31 août 2025

La collision


Nous les humains vivons dans des univers parallèles qui ne sont pas destinés à se rencontrer. Mais il arrive pourtant que ces mondes se croisent, non sans dommages, parfois. 

La collision appartient à ce genre de livre que des journalistes écrivent quand il se trouvent trop à l'étroit dans le format d'un article de presse. Ils se transforment alors en écrivains, se donnant le temps et l'espace pour traiter leur sujet. 

Parfois aussi, ce sont des écrivains de métier qui vont chasser sur les terres des journalistes et s'emparent d'un fait divers qui en vaut la peine, soit du fait de son caractère exceptionnel, soit au contraire parce que sa banalité crue le rend apte à refléter l'époque.

Le livre de Paul Gasnier ne rentre dans aucune de ces catégories - ou dans les deux - parce que le fait divers en question a frappé son auteur en plein cœur, à l'autre bout de la planète, déversant sur lui successivement sidération, chagrin, colère, haine jusqu'à un sentiment d'impuissance face aux récupérations politiques que son contexte aurait pu susciter, à quoi d'autres faits divers n'avaient pas échappé avant. Et depuis.

Le 6 juin 2012, une femme de 54 ans s'engage en vélo dans la rue Romarin, sur les pentes de la Croix-Rousse à Lyon ; derrière elle, une puissante moto KTM 654 échappe au contrôle de son conducteur, un garçon de 18 ans, qui a voulu faire une "roue arrière" et heurte violemment à la tête la cycliste qui sera déclarée cliniquement morte une semaine après.

Paul Gasnier a alors vingt et un ans. Il va devenir journaliste. En lui se développe de son propre aveu "une colère à induction lente" dont il fera enfin quelque chose le jour où, dix ans après, il éprouvera avec une certaine épouvante, lors d'un meeting, que cette colère ressemble à celles que manipule sous ses yeux de journaliste un candidat d'extrême-droite à l'élection présidentielle de 2022.

Car l'auteur de l'homicide routier commis sur sa mère s'appelle Saïd. Ses parents sont Marocains. Son frère aîné Abdel a été abattu l'année précédente de l'accident par un de ses anciens amis, sur fond de trafic de drogue. Saïd a emprunté un instant une moto surpuissante qu'il n'avait pas le droit de conduire, a voulu frimer devant ses potes et il a tué Christine Lelong.

Que faire de sa colère d'orphelin confronté à l'absurde ? Paul Gasnier décide de la muer en un livre-enquête passionnant et tragique, anatomie complète d'un fait divers, interrogeant nombre de ses protagonistes, témoins, travailleurs sociaux, avocat, juge, allant même jusqu'à contacter la sœur aînée de Saïd, ultime audace de son enquête qui répugnera à remonter jusqu'au coupable. Si ce n'est pour constater que ni le remords, ni quelque sentiment de culpabilité, ni la Justice, ni les condamnations n'ont remis ce jeune homme dans le "droit chemin", celui qu'il aurait pu emprunter dans un autre monde s'il y était né, ce monde qu'il a fracturé sans y entrer. 

En mourant, Christine Lelong n'a pas sauvé Saïd. Jusqu'à présent.

À Lyon, ce "vélo-fantôme" rend hommage à Christine Lelong.

PS : La collision est dans la première sélection de 15 titres en lice pour le prix Goncourt 2025.

 La collision - Paul Gasnier - Gallimard - 2025 (161 pages, 19 €)

24 août 2025

J'ai besoin d'ange

 


Depuis deux ou trois jours, mu par je ne sais quel instinct, j'ai repris la lecture, un peu ingrate je dois l'avouer, du Chemin de la perfection de Thérèse d'Avila. Au réveil ce matin, à 06:06, l'heure du diable qui m'a lancé un coup d'œil verdâtre avec ses yeux digitaux, j'ai rouvert le livre qui porte en couverture un ange et, sur la 4ème, j'ai lu cette légende : "Jusepe de Ribera, St Pierre libéré de sa prison par un ange (détail)". Moi le renégat, comme le répète un certain Jean, un ange est venu un jour jusqu'à moi pour me délivrer et m'a désigné de son index la porte de sortie.

Puis, lisant mon Prions en Église, en ce 21e dimanche du temps dit "ordinaire", je m'aperçois que la porte du jour est une porte par laquelle il faut entrer et qu'elle est étroite (Luc 13, 22-30). Porte étroite dont Gide a fait le titre d'un livre. Y a-t-il un ange pour me la désigner, un ange pour m'y attirer, un ange pour m'y pousser, tant que la porte est ouverte ? Environné d'anges, il m'est arrivé de vouloir les imiter, quand je ne voulais pas vulgairement m'en saisir. Mais Pascal a raison : à faire l'ange, on fait la bête. D'ailleurs il n'y a pas de manuel de "L'imitation de l'ange". Pourrait-on même les suivre, les attraper, eux qui ont des ailes et nous qui marchons pesamment sur terre ? Non, ils nous montrent simplement la direction, de leur index pointé : "C'est par ici !", la sortie, l'entrée, le chemin. Et ils s'éclipsent. "Et l'ange la quitta", conclut saint Luc     après l'Annonciation. C'était Gabriel, cette fois-là.

Est-ce le même instinct qui m'a poussé à me flanquer de Michel, l'archange qui combat le démon ? Vade retro, Satanas. Oui, j'ai besoin d'ange. Je l'écris au singulier car ils n'ont pas tous un nom, ces obscurs serviteurs de Dieu.
La porte reste ouverte, le chemin resserré (Matthieu 7, 14). Il n'est pas trop tard, n'est-ce pas ?
Mais qui sont mes anges ? Les femmes ? Les hommes ? Les enfants ?

17 août 2025

Mon vrai nom est Élisabeth

 

Ce livre de 393 pages, qui s'ouvre sur un suicide, on pourrait en commencer la lecture à la page 375, quand l'autrice ramasse la vie de Betsy en 14 pages qui n'oublient rien. Le puzzle de cette vie pulvérisée est enfin reconstitué au terme d'une enquête tantôt serrée tantôt lâche, serrée auprès des vivants, auxquels il faut arracher leurs secrets, plus lâche auprès des morts qu'il faut malgré tout faire parler, livrée aussi aux aléas des archives dont un archiviste-malgré-lui révèle à l'autrice le principe très simple : « parfois on a, parfois on n'a pas ». Mais c'est le déroulé de cette enquête qui fait tout le sel de Mon vrai nom est Élisabeth.

Adèle Yon découvre la colère d'une femme, son arrière-grand-mère. qui infuse progressivement en elle pendant les quatre années de sa recherche et dont son livre est l'effusion et la diffusion. La colère comme remède à la peur d'hériter. À travers cette Betsy unique, Yon nous fait connaître toutes les colères de toutes les femmes qui ne demandaient qu'à être aimées et qu'on a voulu faire taire à coups de cravaches, de grossesses et... de lobotomies. 

Car c'est aussi cette histoire collatérale, monstrueuse, que raconte au passage l'autrice : celle d'une chirurgie sauvage du cerveau développée par des hommes pour mater la folie des femmes (en majorité !), avant que la pharmacopée ne prenne le relais pour offrir ses camisoles chimiques. 

L'histoire de l'institution psychiatrique, aussi, et de ses transformations, court en filigrane avec ses pièces à conviction, et surgit plus brutalement, au détour de la mémoire crue de soignants à la retraite appelés à témoigner de l'ordinaire d'un « HP », singulièrement celui de Fleury-les-Aubrais (Loiret), Daumezon, bien connu des Orléanais, où Betsy aura passé dix-sept années. 

Sans se douter qu'un jour, une arrière-petite fille lui redonnerait son vrai nom : Élisabeth, à la face des hommes (♂) - un père, un mari, des psychiatres - qui l'ont anéantie.

En authentique chercheuse, Adèle Yon nous entraîne dans son enquête à ciel ouvert, nous faisant participer à ses tours et détours, à ses voyages, à coups d'entretiens, de correspondances retrouvées, de documents médicaux exhumés, traquant les secrets, les silences, les hontes familiales et les remords de tous ceux qui ont assisté à la naissance d'une patiente désignée et à sa destruction progressive et implacable.

Mon vrai nom est Élisabeth - Adèle Yon - Éditions du sous-sol - 6 février 2025 (393 pages, 20,90 €)


01 août 2025

L'école d'antan



 En 1984-85, notre fils Benjamin, né en 1977, allait sur ses 8 ans. Il était en CE1 à l'école primaire de la rue Neuve-Saint-Pierre, dans le IVe arrondissement de Paris. Son maître d'école, M. Lemoine eut la bonne idée de demander à tous les élèves de faire raconter par leurs parents et leurs grands-parents "comment c'était la vie et l'école" quand ils avaient leur âge. Ma mère, Micheline, écrivit un texte, Marie-Aude et moi, aussi.

***

Témoignage de Micheline Robert, née Foulonneau (grand-mère paternelle de Benjamin, née en 1920)

Cher petit Benjamin 

Je réponds à ton enquête pour moi-même et ton grand-père Jacques. 

Tu sais qu'à neuf mois près, nous sommes du même âge tous les deux ; en 1927, 1928, nous avions sensiblement ton âge. Nous sommes nés en Poitou-Charentes, ton grand-père à COURCOURY, petite commune campagnarde que tu connais et aimes bien et dont le nombre d'habitants est resté pratiquement inchangé, et moi, ta grand-mère, aux MOUTIERS-SOUS-CHANTEMERLE dans les Deux-Sèvres, autre petite commune similaire, à la limite de la Vendée et aux coutumes différentes. Nous parlions un français déformé par le patois environnant. 

La maison où je suis née était indépendante, au centre du ''bourg'', face à la place et à l'église. J'y étais bien. Mais, lorsque j'eus sept ou huit ans, mes parents déménagèrent pour s'installer dans une petite, très petite ville distante de dix kilomètres : L'ABSIE. Là, toutes mes habitudes changèrent et cet événement me marqua beaucoup car j'entrai dans une nouvelle école où je ne connaissais personne. J'avais quitté mes maîtresses, mes amis que je ne revis plus car les moyens de communications étaient inexistants : des voitures à cheval, peu d'autos (mes parents n'en possédaient pas). Pour rejoindre un train il fallait parcourir plusieurs kilomètres à pied ou à bicyclette.

Aussi, à cette époque, je fus éblouie par une sortie exceptionnelle avec des parents de ma mère, venus nous rendre visite avec leur taxi parisien. J'admirai beaucoup cette grande auto noire à marchepied, avec vitre intérieure séparant le conducteur des passagers et j'appréciai le confort des sièges en cuir noir également. 

Dans ma nouvelle maison, nous nous éclairions toujours à la lampe à pétrole, avec une suspension pour les pièces principales et des petites lampes ''Pigeon'' pour les déplacements d'une pièce à l'autre. Pas de téléphone, de télévision ni de radio; un journal hebdomadaire lu et commenté par mon père. Pas de baignoire : pour les soins quotidiens, nous avions une ''fontaine'' à réservoir d'eau, avec robinet et cuvette en-dessous, le tout sur un socle accroché au mur. Pour le corps, une grande bassine dans laquelle nous mettions l'eau chauffée dans la « bouillotte » d'une cuisinière à bois. 

Sur cette cuisinière se faisaient chauffer les repas et dans le four, les rôtis et les gâteaux. Je mangeais à peu près comme toi maintenant. Sans doute moins de viande, des légumes du jardin, des fruits du pays et des fruits secs, du chocolat, des confitures, parfois au goûter de grandes tartines de riz au lait, très sucré et chaud l'hiver. Pas de fruits exotiques, des oranges seulement pour Noël. 

Les soirs d'hiver, nous allumions la cheminée et je commençais à cette époque à faire la lecture à haute voix pour mes parents qui bricolaient pendant ce temps. Je me souviens avoir lu  La porteuse de pains au cours de ces veillées. J'aimais ce moment avec les miens. 

Je dus apprendre à lire assez facilement avec un livre unique, commençant par les voyelles, et les consonnes isolées, puis l'assemblage des unes et des autres. Quelques dessins en noir et blanc illustraient ce livre. Ensuite, chaque élève avait ses livres personnels, fournis par l'école et achetés par les parents. J'écrivais à l'encre violette, avec un porte-plume, et j'avais une ardoise. 

Il n'y avait pas de piscine. Je ne suis allée en vacances que quelques jours chez des cousins. Avec la classe, nous sortions entre amies, le dimanche, après les vêpres pour une promenade dans les bois. Nous jouions aussi aux jeux de société, ou au croquet, dans la cour. Nous avions une bibliothèque gratuite. Nous préparions aussi des petites séances de théâtre, pour une fête de Noël, avec des chants, des danses, des saynètes. Pour la fin d'année scolaire, nous participions à une grande représentation de théâtre en plein air, avec distribution des prix, sur une scène où rien ne manquait : estrade, décors, coulisses, rideaux, souffleur etc.. Quand les trois coups étaient frappés, mon cœur battait très fort. Etaient présents pour nous applaudir : nos parents, nos amis, nos camarades et, au premier rang, des personnalités bienfaitrices qui nous remettaient solennellement, ensuite, et par ordre de mérite, de jolis livres rouges, reliés et dorés sur tranche, plus ou moins gros et nombreux selon notre réussite scolaire 

La vie de ton grand-père Jacques était un peu plus rurale. Il aimait parcourir les champs avec son chien, au sortir de l'école et s'ébattre librement. D’où son goût très fort de la nature, et sa passion actuelle pour la chasse et pour la pêche. Lui comme moi, à sept-huit ans, n'avait pas vécu la guerre, mais il en entendait beaucoup parler dans sa famille, par ses parents, ses oncles. Nous avons vécu plus tard celle de 1939-40, très différente. A huit ans, nous avions moins de jouets que toi. Moi, mes poupées, berceaux et autres, des jeux de l’oie et de loto partagés avec des copains et des copines, rien de mécanique. Jacques avait son autoskiff, sa trottinette, son fusil à flèches ; c'était très beau pour l'époque. J'enviais beaucoup les tricycles que j'admirais de longues heures dans un magasin près de chez moi, où il y avait de tout. Je rêvais avec le catalogue de La Samaritaine et découpais les petits bonshommes pour monter une école en papier : chacun avait son nom écrit derrière. J'avais aussi un chat, ''Pompon'', dont je faisais ma poupée lorsqu'il voulait bien, couché sur le dos, les pattes en l'air sous les couvertures... quelques minutes. 

A l'école, les garçons et les filles portaient une blouse en satinette noire, plissée sur le devant ; la ceinture était nouée dans le dos ou, pour les garçons, la blouse boutonnée sur le côté. L'hiver, nous portions un manteau ou pèlerine à capuchon pour la pluie, un béret. des mi-bas et guêtres en laine ; aux pieds, des galoches de cuir à semelles de bois, montantes pour les garçons. L'été, des sandales en cuir, genre « Knickers » actuels. Le dimanche nous avions des tenues de fête plus élégantes, et toujours un chapeau de feutre ou de paille, selon la saison, et une casquette pour les garçons. Nous n’avions pas d'argent à cette époque, sauf quelques pièces : le ''sou'' et le ''2 sous'', pièces en bronze pour acheter quelques bonbons ; il y avait aussi les pièces en nickel percées de 5 centimes, 10 et 25, puis des pièces jaunes à partir de 50 centimes; ensuite, des billets que personne ne nous confiait. 

Je pourrais t'écrire beaucoup d'autres souvenirs de cette époque, mon petit-fils chéri, mais ce serait bien long. La possession de l'automobile commençait juste à se vulgariser. Nous sortions pour voir les ''dirigeables'' dans les airs, et les premiers avions étaient rares dans nos ciels de campagne.

***

Témoignage de Pierre-Michel Robert (père de Benjamin, né en 1950)

A l'âge de sept ans, je vivais en Côte d'Or : c'est une marque de chocolat mais c'est aussi le nom d'un département de l'est de la France. La capitale en est DIJON et moi, j'habitais à vingt-cinq kilomètres au nord, dans une ville de deux mille cinq cents habitants environ.

Mon père, fonctionnaire, avait été nommé là, loin de sa Charente-Maritime natale ; il avait accepté ce poste pour avoir un travail plus intéressant et mieux rémunéré.

La ville s'appelait IS-sur-TILLE, car elle était construite au bord d'une petite rivière, la Tille.

Auparavant nous habitions à PARTHENAY, c'est là que j'étais né, au milieu du XXème siècle, et que j'avais passé les quatre premières années de mon existence. J'ai un souvenir très précis du long voyage que nous avions dû faire, lors de notre déménagement. Nous avions traversé la France, d'ouest en est. C'est ma mère qui conduisait la ''quatre-chevaux'' (4 CV) dans laquelle j'avais pris place avec ma soeur et mon frère. Mon père était déjà parti et nous attendait. Après un trajet sans histoires, alors que nous étions presque arrivés, la voiture se mit soudain à glisser dans un virage et nous nous retrouvâmes dans un champ.

Heureusement, il y avait plus de peur que de mal : le verglas très fréquent sur les routes du Morvan, nous avait joué un tour à sa façon.

La maison d'lS-sur-TILLE ne nous appartenait pas. Nous étions les locataires de gens qui nous paraissaient très riches : le mari était vétérinaire et je me souviens de la grande maison de nos propriétaires, recouverte de vigne vierge ; on y entrait par un perron sur lequel veillaient jalousement quatre ou cinq petits chiens blancs, des Loulous de Poméranie, toujours en train de japper sur l'allée de graviers qui bordait la façade.

Les hivers sont rudes en Côte d'Or. Notre maison était chauffée par des poêles à charbon qu'il fallait garnir et parfois rallumer le matin, après les avoir nettoyés : il fallait retirer la cendre, remettre du papier journal et du petit bois puis, une fois que le poêle ronflait, ajouter le charbon. Il y avait dans la cave un grand tas de boulets noirs et luisants que mon père désignait parfois d'un nom mystérieux pour  moi : ''anthracite''.

Dans la salle à manger, où nous ne prenions nos repas que le dimanche, trônait un immense piano à queue noir sur lequel s'exerçaient ma sœur et mon frère. Je devais m'y mettre un jour, moi aussi, sous la férule de Mademoiselle Girodet, qui jouait aussi de l'orgue à l'église. Et, sur le piano, était posé le poste de radio, un gros appareil à lampe qui avait besoin de chauffer avant d'être en état de fonctionner.

Tous les dimanches, nous écoutions la ''T.S.F.'' comme on disait encore à l'époque, et notamment les matchs de football retransmis en direct et commentés par des journalistes qui nous faisaient partager toutes les émotions du stade. Des noms de joueurs célèbres sont ainsi restés gravés dans ma mémoire : Just Fontaine, Kopa, Piantoni.

Il y avait aussi une certaine Geneviève Tabouis qui faisait une causerie hebdomadaire sur les événements politiques : mon père l'écoutait avec attention, comme s'il s'était agi d'un sermon de Carême.

Car le dimanche, c'était surtout le jour où nous allions à la messe ; mes parents étaient catholiques, et nous élevaient dans le respect des traditions religieuses. Le curé de la paroisse était un homme très ingénieux ; comme tous les prêtres à cette époque, il prononçait ses sermons du haut de la ''chaire'', une sorte de petite tribune individuelle surélevée qui flanquait un des piliers de l'église. Ayant remarqué que cette chaire, dans toutes les églises, gênaient la vue de certains fidèles, il s'était fait construire une sorte de chaire métallique sur roulettes qu'un dispositif permettait de faire pivoter autour du pilier et d'effacer ainsi de la nef, pendant la messe, une fois son sermon terminé.

Dans notre maison, il y avait l'électricité mais pas le gaz. Toute la cuisine était faite à l'aide d'une cuisinière à charbon qui comportait un réservoir d'eau chaude que l'on utilisait le soir pour préparer des bouillottes que nous mettions au pied du lit afin de nous réchauffer.

L'argent dont nous nous servions ressemblait à celui d'aujourd'hui mais, ce que nous appelons maintenant des centimes'' était alors des ''francs''.

J'avais des jouets. Ceux que m'avait laissés mon frère aîné et notamment son ''Meccano'', jeu de construction tout en fer, avec des vis et des écrous, et de vrais engrenages qui pouvaient être animés par un petit moteur électrique.

Je me souviens aussi d'un train électrique, beaucoup plus gros que ceux que l'on voit maintenant, et lui aussi tout en métal. De temps en temps, le plus souvent à l'occasion d'un déplacement à DIJON, la grande ville toute proche, je me faisais offrir une voiture miniature en métal : c'était toujours une ''Dinky toy'', la marque la plus célèbre à l'époque. J'avais peu de jouets en plastique: ni le ''légo'' ni les ''playmobil'' n'existaient, mais il y avait déjà des petits soldats.

C'est drôle, mais je ne me souviens pas de la façon dont j'ai appris à lire ; les livres, en 1957-58, n'étaient pas très différents de ce qu'ils sont maintenant. Simplement, il n'y avait presque jamais de photographies et, quand il y en avait, elles étaient en noir et blanc. 

Il n'y avait pas de sorties de classe : je ne suis sorti avec des copains qu'à partir du moment où mes parents m'ont inscrit aux ''louveteaux'' et où nous faisions des randonnées dans la campagne toute proche, apprenant à lire des cartes et à nous orienter à l'aide d'une boussole.

A l'école, j'ai appris à écrire avec un porte-plume : au bout d'un petit manche en bois, de la taille d'un crayon, était fixée une plume d'acier ; sur notre bureau, il y avait un trou dans lequel se trouvait un encrier. Nous écrivions en trempant régulièrement la plume dans l'encrier et nous avions souvent les doigts tachés. Nous étions aussi obligés d'utiliser du buvard, sorte de papier absorbant avec lequel nous séchions les pages de nos cahiers avant de les refermer.

***

Témoignage de Marie-Aude Murail (mère de Benjamin, née en 1954)

J'avais sept ans en 1961. Je suis née au Havre, une ville de Normandie, qui a été en grande partie détruite en 1944 sous les bombardements de la seconde guerre mondiale. J'habitais donc un quartier rénové, d'aspect un peu triste, sur le Boulevard maritime qui menait au port et où le vent soufflait souvent fort. Nous vivions en appartement. Je me souviens surtout du couloir où nous jouions au football, mon frère et moi.

Nous n'avions pas la télévision mais, bien sûr, nous avions tout le confort moderne d'alors. Je ne te dirai rien au sujet de la baignoire. Je ne crois pas qu'à l'époque la salle de bains m'intéressait beaucoup.

Nous avions une grande voiture car nous étions sept personnes dans notre famille, quatre enfants, les parents et ma grand-mère. Nous allions en vacances et même en week-end car nous avions une belle chaumière à Foucart, une vraie de vraie chaumière, avec le toit de chaume, les murs blanchis à la chaux et des chèvres qui crottaient un peu partout .

Je ne suis jamais allée en colonie de vacances mais l'année de mes sept-huit ans a été marquée par un événement important pour la petite personne que j'étais. Mes parents ont déménagé pour « monter » à Paris. Comme ils ne souhaitaient pas avoir tous ces enfants dans leurs pattes pendant le déménagement. nous sommes allés avec ma grand-mère dans une maison de repos où il fallait faire la sieste ! Tu penses si j 'en avais besoin à huit ans alors qu'il y avait des bois tout alentour...

A sept ans. je savais déjà bien lire et j'étais en CE2. Je suis allée au lycée à cinq ans chez madame Philippe. Quand on faisait une bêtise, on allait au coin. Cela me paraissait une punition terrible. J'y suis allée une fois parce que j'avais oublié ma boîte de peinture. Dans la classe et dans l'école, il n'y avait presque que des garçons. Moi, on m'avait acceptée au lycée du Havre parce que mes deux frères y allaient déjà. On jouait aux autos-tamponneuses, aux billes, et à la guerre. J'avais très peur d'être sur la liste de guerre des garçons. Ça voulait dire qu'à la récréation, ils vous tombaient dessus. Quand je suis arrivée à Paris, je ne connaissais pas du tout les jeux des petites filles et j'ai dû apprendre la marelle, les comptines, les rondes, la corde à sauter.

A la maison, je jouais aussi. avec les jouets de mes frères, les soldats et les petites voitures. J'avais des poupées mais j'ai toujours préféré les animaux en peluche. J'avais aussi une petite épicerie pour faire la marchande et une école avec des poupées derrière leurs bureaux. Ça me plaisait bien de faire la maîtresse et de les mettre au coin. Mais je me demande si mon meilleur jouet, ce n'était pas ma petite sœur. La pauvre! Je voulais lui apprendre à lire : ''Toto a vu la lune. Lili a ri.'' J'avais un mal fou. Des fois, j'en criais de colère et ma petite sœur allait se plaindre à maman.

Mais mon grand malheur, c'étaient mes vêtements. J'avais des tricots en mohair, et ça gratte, le mohair. J'avais des passe-montagne pour l'hiver et on vous tire dessus, à l'école. J'avais des grosses chaussettes rouges en laine et ça pique, la laine. Puis, le dimanche, on mettait des faux-cols blancs sous la robe écossaise et des gants blancs, pour faire vraiment chic. A l'école, à Paris, il était interdit aux petites filles de mettre des pantalons même s'il faisait très froid. La directrice ne voulait pas.

La nourriture n'était pas très différente de ce que tu connais. Je crois qu'on mangeait plus de soupe et de légumes frais. Le dimanche, on achetait des gâteaux à la boulangerie. C'était vraiment un grand moment dans ma semaine. D'ailleurs, je voulais être boulangère plus tard pour manger de tous les gâteaux, parce que rien qu'un, ce n'est pas assez.

***


07 juin 2025

Le coup du lapin


 

Julia Pavlowitch, éditrice, continue d'agrandir sa "tribu" d'auteurices. Après Timothée de Fombelle et Marie-Aude Murail qu'elle avait édités à L'Iconoclaste en compagnie de Sophie de Sivry, elle a invité une nouvelle autrice jeunesse, Stéphanie Blake, à franchir le pas pour écrire, dans la maison d'édition qu'elle a fondée, La Tribu, un "premier roman en littérature adulte". Comme pour les deux autres auteurs cités, ce "roman" est pour une large part autobiographique : Tess Snow Janson, l'héroïne et narratrice de ce coup du lapin et l'autrice Stéphanie Blake sont nées le même jour et au même endroit, et elles revendiquent toutes les deux la maternité de Simon le lapin et de ce premier album d'une longue série  qui va - enfin - "cartonner" :


"Caca boudin". Le cri transgressif de Simon est contemporain d'une libération pour Tess-Stéphanie. Ce lapin est son "eurêka !". "Tu reproduis la vie sans morale", l'a encouragée son éditeur. Son succès éditorial auprès des enfants va l'affranchir de Samuel, son deuxième mari, lui donnant les clés de son indépendance financière, de son indépendance tout court, de cette "chambre à soi", symbolique et réelle. Ce lapin n'a-t-il pas les dents du bonheur, comme sa créatrice ?

"Toute ma vie j'ai voulu être libre".  Le récit de Stéphanie Blake vient enrichir le dossier de l'émancipation féminine, de ses voies sinueuses, douloureuses, heureuses au final ? Il ajoute un chapitre à la description des relations entre hommes et femmes. Nous sommes déjà au premier quart du XXIe siècle mais Tess constate avec amertume : "En quarante ans, rien n'a changé, les hommes mûrs n'ont pas honte de sortir avec des femmes qui ont l'âge de leur filles". Mais pourquoi auraient-ils honte puisque Tess l'avoue elle-même : "Exactement comme je le rêvais à quatorze ans, j'ai, à dix-neuf ans, été choisie parmi toutes les autres femmes par un homme mûr ; je suis l'Élue" de Charles, le premier mari. A-t-elle "épousé son père", comme sa mère va le lui reprocher lorsque sa fille répétera son propre divorce ? Elle reproche aux hommes qu'elle a aimés de ne pas avoir voulu la "suivre dans son épanouissement personnel". "Ils avaient besoin de me mépriser pour me dominer." Constat sans appel. 

Dans ce livre tendu, tantôt drôle tantôt dramatique, Stéphanie-Tess nous raconte sa vie dans le désordre, mais ce désordre lui va bien, comme s'il reflétait celui de la vie. Les allers et retours dans le temps et dans l'espace - entre les États-Unis et la France - reconstituent peu à peu le puzzle d'une femme qui n'a jamais "fait le deuil" de son père, qui a longtemps "placé les hommes que j'aimais sur un piédestal", qui va malgré tout se retrouver à tenir "le rôle de la grosse tepu, voleuse de mari", en l'occurrence ce Samuel, le mari de l'autre qui va devenir le sien, auquel elle dira "fais de moi ce que tu veux". Pétrie de contradictions, souffrant et se plaignant sans cesse de "la domination masculine", elle finira par admettre qu'elle a toujours "adhéré à l'idée de domination" et qu'au fond elle voulait tout simplement "être dans la maison des hommes" cette "femme avec des couilles dessinée par Quentin", son beau-fils. Elle y est parvenue. "Possédant le pouvoir économique et sexuel, je domine. Je suis patriarcat, je suis capital". Merci qui ? Merci Simon le lapin ! 


Le coup du lapin - Stéphanie Blake - La Tribu - 5 mai 2025 (237 pages, 19,50 €)

Stéphanie Blake est interviewée par Sylvie Dodeller dans cette vidéo.

02 juin 2025

Théorie du coyote



"Le texte est le coyote." C'est cette formule, aussi énigmatique que connivente, lancée par une dame au cours d'une soirée entre gens cultivés qui a donné à Éric Pessan le titre de son livre. 

Invité en résidence par l'agglomération du Pays de Montbéliard, décrétée Capitale française de la culture en 2024, cette expérience de terrain l'a décidé à écrire sur la culture, autant sur le mot et ses utilisations et instrumentalisations politiques multiples que sur le phénomène positif global qu'il désigne et à l'intérieur duquel il se trouve lui-même pris en tant qu'écrivain polygraphe (théâtre, poésie, littérature générale et littérature jeunesse, etc.) vivant - tentant de vivre comme tout artiste - de son art.

Le livre se présente donc comme le journal d'une résidence d'auteur observant son environnement, interrogeant par exemple les habitants sur leurs conceptions et leurs attentes par rapport à la culture. Mais c'est aussi la reprise d'une carrière déjà longue dans le monde de la culture et les réflexions que cette reprise engendre, entrecoupant, étayant ou contredisant les observations faites à Montbéliard et dans ses environs. 

La culture, c'est ce monde à part, indispensable, superposé ou parallèle au monde réel, produit par un ensemble d'acteurs économiques qui exploitent les oeuvres créées par des artistes de toutes sortes, quand ils n'exploitent pas les artistes eux-mêmes, promus faire-valoir. Éric Pessan fait bien sentir combien l'articulation entre la production et la création est aussi nécessaire que douloureuse parfois.

Son livre arrive à point nommé à l'heure du repli du soutien public à la culture dans toutes ses manifestations, de la part de l'État comme des collectivités territoriales. La tentation de réduire la culture au divertissement, au sens pascalien du terme que notre auteur ne manque pas de citer, est bien là, plus menaçante que jamais. Sa riche expérience d'interventions en milieu scolaire lui fait croire, et nous avec lui, que l'Éducation nationale est la dernière institution publique pouvant encore endiguer la crétinisation générale - et la droitisation qui va de pair - d'une société qui livrerait la culture, cet acte de partage, au seul marché capitaliste, aux lois du profit, de l'audimat et du moindre effort.

Laissez-vous tenter par ce coyote...


 Théorie du coyote - Éric Pessan - la clé à molette (Montbéliard) (139 pages, 18 €)

27 mai 2025

La Charte a cinquante ans !






 « Ti-Jean, Ti-Jean, te voilà bien mal pris
Parce que tu chantes sans permis
As-tu ta carte ? Fais-tu partie de la charte ?
Tu vois bien, mon Ti-Jean Latour
Faut qu'tu comparaisses à la Cour
Apprends que pour d'venir artiste
Faut d'abord passer par la liste des approuvés... »

Contumace, Félix Leclerc


Ce lundi 26 mai 2025, la Charte des auteurs et illustrateurs jeunesse fêtait ses 50 ans (1) d'existence à Montreuil, dans les locaux de la Bibliothèque Robert Desnos privatisée pour la circonstance. J'y étais, pour représenter Marie-Aude Murail, retenue de longue date à Courbevoie, au titre aussi de services rendus à la Charte dans les années 2000, quand je tins le site des inscriptions de l'association, voyant passer maints jeunes créateurs et créatrices aujourd'hui reconnus. 

De 13 h à minuit, tables rondes, apéro, buffet dînatoire, dance floor et même... tournoi de baby-foot se sont succédés, impeccablement organisés, dans la joie et la bonne humeur (mention spéciale à Isabelle !), nonobstant quelques nuages noirs qui passèrent parfois au-dessus de débats passionnés. 

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Cet anniversaire de la Charte des auteurs et illustrateurs jeunesse ne pouvait être fêté sans la participation d’un de ceux qui avait présidé à sa naissance, en 1975, dans une « auberge bretonne », bien réelle quoique devenue mythique, j'ai nommé Christian Grenier. Aux côtés d'Henriette Zoughebi, venue en voisine puisque « mère » du Salon du livre et de la presse jeunesse installé à Montreuil, lui depuis 40 ans, documents à l’appui, Christian Grenier a évoqué avec humour la révolte de trois écrivains - William Camus, Pierre Pelot et lui-même - soi-disant « invités », à qui on avait voulu faire payer leur dîner ! Le rappel de ce moment fondateur, de l'embryon de statut associatif griffonné dans une chambre d'hôtel, soulignait qu’il y avait, à l’origine de tout progrès de la condition des artistes, le simple courage de quelques-uns, de dire « non » à un abus, à une injustice. Ce combat, comme d’autres au plan sociétal, n’est jamais gagné et doit être repris par chaque génération.1 C'était sans doute la principale leçon du jour.

Au fil des années, la Charte a su porter bien des revendications. Sa réussite la plus emblématique reste aujourd’hui d’avoir lancé dès sa naissance un « tarif de la Charte » adopté progressivement par tous les acteurs culturels souhaitant inviter un auteur ou un illustrateur, tarif dûment révisé lors de chaque assemblée générale de l’association.

La Charte est devenue aussi un partenaire incontournable des pouvoirs publics et des éditeurs, au plan social et culturel, même si elle ne s’est jamais muée en syndicat. Elle a accompagné le développement de la littérature jeunesse, qui s’est affirmée comme le secteur le plus dynamique de l’édition française. Chaque grande maison, Gallimard, Seuil, Actes Sud, Pocket, etc. s'est dotée au fil des années de collections spécialisées dédiées à la jeunesse tandis qu’un « pure player » comme l’école des loisirs confirmait sa politique exigeante d’auteurs et d’illustrateurs, gage d’une qualité française exportée avec succès.

C'est adossés à la Charte que beaucoup de créateurs ont aussi trouvé le courage de négocier avec leurs éditeurs des droits d’auteur progressivement alignés sur ceux de la littérature dite générale (qui l’est sans doute bien moins que la littérature jeunesse !), même si cet objectif est loin d’être atteint, comme s’il y avait encore un plafond de verre pour la LJ.

La perspective de l’arrivée au pouvoir en France de l’extrême-droite, qui ne cesse de se préciser depuis le choc de l’élection présidentielle de 2002, a été évoquée à plusieurs reprises. Le RN n’aime pas la culture et celle-ci le lui rend bien. En dépit de tous ses efforts de rhabillage, son nom reste associé non seulement au racisme et à la xénophobie, à la haine de l'intelligence, mais aussi à un ordre moral qui recourt volontiers à la censure de la création, singulièrement envers la littérature jeunesse. On se souvient peut-être du livre de Mme Monchaux dont le titre résumait à lui seul le jugement porté par l'extrême-droite sur ce pan des Lettres : Écrits pour nuire. Jugement que la droite dite républicaine partage sporadiquement en usant notamment de la loi de 1949 comme d'une loi de censure (ce qu'elle n'est pas), arguant avec plus ou moins de mauvaise foi de son souci de préserver la jeunesse2Heureusement, tout affirmait dans la salle que ce combat politique, civilisationnel même, contre la fascisation des esprits, était loin d'être plié.

Une idée noire sourdait cependant du débat. Puisque le « danger » pour l'extrême-droite vient des créateurs, la perspective nouvelle offerte par l’Intelligence artificielle, évoquée elle aussi dans une table ronde animée par Éric Pessan, de pouvoir les remplacer par des processeurs plus dociles ne pointait-elle pas un autre risque : celui de créer une alliance objective entre ceux qui détestent la culture et ceux qui vont proposer des produits de synthèse plus contrôlables, des ersatz issus du pillage des œuvres d’artistes, vivants ou morts (les vivants se sentent davantage concernés) ? Le rapprochement des patrons de la Silicon Valley avec Donald T. n'annonce-t-il pas clairement cette future alliance ?

Autre questionnement. À ses débuts, la Charte avait posé des règles d’admission à ses membres postulants : être publié à compte d’éditeur, être parrainé par deux ou trois auteurs illustrateurs. Avec le temps, ces deux règles ont été abandonnées. La croissance numérique de l’association et celle corrélative de ses ressources et de sa légitimité s’en sont trouvées favorisées, son poids dans diverses négociations aussi, mais à l’heure où les auteurices – mais aussi les libraires, les bibliothécaires - s’interrogent sur une surproduction qui semble corrélée avec une baisse de la qualité des « produits », à l’heure aussi où des auteurices à compte d'eux-mêmes se sont introduits sur les salons avec des comportements s’apparentant parfois à ceux de camelots3, il est permis de regretter qu’aucune autre régulation que celle du marché ne contienne l’expansion de la production. Celle-ci semble plus que jamais s’autoriser d’elle-même, avec la complicité de la puissante machinerie américaine de l’autoédition et de la vente par correspondance. A contrario de cette évolution, une illustratrice a exprimé tout le bien qu’elle avait ressenti à l’époque, désormais révolue, d’être reconnue par des pairs dans sa qualité d’autrice jeunesse - pairs qui avaient lu ses premiers livres - et dans la foulée d'être adoubée par la Charte.

Bien d'autres sujets ont été abordés, qui feront sûrement l'objet de restitutions par La Charte.

Puis-je conclure, en toute immodestie, que le tournoi de baby-foot a été remporté haut la main par la « team Robert » que je constituai avec ma fille Constance Robert-Murail (bien plus aguerrie que moi dans cette discipline sportive) ? Et merci à Sylvie Dodeller pour ce quart d'heure de célébrité instagrammé...





1 Le travail récent de Coline Pierré et Martin Page, par exemple, en est un autre témoignage (Les artistes ont-ils vraiment besoin de manger ? Monstrograph, 2018)

2 Cf. le sort fait en juillet 2023 par un ministre de l’Intérieur au livre de Manu Causse, Bien trop petit. Dieu merci, la censure en France vaut encore promotion des biens culturels visés, qu’il s’agisse de livres, de spectacles, des fesses de Polnareff ou de toute autre création de l’esprit.

3 J’ai été témoin direct lors d'un salon (Lire à Limoges pour ne pas le nommer) de ce genre de comportement. Un tel auteur, à compte de lui-même, installé providentiellement à côté d’une autrice bien connue, racolait sans vergogne dans la file d’attente ininterrompue de sa voisine, se présentant sans complexe comme le créateur d’un nouvel Harry Potter. Audaces fortuna juvat 😂.

Le consultant

Blesser/Guérir   "Les consultants sont comme les Juifs : incapables d'expliquer ce qu'ils sont." Simon Maïmonide J'ava...