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31 août 2025

La collision


Nous les humains vivons dans des univers parallèles qui ne sont pas destinés à se rencontrer. Mais il arrive pourtant que ces mondes se croisent, non sans dommages, parfois. 

La collision appartient à ce genre de livre que des journalistes écrivent quand il se trouvent trop à l'étroit dans le format d'un article de presse. Ils se transforment alors en écrivains, se donnant le temps et l'espace pour traiter leur sujet. 

Parfois aussi, ce sont des écrivains de métier qui vont chasser sur les terres des journalistes et s'emparent d'un fait divers qui en vaut la peine, soit du fait de son caractère exceptionnel, soit au contraire parce que sa banalité crue le rend apte à refléter l'époque.

Le livre de Paul Gasnier ne rentre dans aucune de ces catégories - ou dans les deux - parce que le fait divers en question a frappé son auteur en plein cœur, à l'autre bout de la planète, déversant sur lui successivement sidération, chagrin, colère, haine jusqu'à un sentiment d'impuissance face aux récupérations politiques que son contexte aurait pu susciter, à quoi d'autres faits divers n'avaient pas échappé avant. Et depuis.

Le 6 juin 2012, une femme de 54 ans s'engage en vélo dans la rue Romarin, sur les pentes de la Croix-Rousse à Lyon ; derrière elle, une puissante moto KTM 654 échappe au contrôle de son conducteur, un garçon de 18 ans, qui a voulu faire une "roue arrière" et heurte violemment à la tête la cycliste qui sera déclarée cliniquement morte une semaine après.

Paul Gasnier a alors vingt et un ans. Il va devenir journaliste. En lui se développe de son propre aveu "une colère à induction lente" dont il fera enfin quelque chose le jour où, dix ans après, il éprouvera avec une certaine épouvante, lors d'un meeting, que cette colère ressemble à celles que manipule sous ses yeux de journaliste un candidat d'extrême-droite à l'élection présidentielle de 2022.

Car l'auteur de l'homicide routier commis sur sa mère s'appelle Saïd. Ses parents sont Marocains. Son frère aîné Abdel a été abattu l'année précédente de l'accident par un de ses anciens amis, sur fond de trafic de drogue. Saïd a emprunté un instant une moto surpuissante qu'il n'avait pas le droit de conduire, a voulu frimer devant ses potes et il a tué Christine Lelong.

Que faire de sa colère d'orphelin confronté à l'absurde ? Paul Gasnier décide de la muer en un livre-enquête passionnant et tragique, anatomie complète d'un fait divers, interrogeant nombre de ses protagonistes, témoins, travailleurs sociaux, avocat, juge, allant même jusqu'à contacter la sœur aînée de Saïd, ultime audace de son enquête qui répugnera à remonter jusqu'au coupable. Si ce n'est pour constater que ni le remords, ni quelque sentiment de culpabilité, ni la Justice, ni les condamnations n'ont remis ce jeune homme dans le "droit chemin", celui qu'il aurait pu emprunter dans un autre monde s'il y était né, ce monde qu'il a fracturé sans y entrer. 

En mourant, Christine Lelong n'a pas sauvé Saïd. Jusqu'à présent.

À Lyon, ce "vélo-fantôme" rend hommage à Christine Lelong.

PS : La collision est dans la première sélection de 15 titres en lice pour le prix Goncourt 2025.

 La collision - Paul Gasnier - Gallimard - 2025 (161 pages, 19 €)

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