Quand un cardinal nous libère des ordinaux
Mercredi soir [13 mars 2013], Ruth Elkrief interrogeait Bernard Lecomte pour savoir quel pourrait être le premier « geste » du nouveau pape. Bien en peine pour répondre – un expert n’est pas un devin – celui-ci rappelait que Paul VI s’était affranchi de la tiare pour pouvoir voyager plus léger et qu’avant lui, Jean XXIII avait renoncé à la sedia gestatoria, cette chaise à porteurs dorée dans laquelle on promenait les souverains pontifes de la place Saint-Pierre à la basilique, mais guère plus loin. Or il se pourrait bien que le signe le plus spectaculaire de ce pontificat soit à la fois le plus humble et le plus immodeste qui soit, et qu’il nous ait déjà été donné.
En choisissant le prénom de Saint François d’Assise, le poverello, le jésuite Jorge Mario Bergoglio, s.j., se fait franciscain, o.f.m. Le soldat de l’armée noire de la papauté oublie ses onze années d’études et s’en va converser avec les oiseaux. Comme avant lui le pape Jean Paul Ier, il inaugure une lignée. Mais là où Albino Luciani, le pape éphémère, s’inscrivait, avec une modestie prémonitoire, dans la suite de ceux qui l’avaient précédé en accolant leurs deux prénoms, François est sans antécédent. Ce commencement est d’ores et déjà une rupture, que l’Histoire confirmera peut-être.
En attendant, celui qui nous avait d’abord été annoncé comme François Ier, ce qui nous évoquait étrangement, à nous Français, un roi et un bataille italienne d’il y a quelque cinq cents ans, s’est renommé rapidement François. Un simple prénom. On nous a bien dit qu’il s’appellerait un jour François Ier quand il y aurait un François II, mais pour l’heure, c’est « François ». Joseph Ratzinger avait voulu nous rappeler ce que l’Église et le monde devaient à Saint Benoît, le réformateur du monachisme occidental. François s’avance vers nous défait de cet ordinal qui copiait des successions monarchiques d’un autre âge. De droit divin comme nous tous mais tel un frère en sandales, il nous tend la main et nous dit : « Appelez-moi François, tout simplement ».
Nous verrons vite si les medias sont assez intelligents pour accueillir cette tranquille subversion sémantique et plutôt que de titrer cet été « Le pape François arrive à Rio » auront l’audace d’écrire « François aux JMJ ». Ce simple prénom pourrait nous délivrer de tous les autres titres majuscules Pape, Souverain Pontife, Chef de l’Eglise, Très Saint Père, etc. Oui, le 266ème successeur de Pierre s’appelle François. François, tout court.