Ce livre de 393 pages, qui s'ouvre sur un suicide, on pourrait en commencer la lecture à la page 375, quand l'autrice ramasse la vie de Betsy en 14 pages qui n'oublient rien. Le puzzle de cette vie pulvérisée est enfin reconstitué au terme d'une enquête tantôt serrée tantôt lâche, serrée auprès des vivants, auxquels il faut arracher leurs secrets, plus lâche auprès des morts qu'il faut malgré tout faire parler, livrée aussi aux aléas des archives dont un archiviste-malgré-lui révèle à l'autrice le principe très simple : « parfois on a, parfois on n'a pas ». Mais c'est le déroulé de cette enquête qui fait tout le sel de Mon vrai nom est Élisabeth.
Adèle Yon découvre la colère d'une femme, son arrière-grand-mère. qui infuse progressivement en elle pendant les quatre années de sa recherche et dont son livre est l'effusion et la diffusion. La colère comme remède à la peur d'hériter. À travers cette Betsy unique, Yon nous fait connaître toutes les colères de toutes les femmes qui ne demandaient qu'à être aimées et qu'on a voulu faire taire à coups de cravaches, de grossesses et... de lobotomies.
Car c'est aussi cette histoire collatérale, monstrueuse, que raconte au passage l'autrice : celle d'une chirurgie sauvage du cerveau développée par des hommes pour mater la folie des femmes (en majorité !), avant que la pharmacopée ne prenne le relais pour offrir ses camisoles chimiques.
L'histoire de l'institution psychiatrique, aussi, et de ses transformations, court en filigrane avec ses pièces à conviction, et surgit plus brutalement, au détour de la mémoire crue de soignants à la retraite appelés à témoigner de l'ordinaire d'un « HP », singulièrement celui de Fleury-les-Aubrais (Loiret), Daumezon, bien connu des Orléanais, où Betsy aura passé dix-sept années.
Sans se douter qu'un jour, une arrière-petite fille lui redonnerait son vrai nom : Élisabeth, à la face des hommes (♂) - un père, un mari, des psychiatres - qui l'ont anéantie.
En authentique chercheuse, Adèle Yon nous entraîne dans son enquête à ciel ouvert, nous faisant participer à ses tours et détours, à ses voyages, à coups d'entretiens, de correspondances retrouvées, de documents médicaux exhumés, traquant les secrets, les silences, les hontes familiales et les remords de tous ceux qui ont assisté à la naissance d'une patiente désignée et à sa destruction progressive et implacable.
Mon vrai nom est Élisabeth - Adèle Yon - Éditions du sous-sol - 6 février 2025 (393 pages, 20,90 €)