Jean-Claude Guillebaud est mort à Angoulême ce 8 novembre 2025.
Lorsque j'ai commencé en 2011 mes recherches sur la mort inexpliquée de mon frère Christian en mars 1963, j'ai contacté Jean-Claude Guillebaud car je savais qu'il avait été en classe avec lui au moins une année au lycée Guez de Balzac d'Angoulême. Une photo de classe de l'année scolaire 1960-1961, que je lui ai envoyée, en faisait foi.
Bien qu'il ne se souvînt pas de mon frère, il avait accepté d'échanger avec moi sur ses dernières années de lycée qui coïncidaient avec la fin de la guerre d'Algérie et les soubresauts tragiques provoqués par l'OAS.
Et il m'avait invité à le
rencontrer à Paris.
Le 11 avril 2012, il m'attendait donc dans
son bureau des éditions Les Arènes, sises à l'époque dans une
adresse historique, le 27 rue Jacob, siège jadis des éditions du Seuil. Il m'invita dans sa « cantine »,
le restaurant La Muraille de Jade, rue de l'Ancienne Comédie, où il
me fit remarquer Anna Karina qui déjeunait à quelques tables de
nous.
Puis il me conta, entre autres choses, un événement de l'année 1962 qui l'avait concerné. Le 15 mars, un commando Delta, le bras armé de l'OAS, avait assassiné à Alger six éducateurs – dont le poète algérien Mouloud Feraoun. Le ministre de l'Éducation de l'époque avait décrété une minute de silence dans tous les établissements scolaires à la mémoire des victimes des terroristes, emmenés par le lieutenant Roger Degueldre, un déserteur du 1er REP (qui, arrêté, serait fusillé quatre mois après).
Né à Alger, Jean-Claude Guillebaud était partagé entre un père, général gaulliste, qui s'était illustré en Italie à la bataille du Mont Cassin, et une mère « pied-noir », proche de l'Algérie française. Et il penchait plutôt du côté de sa mère à ce moment-là. Aussi refusa-t-il avec trois autres condisciples de s'associer à la minute de silence du 19 mars. Dans toute la France, ils furent quelque 1500 dans ce cas (dont Patrick Buisson). Les quatre contestataires furent exclus illico du lycée.
Mais ils ne s'en tinrent pas là. Quelques jours plus tard, apprenant que les syndicats allaient déposer une gerbe à La Bussatte à la mémoire des victimes de l'OAS, ils se cotisèrent pour en confectionner une autre, dédiée celle-là « à la mémoire des victimes du FLN ». Quand ils arrivèrent avec leurs fleurs et leur calicot provocateur, ils se firent tomber dessus par la CGT et, dûment tabassés, ne durent leur salut qu’aux policiers qui les exfiltrèrent de la cérémonie. Le lendemain de cet « exploit », la police vint voir Madame Guillebaud et lui conseilla d’envoyer son fils au vert quelque temps... Il partit alors comme pion à Nice pendant trois semaines. Puis il revint et, renonçant au projet vengeur qu'il avait d'abord formé, juste après son exclusion, de passer le bac en solo, il entra au collège catholique Saint Paul tout proche du lycée et réussit l’examen de justesse. À la rentrée 1962, il s'inscrivait en Droit à Bordeaux.
Pendant
ce repas, Jean-Claude me parla de cette époque troublée et
de sa jeunesse. Il n'était jamais retourné en Algérie, dont il avait la nostalgie, mais il en
avait le projet, qu'il finit par mettre à exécution. Il me confia aussi son bonheur et son étonnement d'avoir un grand fils qu'il avait eu très tôt, à l'âge de 20 ans.
Malheureusement, je n'avais plus revu ce généreux et chaleureux témoin, bien qu'il
m'eût invité à passer le voir en Charente. Je le regrette aujourd'hui. Qu'il repose en paix.
