24 septembre 2015

L'homme qui jouait de l'orgue



Bertrand Ferrier, en caustique des buffets...

 …il s’agit bien sûr des buffets d’orgue auquel notre littérateur éclectique se frotte avec amour et humour depuis de nombreuses années, car la valeur chez lui n’a pas attendu, etc. Ne dites surtout pas à sa mère qu’il est organiste titulaire à Saint-André de l’Europe, elle croit qu’il chante tous les soirs au Connétable.

En lisant ses quelque 250 pages (éditées chez Max Milo), j’ai mieux compris pourquoi, dans les années 70, M. Guillard tordait le nez en me voyant débarquer avec ma guitare en l’église des Blancs-Manteaux pour soukousser une « messe de jeunes ». A l’époque, mon statut de séminariste en recherche me commandait d’animer parfois les offices du lieu. Or, l’organiste, quand il est en charge d’un instrument aussi prestigieux, placé de surcroît sous la houlette d’un Dominique Merlet, tolère assez peu la concurrence d’un jeunot aux talents musicaux non homologués, dont la guitare acoustique ne transmet ses sonorités faiblardes et imprécises qu’aux premiers rangs de l’assemblée (ceux où siègent les jeunes, la nature est bien faite, malgré tout), alors que ses grandes orgues, malgré leur genre indécis, tantôt féminin tantôt masculin, pourraient de leur souffle faire courber les têtes les plus raides de l’assemblée, et, jusqu’au chœur, tourner les pages du lectionnaire voire soulever la chasuble du prêtre. Surtout si le susdit jeunot ose introduire dans la liturgie des chants - qu’entends-je ? - des chansons, qui ne relèvent d’aucune Versammlung officiellement reconnue par le CNSMP ou le Missel romain et qui se jouent sans partition sur les accords de l’Anatole.

Mais bref, je ne suis pas là pour parler de moi, comme dirait Bertrand, mais de l’excellent livre de M. Ferrier qui conte et compte par le menu la vie quotidienne, aussi précaire qu’exaltante, d’un organiste au temps des banlieues parisiennes lointaines et des caprices de ses multiples interlocuteurs paroissiaux. Du berceau à l’urne, funéraire et non électorale, en passant par les mariages, les grandes fêtes de Noël et de Pâques et le temps qu’on dit ordinaire, l’homme qui jouait - et joue encore et pour longtemps, on l’espère, tout imparfait qu’il soit - de l’orgue, alterne les brèves d’autel, plutôt que de comptoir, que ses amis Facebook ont pu découvrir avant tout le monde, avec les réflexions plus amples qu’ont suscité les péripéties heureuses (ou moins) de sa jeune et déjà longue carrière, au service de la Bête-orgue et de ceux dont il est chargé de consoler les joies et les chagrins en jouant pour eux. Nonobstant la somme de médiations obligées qui s’interposent entre sa musique et le cœur des fidèles, tous ces serviteurs officiels ou bénévoles de l’Eglise ou de la Synagogue, corps intermédiaires qui subissent ici un check-up complet qui n’épargne rien ni personne, notre auteur livre au final un constat lucide mais pas désenchanté sur sa mission haut perchée et les avatars de celle-ci.

L’homme ne vit pas seulement de l’orgue, la preuve, il écrit aussi d’excellents livres – et celui-ci est loin d’être le premier – car il a bien des cordes à son tuyau. Mais organiste est sans doute une sorte de sacerdoce premier chez lui, tant l’instrument qu’il a choisi (ou qui l’a choisi) semble être consubstantiel à une religion, la chrétienne, de plus en plus méconnue et donc incomprise, mais toujours mystérieusement requise aux moments cruciaux de l’existence par les plus athées des hommes. Que l’humour aussi scatologique qu’eschatologique de Bertrand Ferrier en vienne à nous faire toucher du doigt – je ne dis pas lequel - ce mystère, n’est pas le moindre mérite de notre auteur et de son livre pour le moins… endiablé.


L'homme qui jouait de l'orgue - Bertrand Ferrier - Max Milo - 27 août 2015 (256 pages, 19,90 e)


01 septembre 2015

La famille chrétienne n'existe pas

Pour désenchaîner Éros



Sous ce titre provocateur choisi par son éditeur (Albin Michel), André Paul passe la première session du Synode sur la famille (qui s’est tenue en octobre 2014) au crible des thèses qu’il a soutenues dans son livre précédent, Éros enchaîné, qui inventoriait les « maladies religieuses du sexe » et établissait leurs origines, au terme d’une enquête historique rigoureuse. Se livrant cette fois à un examen aussi serré des éléments de langage produits par le Vatican pendant et après l’assemblée des évêques, il montre que toutes les « ouvertures » manifestées dans le rapport provisoire ont été refermées dans la Relatio Synodi finale et il explique pourquoi. A la veille du second round qui se déroulera en octobre 2015, son livre souligne la distance qui sépare toujours, et de plus en plus, les documents du Magistère de l’Église, de Pie XI à Benoît XVI, de ce qu’il nomme la « société réelle » contemporaine, celle du démariage, selon l’appellation proposée par Irène Théry. Il analyse, à l’aune de l’histoire des idées qu’il avait brossée dans Éros enchaîné, la pertinence des cadenas posés par les papes du XXème siècle sur l’exercice de la sexualité humaine et notamment le plaisir, qui semble être le véritable « point aveugle » de leurs réflexions : procréationnisme hérité des Pythagoriciens via les deux Alexandrins, Philon le Juif et Clément le chrétien, interdiction de la contraception moderne, culpabilisation des divorcés-remariés, condamnation des « actes de l’homosexualité intrinsèquement désordonnés » (selon le § 2357 du Catéchisme de l’Église catholique de 1992), sont examinés de façon critique et argumentée.


A l’emploi un peu dégoulinant du mot « miséricorde » - non pas celle vivifiante et réellement cordiale de Dieu mais celle, mortifère, d’hommes hors du monde penchés sur de pauvres pécheurs – André Paul suggère de substituer sur toutes ces questions « l’empathie évangélique », dont son ouvrage livre en conclusion, avec les voies et les moyens qu'elle pourrait emprunter, l’esprit même. Comme il y a urgence, l’auteur s’engage dans cette croisade d’idées avec toute la force de son savoir et la verve de son style volontiers polémique. L'Église saura-t-elle répondre "au défi de la société réelle", sous-titre de son livre ? A l’instar de beaucoup de « catholiques d’ouverture », Paul observe les paroles et les gestes du pape François, espérant que celui-ci puisse apposer sa marque progressiste sur l’Exhortation apostolique qui conclura le Synode d’octobre prochain. Mais sans illusion.


Un sacré coeur !

Je me retrouvai hier* après-midi au cinéma Le Grand Club de Gien pour voir le film documentaire Sacré Cœur , de Sabrina et Steven Gunnell (a...