29 avril 2025

L'affaire Bayard

 Blitzkrieg dans la presse et l’édition catholiques


Lundi 25 novembre 2024, le groupe Bayard annonce l’arrivée d’un certain Alban du Rostu comme bras droit du nouveau président du directoire, François Morinière. Très vite les salarié•es de Bayard Éditions et Bayard Jeunesse s’en émeuvent et le mardi posent le principe d’une grève pour s’opposer à ce recrutement. M. du Rostu est lié, comme d’ailleurs M. Morinière, à Pierre-Édouard Stérin, un milliardaire catholique proche du RN. Ces salariés profitent de l’inauguration du SLPJ à Montreuil pour afficher immédiatement leur opposition à ce qui ressemble à une manœuvre d’entrisme de l’extrême-droite dans la presse et l’édition catholiques.
Jeudi, La Croix publie une première mise au point dans une tribune signée par son nouveau président François Morinière et par l’assomptionniste Dominique Greiner. ”Nous avons un seul agenda”, sous-entendu ce n’est pas celui de M. Stérin, que celui-ci expose sans fards dans une interview donnée au Point... ce même jour ! Le titre de la tribune a la forme d’une tautologie qu’aurait sûrement commentée un Roland Barthes : ”Bayard reste Bayard”.
Le vendredi soir, Bayard a prévu de longue date une soirée pour ses auteurs et autrices, illustrateurs et illustratrices, chez Arsène à Montreuil, en marge du SLPJ. La tension est perceptible, elle va se résorber quand Florence Lotthé et Delphine Saulière prennent la parole, lisant à tour de rôle sur leur portable un texte qui porte la voix des salarié•es du groupe. À son tour, une autrice, Murielle Szac, lit le texte d’une pétition en projet déjà signée par beaucoup des artistes Bayard (et qui recueillera très vite plus de 270 signatures). Ces trois intervenantes sont vivement applaudies.
Et lundi 2 décembre, dénouement, dans un communiqué de presse du groupe Bayard qui rétropédale - et c’est tout à son honneur : Alban de Rostu renonce à son entrée dans le groupe Bayard, lequel quitte aussi le tour de table dans lequel il s’était engagé aux côtés de Bolloré et consorts pour racheter une école de journalisme, l’ESJ.
Jeudi 5, ”faut qu’on parle” : les Assomptionnistes, propriétaires de 93,7% du capital du groupe, devraient recevoir une délégation des pétitionnaires emmenée par Murielle Szac*. Sans doute vont-ils les rassurer en réitérant leur ”refus - non négociable - des extrémismes”, qui concluait leur communiqué de presse, et repréciser quelles valeurs devraient encadrer le futur plan stratégique du groupe Bayard.

* délégation composée, outre Murielle Szac, de Serge Bloch, Emmanuel Guibert et Marie-Aude Murail.

28 avril 2025

La Gnose antique


Avec son nouveau livre, La Gnose antique, André Paul s'est attaqué à un sujet qui, pour avoir été amplement traité dans les siècles passés, a vu ses perspectives élargies avec les découvertes archéologiques de manuscrits écrits en copte faites dans la ville égyptienne de Nag Hammadi en décembre 1945, complétés à partir de 1947 par les manuscrits dits de la Mer morte. La révélation progressive du contenu de ces « apocryphes » - littéralement « écrits cachés » - a contribué à modifier la perception qu'on avait de la genèse des « Saintes Écritures », circonscrite depuis le IVe siècle dans un « canon » chrétien à jamais clos au sein d'un espace intertestamentaire qui allait se révéler bien plus riche qu'on ne l'avait reconnu.

La recherche historique s'est aussi libérée de catégories formatées par les dogmes catholiques qui, projetées sur les textes comme sur les faits historiques, avaient déformé le rapport à l'antiquité à force de pieux anachronismes. Pour André Paul, la lecture du livre de Pierre Vesperini, La philosophie antique (2021), a été le déclic qui l'a amené à repenser l'émergence du moment chrétien au cœur de l'antiquité gréco-judaïque en terme de philosophia et l'a conduit à écrire d'abord Le Christ avant Jésus, titre qui prenait l'exact contrepied du Jésus avant le Christ d'Armand Abécassis, puis, aujourd’hui, La Gnose antique.

Pour restituer les choses dans leur époque, s’en faire leur contemporain, André Paul fait le choix de ne pas traduire certains mots. Ainsi il garde le terme grec de ioudaioV (ioudaios) - habitant de Juda - pour éviter la charge historique qui pèse aujourd’hui sur le nom Juif ou son adjectif. Un lexique en fin d’ouvrage propose la traduction d’une quarantaine de ces termes laissés intentionnellement dans leur langue originale.

Gnose au singulier pourrait faire penser à un courant de pensée unifié. Mais il y en eut beaucoup de ces courants, connus d'abord par les écrits de Pères de l'Église, grecs et latins, qui s'employèrent à réfuter leurs thèses, avant que celles-ci ne soient redécouvertes au siècle dernier dans leurs versions originales. Ces écoles de pensée, « hairesis » en grec, allaient toutes devenir des « hérésies », contre lesquelles se constituèrent et s'affirmèrent progressivement les dogmes de l'Ekklesia chrétienne. Dispersés, minoritaires au regard d'une religion officielle répandue par l'empire romain devenu chrétien, ces courants gnostiques disparurent au profit des « solutions » procurées par la philosophia chrétienne aux problèmes qu'ils s'étaient posés.

André Paul montre qu'il y eut gnose avant, pendant et après l'émergence du christianismos, la philosophia Christou« vraies gnoses » avant que certaines ne soient déclarées « fausses ». Malgré la diversité des courants, le cœur de la gnose, on pourrait dire son kérygme ou noyau, réside dans l'affirmation selon laquelle Dieu n'avait pu créer le monde mauvais dans lequel devaient vivre les hommes ; ce monde avait été plutôt produit par un dieu subalterne, le demiourgos (démiurge), qui s'était en quelque sorte chargé du « sale boulot » dont pâtit depuis l’humanité.

L'auteur analyse ce qu'il nomme un « riche et fluctuant système » qui va déboucher sur « la quête sans frontières du Dieu unique », monos en grec, quête bien représentée par les travaux de Philon d'Alexandrie, le philosophe gréco-judaïque quasi-contemporain de Jésus auquel l'auteur consacre une large étude. La Gnose finira « vaincue par le dogme » que l'Ekklesia affirmera grâce à elle et contre elle. On est toujours surdéterminé par son adversaire, rappelle André Paul.

Avec l'invention du « péché originel », saint Augustin apportera une explication au problème du Mal, écartant la solution du démiurge proposée par les gnostiques et préservant l'unité et l'unicité du Dieu monos.

Il est difficile, d'une courte recension, de rendre compte de la richesse de l'ouvrage d'André Paul. Il se clôt sur un excursus qui reprend à nouveaux frais son sous-titre en montrant comment christianisme et judaïsme se sont construits dans une différence motrice jusqu'à la rupture, actée dès lors que l'héroïsation de la figure de Christos va consacrer, pour la jeune Ekklèsia Christou, la caducité de l'ancienne alliance.


La Gnose antique - De l'archéologie du christianisme à l'institution du judaïsme - André Paul - Cerf  - 20 mars 2025  (333 pages, 24 €)

L'affaire Bayard

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