mais P. aurait tout aussi bien pu se prendre un râteau voire une claque. Qui ne risque rien… L’intuition d’une attirance croisée mérite parfois vérification, surtout si, au bout du compte, il en va de sa vie, de deux vies et à la consommation des siècles, de bien d’autres.
Il y a quelques années, je lisais un livre de José Cabanis qui se déroule pendant la deuxième guerre mondiale. Gilbert, le jeune narrateur de L’âge ingrat y conte un bref moment ses bonnes fortunes auprès de femmes de soldats mobilisés. Puis il conclut ceci. « Je ne sais pas ce qu’elles sont devenues. Elles m’ont appris que les femmes ont envie de faire l’amour autant que les hommes et qu’il n’est pas utile d’être beau pour leur plaire : découverte décisive à vingt et un ans, qu’on fait seul, comme celle de tout ce qui importe. » Je n’avais évidemment aucun moyen de vérifier cette assertion romanesque, dont aucune démonstration ne pouvait m’être apportée par une fiction, mais, telle une révélation physique, elle avait subitement renversé le préjugé contraire qui était le mien jusqu’alors. Peut-être désirais-je alors plus ou moins consciemment rétablir la balance, encore une, de l’initiative amoureuse, quitte à être plus attentif aux signaux de l’autre sexe.
Je n'aime pas trop les discours sur LES femmes (ou LES hommes), mais je copie ce passage des Solidarités mystérieuses, de Pascal Quignard. C'est Jean, le prêtre, qui parle : « En la [Claire] regardant je pensais qu’au contraire des hommes – du moins au contraire des homosexuels au nombre desquels il faut bien que je compte Paul, que je me compte, que je compte Dieu lui-même – au moins à demi de lui-même...puisqu’il nous aime tous et qu’il nous a faits tous – les femmes ne désirent pas les hommes comme les hommes se désirent entre eux. Les femmes ne sont pas vraiment sensibles à la beauté invraisemblable de leur sexe. Les femmes ne séduisent pas non plus les hommes pour mettre la main sur leur pouvoir, ni pour l’exercer en sous-main, ni pour les domestiquer, ni pour prendre leur argent, ni pour acquérir ce qu’elles convoitent. Les femmes ne veulent même pas des enfants des hommes qu’elles étreignent afin de les reproduire, ni pour se reproduire elles-mêmes, ni dans le dessein d’assouvir leurs vengeances en lançant leurs petits à la conquête du monde. Les femmes n’attendent même pas des hommes des maisons où s’ennuyer auprès d’eux et y vieillir. Les femmes ont besoin des hommes afin qu’ils les consolent de quelque chose d’inexplicable. »
Quelle belle et étrange mission avons-nous auprès de nos compagnes d'un jour ou de toujours. En sommes-nous capables ? Combien de fois avons-nous essayé d'expliquer, alors qu'il s'agissait simplement de consoler, d'être simplement miséricordieux, simplement penchés au-dessus d'un mystère ? D'être de "bons compagnons", comme le chante derrière moi Reggiani ("Ma fille").
Mais voilà. La libération sexuelle associée à la contraception a légitimé et libéré le sexe comme moyen de parvenir à ses fins, pour les femmes comme pour les hommes. Tout le monde en subit les conséquences ou bénéficie de celles-ci. Les femmes ont-elles le droit de s’en plaindre plus que les hommes ? Peut-être. Coucher avec un type ou le sucer dans sa voiture pour obtenir un emploi, une promotion, un rôle, l’emporter dans un casting, est-ce immoral et cette immoralité n’est-elle pas également partagée par celui/celle qui exerce le pouvoir et celle/celui qui s’y soumet, pour un bénéfice partagé, peut-être plus durable pour la femme que pour l’homme dans bien des circonstances. Qu’en penserait feu Ruwen Ogien et son éthique minimaliste ?
Novembre 2019, deux ans plus tard
Il y a dans les débats actuels, qui ont noms Adèle Haenel ou Polanski, où l’on entend davantage les femmes (révoltées) que les hommes (au pire coupables, au mieux penauds), un mélange de vrais malheurs et d’immenses tartufferies en tous genres. Le puritanisme américain, incapable de distinguer l’art de la pornographie tout en faisant recette des deux, déteint sur nous, et sa conception hypocrite du pur et de l’impur semble l’emporter, à laquelle Jésus s’est attaqué, sans succès à ce jour. «Malheur [à nous] qui purifions l’extérieur de la coupe et de l’assiette, mais l’intérieur est rempli de cupidité et d’intempérance. » (Matthieu 23, 25)
D’ailleurs un Jésus un peu dystopique changerait-il aujourd’hui le genre de la parabole de la femme adultère en celle de l'homme violeur, et les femmes qui l’entourent prêtes à le lapider quitteraient-elles le cercle des indignées en commençant, comme le raconte saint Jean (Jean 8, 1-11), "par les plus âgées" ? Parmi les auteurs, réalisateurs, producteurs (l’ARP dont le sigle n’est gère inclusif), il semble en tout cas qu'aucun homme ne soit prêt en ce moment à poster sur son mur "JE SUIS POLANSKI". Or quel homme pourrait jurer sur la tête de sa mère qu'il n'a jamais forcé un tant soit peu ce qu'on nomme aujourd'hui le consentement d'une femme ? « En vérité je vous le dis, celui qui regarde une femme POUR la désirer, a déjà commis l'adultère dans son cœur » (bis). C'est quand même compliqué la vie, davantage qu'un slogan ou qu'un poing levé.
On me réplique en réponse à ces lignes un peu provocatrices, que « forcer un tant soit peu ou violer » n’est pas la même chose que « un flirt poussé n’est pas un crime ». Dont acte.
... et non bien sûr, la différence, c'est le Code pénal. Mais qui voudrait faire de ce gros livre rouge un arbitre permanent et omniprésent, et surtout a priori, du jeu de l'attraction, de la séduction et de l'amour ? C'est bien assez qu'il gère tant bien que mal les dégâts collatéraux de ce jeu.
Les déficits éducatifs sont abyssaux et ne relèvent pas de l'absence d'éducation sexuelle (plutôt des défauts de celle-ci, proposée comme une matière au programme). Outre les effets d'un pornographie qui suinte par tous les pores (on pense à un homonyme) d'Internet, tous les psys alertent sur la disparition des pères, encore plus inquiétante pour les filles que pour les garçons, semble-t-il, parce que responsables entre autres choses de nombreux "malentendus" entre de très jeunes filles et des hommes d'âge plus mûr. Que penserait Françoise Dolto de cette foire d'empoigne entre les genres, elle qui affirmait que le premier souci, inconscient, d'une fille pubère, parfois très jeune, était de s'assurer de l'intérêt qu'elle pouvait susciter chez un homme (et pas un gamin), souci faut-il le souligner entièrement ordonné à la future fécondation de ses rares ovules ? Dans mon souvenir, elle employait un mot plus cru à propos de son centre d'intérêt, suggérant comme la Petite de Léo Ferré, que "ses petits yeux doux ne regardaient pas n'importe où". Alors, que faut-il dire aux garçons ?
Pour Zola, la luxure était le moteur de la vie. La beauté est malheureusement convulsive, on le sait. Sinon elle n’est pas. C’est donc en conquérante impulsive qu’elle s’avance vers nous et le primat de la vue sur tous les autres sens impose la dictature de l’image à la société du spectacle dans laquelle nous sommes définitivement inscrits. Dans ce climat désirant, les pulsions côtoient les frustrations, dans une temporalité marquée par l’accélération vers l’immédiat, produite davantage par le choc des photos que par le poids des mots. Il semble que le manque ne puisse même plus être éprouvé comme une dimension constitutive du désir, comme cet écart qui lui est essentiel, mais comme la seule trace délétère d’une injustice faite à l’individu et justifiant à elle-seule sa révolte sociale.
Comment, si nous étions réellement seul·es, aurions-nous la force de nous aimer encore les uns les autres si Dieu n’était la source unique de cet amour (1 Jean 4,7) jusque dans les eaux les plus troubles ?
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