
Avec
son nouveau livre, La
Gnose antique,
André Paul s'est attaqué à un sujet qui, pour avoir été
amplement traité dans les siècles passés, a vu ses perspectives
élargies avec les découvertes archéologiques de manuscrits écrits
en copte faites dans la ville égyptienne de Nag Hammadi en décembre
1945, complétés à partir de 1947 par les manuscrits dits de la Mer
morte. La révélation progressive du contenu de ces « apocryphes »
- littéralement « écrits cachés » - a contribué à modifier la
perception qu'on avait de la genèse des « Saintes Écritures »,
circonscrite depuis le IVe siècle dans un « canon » chrétien à
jamais clos au sein d'un espace intertestamentaire qui
allait se révéler bien plus riche qu'on ne l'avait reconnu.
La
recherche historique s'est aussi libérée de catégories formatées
par les dogmes catholiques qui, projetées sur les textes comme sur
les faits historiques, avaient déformé le rapport à l'antiquité à
force de pieux anachronismes. Pour André Paul, la lecture du livre
de Pierre Vesperini, La
philosophie antique (2021),
a été le déclic qui l'a amené à repenser l'émergence du moment
chrétien au cœur de l'antiquité gréco-judaïque en terme
de philosophia et
l'a conduit à écrire d'abord Le
Christ avant Jésus,
titre qui prenait l'exact contrepied du Jésus
avant le Christ d'Armand
Abécassis, puis, aujourd’hui, La
Gnose antique.
Pour
restituer les choses dans leur époque, s’en faire leur
contemporain, André Paul fait le choix de ne pas traduire certains
mots. Ainsi il garde le terme grec de ioudaioV (ioudaios) -
habitant de Juda - pour éviter la charge historique qui pèse
aujourd’hui sur le nom Juif ou son adjectif. Un lexique en fin
d’ouvrage propose la traduction d’une quarantaine de ces termes
laissés intentionnellement dans leur langue originale.
Gnose au
singulier pourrait faire penser à un courant de pensée unifié.
Mais il y en eut beaucoup de ces courants, connus d'abord par les
écrits de Pères de l'Église, grecs et latins, qui s'employèrent à
réfuter leurs thèses, avant que celles-ci ne soient redécouvertes
au siècle dernier dans leurs versions originales. Ces écoles de
pensée, « hairesis » en grec, allaient toutes devenir des «
hérésies », contre lesquelles se constituèrent et s'affirmèrent
progressivement les dogmes de l'Ekklesia chrétienne. Dispersés,
minoritaires au regard d'une religion officielle répandue par
l'empire romain devenu chrétien, ces courants gnostiques disparurent
au profit des « solutions » procurées par
la philosophia chrétienne
aux problèmes qu'ils s'étaient posés.
André
Paul montre qu'il y eut gnose avant, pendant et après l'émergence
du christianismos, la philosophia Christou, « vraies gnoses » avant que
certaines ne soient déclarées « fausses ». Malgré la
diversité des courants, le cœur de la gnose, on pourrait dire son
kérygme ou noyau, réside dans l'affirmation selon laquelle Dieu
n'avait pu créer
le monde mauvais dans lequel devaient vivre les hommes ; ce monde
avait été plutôt produit
par un dieu subalterne, le demiourgos (démiurge), qui s'était en
quelque sorte chargé du « sale boulot » dont pâtit
depuis l’humanité.
L'auteur
analyse ce qu'il nomme un « riche et fluctuant système »
qui va déboucher sur « la quête sans frontières du Dieu
unique », monos en grec, quête bien représentée par les
travaux de Philon d'Alexandrie, le philosophe gréco-judaïque
quasi-contemporain de Jésus auquel l'auteur consacre une large
étude. La Gnose finira « vaincue par le dogme » que
l'Ekklesia affirmera grâce à elle et contre elle. On est toujours
surdéterminé par son adversaire, rappelle André Paul.
Avec
l'invention du « péché originel », saint Augustin apportera une
explication au problème du Mal, écartant la solution du démiurge
proposée par les gnostiques et préservant l'unité et l'unicité du
Dieu monos.
Il est difficile, d'une courte recension, de rendre compte de la richesse de l'ouvrage d'André Paul. Il se clôt sur un excursus qui reprend à nouveaux frais son sous-titre en montrant comment christianisme et judaïsme se sont construits dans une différence motrice jusqu'à la rupture, actée dès lors que l'héroïsation de la figure de Christos va consacrer, pour la jeune Ekklèsia Christou, la caducité de l'ancienne alliance.
La Gnose antique - De l'archéologie du christianisme à l'institution du judaïsme - André Paul - Cerf - 20 mars 2025 (333 pages, 24 €)