04 octobre 2015

Qu'est-il arrivé à Christophe Honoré ?

Sur la littérature jeunesse

Qu’est-il arrivé à Christophe Honoré, "écrivain et cinéaste", entré dans la carrière artistique qui est la sienne par la porte du roman pour la jeunesse ? Celui qui préside depuis le 8 septembre aux destinées du Centre de promotion du livre jeunesse en Seine-Saint-Denis, lequel chapeaute le Salon du livre et de la presse jeunesse de Montreuil, vient de produire à un mois d’intervalle, dans le Monde des livres, deux critiques assassines de jeunes auteures pour la jeunesse qui ne méritaient sans doute ni cet excès d’honneur ni cette indignité.

Roland Barthes disait : « C’est l’insistance d’une conduite qui en livre la signification ». Or, M. Honoré insiste et signe, puisqu’il bénéficie dans un quotidien encore prestigieux d’une tribune, baptisée Jeunesse oblige, qui est sans doute méritée mais qui devrait l’inciter lui aussi à respecter quelques obligations. Jugez-en.

Le 3 septembre 2015, sous le titre Un roman vieillesse, notre écrivain-cinéaste-auteur jeunesse-critique-à-ses-heures démolit un premier roman, celui de Cécile Hennerolles, Vladimir et Clémence paru chez Grasset Jeunesse. Je devrais plutôt écrire : démolit Cécile Hennerolles elle-même, tant la critique se déploie surtout ad hominem (en l’occurrence ad mulierem). M. Honoré ne résiste pas au plaisir un peu sadique de mettre en scène pour nous la malheureuse auteure devant son ordinateur, s’exclamant « au terme de chaque nouvelle phrase saccagée » […] : «Et voilà le travail ! ». Il la décrit « persuadée que la convention, la médiocrité de son écriture était la marque d’une tradition », et qualifie en outre cette écriture de « miteuse ». Mme Hennerolles écrit « pauvre », avec « la modestie d’une écriture sans invention », car elle est convaincue que c’est ça, « bien écrire pour enfants ».

Après une telle exécution en règle, on se demande ce que notre auteure, taxée au passage « d’inconscience » et « d’ignorance » aurait dû faire pour s’épargner un tel déluge de compliments. Eh bien, elle aurait dû mener « les combats inévitables qu’un écrivain doit mener en littérature jeunesse ». Tadam ! Qu’est-ce à dire ? M. Honoré propose à l’auteur jeunesse une sorte de djihad (intérieur, rassurez-vous) : rien moins que « d’effacer l’enfant de sa tête » et surtout ne jamais tenter de « s’assurer d’être compris » (sic). Le souci d’être lisible, le fait d’assigner à son écriture un horizon de réception, nuiraient donc gravement à l’auteur jeunesse ? Ne peut-on à notre tour imaginer que le jeune Honoré a été abonné à la revue Tel Quel avant de l’être à Pomme d’Api ? La suite tendrait à le confirmer.

De cet enfant, M. Honoré a en effet une vision très précise. Ce n’est pas celui qui « bouge tout le temps » comme le prétendrait Mme Hennerolles, mais un enfant plongé dans « l’immobilité », « la solitude terrée, la torpeur exaltante », etc. Qu’il oppose à l’auteure sa propre vision, qui est peut-être tout simplement celle de l’enfant qu’il a été ou d’un qu’il connaît, passe encore, mais qu’il prétende que cette immobilité est une « qualité commune à toute enfance », n’est-ce pas vouloir ranger tous les enfants d'aujourd'hui, sans doute mis sous Ritaline, dans un même casier à bouteilles, le sien ?

Le 2 octobre, notre écrivain-cinéaste-auteur jeunesse-critique-à-ses-heures récidive dans la même tribune qu’il occupe toujours, cette fois sous le titre Menu enfant. Sa nouvelle victime, Alice Brière-Haquet (ciel, encore une femme !) semble avoir commis d’emblée un crime impardonnable : « la sortie simultanée de cinq livres en librairie ». Ce « genre de record » la disqualifierait aux yeux de notre critique, sans autre forme de procès. Ça ne peut arriver qu’à des auteurs jeunesse, ça, madame, pas à des écrivains, des vrais. Si M. Honoré admet la « sournoiserie » de cette distinction, c’est quand même le premier coup de hache qu’il abat sur notre malheureuse (bis) auteure. Vous ne pouvez pas être un écrivain, un vrai, si vous publiez cinq livres simultanément. Quand on connaît un tant soit peu les tours et détours de la production d’un livre, illustré de surcroît, et considérant que chacun d’eux n’a peut-être pas le volume d’un Belle du Seigneur, il peut arriver, oui, à un auteur jeunesse qui émarge à plusieurs maisons d’édition, parfois oui, par nécessité économique M. Honoré, de sortir simultanément plusieurs livres dont la mise en chantier et la réalisation ont pu s’étaler sur une, deux voire trois années. On appelle ça les hasards de la programmation. En faire le reproche à un auteur paraît complètement déplacé, surtout si c’est uniquement pour l’écarter sous ce prétexte de la catégorie, que dis-je, de la dignité, d’écrivain.

Mais attention, la hache va s’abattre à nouveau. Magnanime, notre critique veut bien retenir encore un instant son bras en accordant des circonstances atténuantes à sa nouvelle victime : c’est sûr, c’était un ouvrage de commande et une « nécessité » – il ne précise pas économique, ce serait trop vulgaire, mais le pense très fort - a « contraint » cette pauvre fille, un « pouvoir […] s’exerce sur cette auteure », celui de l’abominable Castor (poche). En bref, elle ne peut pas avoir écrit cette daube dans « un geste libre d’écriture ». On accordera à notre démolisseur en chef qu’il fait preuve là d’un zeste d’empathie, certes paternaliste, mais quand même. C’est ce qui explique sans doute que dans la suite de sa tribune, il s’oriente vers le livre plus que vers l’auteure. On est soulagé pour elle. C’est le livre qui est haché menu, et non Alice Brière-Haquet (qui a répondu ici) comme l’avait été Cécile Hennerolles un mois auparavant.

Qu’ai-je envie de dire à M. Honoré après avoir lu ses deux recensions ?

D’abord, que s’il ne veut pas accréditer « l’idée que le livre pour enfants est un sous-livre rédigé par des non-écrivains », idée contre laquelle il s’était vaillamment insurgé dans le Monde du 7 avril 2010 pour défendre la subvention du département de Seine-Saint-Denis au salon de Montreuil, il devrait utiliser sa tribune non pas à s’acharner sur de jeunes autrices dont il juge à tort ou à raison les ouvrages médiocres, mais à montrer au contraire quelles œuvres pour la jeunesse contemporaines relèvent de la littérature avec un grand L, et pourquoi. Ce serait beaucoup plus utile pour la cause qu’il veut défendre puisqu'il la préside désormais.

Ensuite, j’ai envie de lui écrire qu’il se trompe de cible. Ce n’est pas l’écrivain qui est responsable de la qualité d’un livre, c’est l’éditeur. L’écrivain écrit, l’éditeur édite. C’est celui-ci qui décide de publier ou non un texte. C’est lui qui décide de ce qui a de la valeur ou pas pour le public qu’il vise. S’il s’est trompé, cela ne peut-être imputé à l’auteur, même s’il est évidemment possible et même souhaitable d’entamer un dialogue critique avec ce dernier.

Enfin, je crois que lorsqu’on cumule les casquettes comme d’autres les mandats, il ne faut pas oublier ce qu’on a été, un jeune auteur, un débutant, qui peut avoir besoin d’encouragements plutôt que de coups. Et après tout, si on n’a pas aimé un livre, on n'est pas obligé d’en parler, sauf à vouloir faire, avec le petit pouvoir parisien qu’on s’est fabriqué, un « carton » sur quelqu’un, un petit de surcroît, qui ne pourra pas vous répondre et dont vous n’attendez aucun renvoi d’ascenseur.

Bien sûr, je vous cite encore, il y a sans doute une « masse de livres idiots [qui] fait barrage entre l’enfant et la vraie littérature ». Mais ce n’est pas une spécificité de la littérature pour la jeunesse, que je sache. Et dans ce domaine, il en faut pour tous les goûts, des livres qui se déplient, qui flottent dans la baignoire, il faut des « Petit Ours brun va sur son pot » autant que des Harry Potter, des abécédaires en carton et des « vrais » romans de l’école des loisirs. Qu’il y ait avec cette diversité le risque que du moins bon voire du médiocre se glisse dans ce qui est offert aux enfants et à tous ceux qui leur prescrivent les livres, c’est indéniable. Mais je pense vraiment que le devoir d’un critique est de montrer le meilleur, d’expliquer inlassablement pourquoi c’est le meilleur, plutôt que de s’acharner sur ce qu’on n’a pas aimé. D'inviter à la lecture, en somme.

Aussi, je crois ne pas être le seul à attendre votre troisième tribune avec vigilance, monsieur le président du CPLJ.

PS1 : Et merci à Clémentine Beauvais d'avoir attiré notre attention sur Jeunesse oblige.

PS2 : A lire aussi la réaction de Cécile Boulaire et de Vincent Cuvellier, auquel j'ai répondu.


Le coup du lapin

  Julia Pavlowitch, éditrice, continue d'agrandir sa "tribu" d'auteurices. A près Timothée de Fombelle et Marie-Aude Mura...