Malestroit,
c'est le nom d'une petite ville de Bretagne traversée par l'Oust et
sous ce nom, Jean de Saint-Chéron a caché le récit d'un destin
extraordinaire, celui d'Yvonne Beauvais, qui aurait pu devenir sainte
si...
La
vie-de-saint est un genre littéraire, l'hagiographie, vieux comme
l'Église catholique romaine qui s'est fait de longue date une
spécialité d'honorer parmi les siens celles et ceux qui auraient
fait montre de « vertus héroïques » et - c'est une
condition nécessaire - commis quelque miracle dûment attesté au
cours de leur existence terrestre (un seul suffit). Depuis Jean Paul
II, qui a béatifié et canonisé à tour de bras (482 saints, autant
qu'au cours des cinq siècles précédents) avant de l'être
lui-même, les papes ont relancé la fabrique des saints et saintes
et, en canonisant le 27 avril 2025 un jeune geek italien, Carlo Acutis,
mort en 2006 à l'âge de 15 ans d'une leucémie foudroyante,
François s'apprête sans doute à battre un nouveau record de
jeunesse et de précocité avec la reconnaissance insigne de ce
cyber-apôtre.
Mais
revenons à Yvonne-Aimée de Jésus, son nom en religion après
qu'elle a rejoint les Augustines de Malestroit, elle la Parisienne,
issue d'un milieu bourgeois et qui s'était fait un devoir d'exercer
dès son adolescence une charité enfiévrée dans les périphéries
de Paris, bouleversée qu'elle était par le sort des pauvres.
Elle
est morte en 1951 à 49 ans mais n'a pas été canonisée : "trop
de miracles" (sic) ont décidé à Rome quelques hommes mitrés soupçonnant sans doute d'hystérie cette femme d'exception. Couverte de médailles à la fin de la guerre par des généraux dont
un certain De Gaulle car son couvent de Malestroit et la clinique ultra-moderne qui
le jouxtait et qu'elle avait fondée avaient caché et soigné maints
résistants (mais aussi des soldats allemands), il n'y avait plus de
place sur elle pour l'auréole... Mais, entre autres signes sortant de l'ordinaire : elle pleurait
des larmes de sang, une de ses sœurs en religion lui vit un jour la poitrine en
feu et une autre les stigmates du Christ ; plus étrange encore
: il arriva que son corps produisît... des fleurs ; elle avait aussi le
don de bilocation : arrêtée à Paris, elle avait été libérée
miraculeusement, à l'instar de saint Pierre dans les Actes des apôtres (Ac 12), aperçue dans le
métro au moment même où elle était torturée par la
Gestapo.
Onze
ans après sa mort, l'autre Yvonne (De Gaulle) était convaincue
qu'elle ainsi que son mari lui devaient la vie sauve
lors de l'attentat du Petit Clamart, où l'on compta 187 balles
tirées au fusil-mitrailleur, dont 14 atteignirent la DS
présidentielle. Elle avait alors pressé dans la poche intérieure
de sa veste le portrait d'Yvonne-Aimée de Jésus qu'elle gardait
toujours sur elle.
Le
récit de Jean de Saint-Chéron donne une sorte de tournis ineffable
auquel ce bref résumé ne rend pas justice. De la somme des
témoignages, écrits d'Yvonne elle-même, lettres, archives
multiples, l'auteur fait surgir un surnaturel dont aucune explication
n'arrive à venir à bout. "Brûlée
de charité, assoiffée d'être aimée", l'expression tirée
d'un cantique, s'appliquerait bien à Yvonne-Aimée. Et la silhouette du
seul homme qu'elle aurait pu épouser, Robert, apparaît de temps à
autre, preuve qu'elle n'était pas un ange éthéré.
L’œuvre de la presque sainte est admirable et ce qui s'est manifesté à travers le
corps d'Yvonne tenait sans doute à quelque disproportion entre son
immense désir du Christ et les possibilités matérielles de L'aimer en retour à travers son prochain, excédent d'amour qui a engendré ces produits annexes, quasi-fatals : les sueurs de
sang, les stigmates, les fleurs émanées de son corps, les
phénomènes de bilocation, etc., tous faits qui ont eu des témoins
oculaires ou qu'elle a rapportés dans ses écrits mais qui sont au
fond seconds et secondaires par rapport à son activité multiforme, spirituelle, de santé publique, de Résistance, digne de la plus sensée et de la plus résolue des chefs d'entreprise.
Il
est caractéristique de notre époque que de jeunes écrivains
entreprennent de dépoussiérer le genre hagiographique. Malestroit
est une enquête qui vaut largement un bon polar mâtiné d'héroïque fantaisie. Comme avant lui, Sainte Marguerite-Marie et moi, de
Clémentine Beauvais (aucun lien avec Yvonne) avait brossé le
portrait déjanté d'une sainte aussi excessive qu'Yvonne-Aimée, mais qui avait eu pour elle de vivre à
une époque où le surnaturel était plus naturel aux yeux des hommes.
Malestroit - Jean de Saint-Chéron - Grasset 2025 (215 pages, 20 €)