12 août 2024

Circenses et... panem

 

                       Lucie Castets à Lille                         Emmanuel Macron en Nouvelle-Calédonie

CIRCENSES ET... PANEM

C'est l'heure. La trêve est finie. Après les jeux, le pain. Il va falloir sortir du frigo olympique les résultats du scrutin de juin. Lucie Castets, 37 ans, haute-fonctionnaire tout droit extraite de la vie municipale parisienne, est prête à l'ouvrir, la main sur la porte. Par quelques déplacements en province (Lille, La Chapelle-Saint-Mesmin...) elle a commencé d'accréditer sa stature de "première ministrable". 

Dans l'interview du chef de l'État, le 23 juillet, qui a suivi d'une heure à peine sa désignation par le Nouveau Front populaire comme candidate au poste de Première ministre, le président de la République émettait le voeu que le front républicain qui avait écarté le RN du pouvoir soit aussi celui qui gouverne. La question qui demeure pendante est : le Nouveau Front populaire d'opposition est-il soluble dans un front républicain de gouvernement ? Emmanuel Macron appelait de ses voeux des compromis qu'il a pourtant écrasés dans l'oeuf depuis deux ans à coups de 49.3. Ces compromis peuvent-ils maintenant surgir de terre ? Ceux qui se sont unis contre, peuvent-ils se réunir pour ? Lucie Castets pourrait-elle faire entrer des ministres centristes, macronistes, voire LR dans son gouvernement ? Elle n'y semble pas disposée a priori. C'est sur la "proposition du Premier ministre" que le président "nomme les autres membres du Gouvernement". Dans la pratique de la Ve République, il ne n'apparaît pas qu'un Premier ministre ait jamais pu imposer un ministre contre l'avis du Président. 

Reste que s'il n'admettait pas que les résultats des élections législatives doivent ouvrir une période de cohabitation, comme il y en a déjà eu sous la Vème République, au prétexte qu'aucun des trois "blocs" n'a à lui seul la majorité à l'Assemblée nationale, Emmanuel Macron commettrait sans doute une faute politique aux conséquences imprévisibles.

12 juillet 2024

Rushdie, encore et toujours




« Il était essentiel que j'écrive ce livre : une manière d'accueillir ce qui est arrivé, et de répondre à la violence par l'art. »

Le 12 août 2022, Rushdie s'apprête à donner une conférence à Chautauqua, dans le nord de l'Etat de New York sur l'importance d'assurer la sécurité des écrivains, lorsqu'un jeune, l'Ange de la Mort, sort des rangs et se jette sur lui, un couteau à la main. Pendant 27 secondes il le poignarde à 15 reprises. Salman Rushdie, contre tous les pronostics, est resté en vie et a pu écrire Knife, Le couteau en français.

Quelle intelligence indomptable ! À aucun moment Rushdie n'autorise son lecteur à le considérer comme une victime. Il est toujours en vie, de ce qu'il nomme cette « seconde chance dans la vie » qu'il entend consacrer résolument « à l'amour et à l'écriture ».

D'ailleurs si son premier chapitre, intitulé « Le couteau » est consacré à l'attentat, le second, comme un pansement immédiat s'impose : sa rencontre, cinq ans auparavant, avec la poétesse africaine-américaine Rachel Eliza Griffiths, dans des circonstances hautement comiques, rencontre grâce à laquelle l'attentat demeurera à jamais comme une brève incise (incision?) dans une histoire d'amour qu'il n'a pas interrompue. Au contraire.

Il est évident que l'amour d'Eliza, l'Ange de la Vie, le récit que Salman Rushdie en fait, écrasent les misérables circonstances de l'assaut qu'il a subi à Chautauqua. Mais il décrit admirablement son combat pour vivre. Vivre, c'est l'injonction qu'il a entendue, chuchotée à son oreille alors qu'il gisait à terre, ensanglanté, et plus tard pendant les longues journées d'hospitalisation, dont dix-huit jours de soins intensifs, « dix-huit des plus longs jours de ma vie ».

Rushdie imagine l'échange qu'il aurait pu avoir avec son agresseur, qu'il préfère nommer « A ». Il revient évidemment à différents moments de son existence et aux conséquences que la fatwa de Khomeiny a eues sur elle après la publication des Versets sataniques. Son livre est ainsi fait d'allers et retours incessants entre sa vie passée et l'attaque qui a tout ravivé.

Il consacre six pages (pp. 235-240), qu'il veut définitives pour lui (« je n'y reviendrai plus »), à la religion, encadrées par deux affirmations : «  Je ne suis pas croyant » et au terme de son argumentation : « Mon athéisme demeure intact ». Il distingue soigneusement « la croyance privée », qui ne regarde personne d'autre que l'intéressé·e,·de « l'idéologie politisée dans la sphère publique ». Pour lui, les croyants relèvent d'une enfance de l'humanité dans laquelle ils sont restés (il n'est pas loin alors de la théorie des trois âges d'Auguste Comte). Le plus intéressant, c'est ce qu'il reconnaît in fine : « je me suis aperçu que d'une certaine façon j'avais été plus influencé par le monde chrétien que je ne le pensais ». Cette influence, il la reconnaît dans des citations de la Bible, de saint Paul notamment, qui lui échappent et jalonnent son œuvre. Tout cela a « profondément cheminé » en lui. Mais ajoute-t-il, « rien de tout cela ne fait de moi un croyant ». Sait-il à quel point, peut-être, ce dialogue perpétuel avec la religion, fait de lui, à son corps défendant, cet homme éminemment vivant ?

Le couteau – Salman Rushdie – 2024 – Gallimard, collection "Du monde entier" (269 pages, 23 €)

Voir aussi son interview sur CBS Morning, où il est reçu en compagnie de sa femme, Rachel Eliza Griffiths.

11 juillet 2024

Merci Macron !

Mirabeau devant Dreux-Brézé le 23 juin 1789 


Pour François Ruffin



Plutôt que de pester ou gémir devant la Lettre du président Emmanuel Macron aux Français et d'y voir l'ultime manœuvre dilatoire d'un autocrate en bout de course, je propose d'y reconnaître l'invitation, encore implicite, à ouvrir immédiatement un chantier, à conduire pendant l'expédition des affaires courantes et les JO : l'élaboration de la Constitution de la VIème République, qui, seule, mettra fin à la crise de régime en cours. Prendre au mot le président.

Si on lit bien cette lettre, Emmanuel Macron :
1/ reconnaît la défaite de sa majorité (qui n'en était déjà plus une depuis 2022) en recevant la "demande claire de changement et de partage du pouvoir" qui s'est exprimée dans le résultat des élections ;
2/ définit les "forces politiques", légitimes, auxquelles il s'adresse comme celles qui ont formé le "front républicain" qui a refusé que l'extrême droite arrive au pouvoir, autrement dit tout l'hémicycle hormis le RN (incluant donc l'ensemble des composantes du Nouveau Front Populaire 2024, LFI compris, contrairement à la rhétorique préélectorale antérieure du pouvoir en place qui refusait les "extrêmes", cf. le "ni ni" d'un Édouard Philippe)
3/ invite ces "forces politiques" de l'arc républicain bâtir "une majorité solide, nécessairement plurielle" [je souligne] sous l'égide du front républicain qui les a élues, toutes voix mêlées par le jeu des désistements et des reports. Faut-il rappeler ici que des LR, des Modem, des Renaissance, doivent leur élection à des électeurs du Nouveau Front Populaire 2024; et qu'inversement des députés du Nouveau Front Populaire 2024 doivent leur élection à des électeurs de droite ? Ce métissage électoral doit déboucher sur celui des programmes et "l'invention d'une nouvelle culture politique française".
4/ Ce "en même temps" républicain auquel aurait conduit le dernier scrutin accomplirait donc "l'esprit de dépassement" des clivages partisans que le président a toujours "appelé de ses vœux".
CQFD ?

Nous sommes donc vraiment à un moment-clé de la République : la fin de la Vème, provoquée par cette dissolution et son résultat. La Constitution de 1958 upgradée en 1962 a donné tout ce qu'elle pouvait donner, y compris l'utopie macroniste qui s'est cristallisée dans la formule du « en même temps », formule qu'elle ne pouvait pourtant pas porter entièrement, encore tributaire de la loi majoritaire et du parti unique, dont l'ultime incarnation française aura été « En Marche », progressivement défaite.

En dissolvant l'Assemblée nationale au soir des élections européennes, le président a ouvert, « à l'insu de son plein gré », une nouvelle ère politique dont le premier acte ne peut être que l'élaboration de la Constitution d'une VIème République, capable de supporter la nouvelle donne de la démocratie française : la fin de la monarchie républicaine, le gouvernement par l'accord des minorités, la République des idées. Merci Macron !

Finie la politique comme religion dogmatique, finis les totems de la gauche comme de la droite, lourds et inamovibles : l'égalité formelle, l'âge de la retraite, le SMIC, l'ISF, les nationalisations, etc. versus la libre entreprise, les « lois » du marché, la critique de « l'assistanat », etc.. Place à l'agilité des idées face à un monde mobile et saisissable, à ces idées qui peuvent emporter l'adhésion au-delà des anciens clivages partisans et de leurs œillères.

Finis aussi les partis majoritaires exerçant leur hégémonie : en récusant le RN, les électeurs ont non seulement écarté l'extrême-droite paranoïaque, antisémite, antimusulmane, xénophobe, athée, homophobe, nationaliste et antieuropéenne, mais aussi et surtout le fantasme obsolète du parti majoritaire voire unique, voie directe vers le totalitarisme fascisant dont les incarnations ne manquent pas de par le monde. Place aux formations politiques multiples innervées non seulement par les corporatismes mais aussi par les mouvements et les idées servant le bien commun. C'est autour de ces communs que la discussion politique, citoyenne, doit se nouer, ce que quelques grands débats citoyens ont tenté d'esquisser, dont des référendums auraient dû appuyer les conclusions. Le lobbying doit y être accueilli aussi : mieux vaut qu'il énonce et défende ses intérêts économiques privés au grand jour que dans le secret des alcôves ou des dîners en ville (l'un n'excluant pas l'autre, la lutte des classes n'est pas morte).

Le seul enjeu de la période qui vient de s'ouvrir : que l'actuel Parlement, RN compris cette fois, prenne le président au mot - n'avait-il pas intitulé son manifeste de candidat, Révolution ? - et se mue, profitant de sa récréation forcée, en assemblée constituante qui accouchera de la Constitution de la VIème République et la soumettra à référendum au peuple français. Chiche ?

10 juillet 2024

Quelques leçons d'un scrutin



 Quelle qu'ait été l'intention du président de la République en dissolvant l'Assemblée nationale, il s'agit maintenant de prendre en compte la volonté du peuple telle qu'elle s'est exprimée à travers les urnes, d'admettre l'intelligence politique à l’œuvre dans son vote :

1. Le peuple français a rejeté clairement la perspective que le Rassemblement national ait la majorité pour gouverner seul ;
en faisant de lui le premier parti de l'Assemblée nationale (hors coalition), il a cependant souhaité qu'il participe à l'élaboration de la loi ;
le « front républicain » justement constitué pour « faire barrage » à cette majorité ne doit pas se muer à l'Assemblée en une sorte de cordon sanitaire autour des députes d'extrême-droite qui les exclurait de la vie législative et avec eux, ceux qui les ont élus.
2. Le peuple français a rejeté non moins clairement l'idée, fortement entamée depuis 2022, qu'une majorité gouverne à elle seule, au détriment des minorités, en envoyant trois « blocs » à l'AN dont aucun ne peut prétendre gouverner sans les autres ; les votes du 30 juin et du 7 juillet tordent clairement le bras à cette idée.
3. Le vote de ces élections en appelle aux compromis, sur le modèle des démocraties nordiques dont le feuilleton Borgen a offert la représentation. Mais avons-nous une Birgitte Nyborg ? Nous raisonnons en France autour de "totems" de gauche (l'égalité, la retraite, le SMIC, l'ISF, les nationalisations, etc.) et de droite (libre entreprise, « lois » du marché, critique de « l'assistanat », etc.) selon des pensées assez binaires dans lesquelles le compromis a du mal à se glisser. La vie politique française consistait jusqu'ici à défaire ce que l'autre avait fait, "l'autre" étant alternativement "de gauche" et "de droite". J'avais cru que Macron nous sortirait de ce dilemme, dans sa voie centriste du « en même temps » dont il avait fait sa marque, sociale-démocrate. La suppression de l'ISF a été son péché originel. Il n'a pas vu quel lourd symbole il maniait là (à moins qu'il n'ait simplement payé son tribut à ceux qui l'avaient aidé à mener son raid éclair sur la République, comme beaucoup l'ont affirmé).
4. La question des minorités et les questions minoritaires doivent rentrer dans le jeu. Le slogan lancé par André Laignel : « Vous avez juridiquement tort parce que vous êtes politiquement minoritaires » est devenu insupportable. Il est l'indice de ce qui a miné la démocratie elle-même et en a changé certaines en « démocratures ».
5. La « monarchie républicaine » mise en place en 1962 par l'élection du président de la République au suffrage universel, greffée sur la Constitution de 1958, n'aura pas résisté au « raid » opéré sur elle en 2017 par un inconnu nommé Macron, ni à la réélection de celui-ci en 2022. Emmanuel Macron aura sans doute été le dernier président de la Vème République.
6. L'heure est sans doute venue de passer à la VIème République par une Constituante qui tirera les leçons de la Vème et des aspirations des minorités à être entendues, tout en conservant ses contre-pouvoirs qui ont fait leur preuve : bicaméralisme, un Conseil d'État juge de la conformité des décrets à la loi ; un Conseil constitutionnel, juge de la conformité des lois à la Constitution.

26 juin 2024

Et la culture dans tout ça ?

Médiathèque nouvelle de Vitrolles, ville "libérée" du FN en 2002.


Dans cette campagne éclair des élections législatives de l'été 2024, personne ne parle de la culture, la grande oubliée des discussions. Sans doute parce que, depuis les années 2000, comme l'explique Philippe Poirrier (dans La Croix du 25 juin, p. 6), un consensus politique s'est développé entre les partis républicains : "démocratiser la culture ; soutenir la création artistique dans sa diversité; protéger le patrimoine ; défendre l'exception culturelle" (c'est-à-dire la mise à part des cultures nationales dans les traités internationaux).
Or, le RN n'adhère pas à ce consensus, la culture étant avant tout pour lui le vecteur du combat pour ses valeurs. Son accès au pouvoir changerait donc radicalement la donne. Privatiser l'audiovisuel public par exemple, qui est à son programme, lui permettrait de remettre en cause l'esprit critique et l'ouverture qui caractérisent encore le service public. On le voit déjà à Europe 1, radio détenue par Vincent Bolloré, où les journalistes se seraient vu interdire de qualifier le RN de parti "d'extrême-droite" (contre une décision récente du Conseil d'État validant ce classement par les préfectures).
Dans les communes gérées par le Front national dans les années 90, les bibliothèques municipales d'Orange, Vitrolles, Marignane, Toulon pour citer les plus marquantes, ont subi cette instrumentalisation de la culture, voyant leurs fonds, jeunesse en particulier, censurés et les achats contrôlés. Marion Maréchal, de son côté, a promis de supprimer le régime des intermittents, ce qui aggraverait instantanément la précarité des artistes et de tous celleux qui contribuent au spectacle vivant.
Peut-être en raison d'une forme d'« invisibilisation des classes populaires dans un certain nombre de créations » contemporaines, pointée par Marjorie Glas, la culture est considérée par l'électorat du RN et nombre de ses cadres comme l'affaire d'une élite parisienne qui dépense beaucoup d'argent pour financer des choses incompréhensibles, qui les font ricaner ou les indiffèrent. Le RN est essentiellement tourné vers la conservation du patrimoine, réduit aux monuments historiques, témoins et garants de la pureté des racines des « Français de souche », contre l'envahissement multiculturaliste, l'une de ses obsessions.
L'arrivée du RN au pouvoir provoquerait donc, entre autres désordres, une "crise de la culture" sans précédent que personne n'a envie de vivre.

31 mai 2024

Transportation sur le Caillou



Mardi 20 octobre 2009 (matin)

       L'anse Vata vue par ma fille. J'aurais aimé prendre cette photo.

Nous sommes à Nouméa depuis samedi soir. Nous, c’est-à-dire Marie-Aude, Constance et moi. Marie-Aude est invitée pour deux semaines en Nouvelle-Calédonie. Son livre 22 ! a été élu par les enfants de CM2 et de 6ème qui participaient au concours organisé annuellement par l’association Livre, mon ami. L’association nous a généreusement logés dans une suite du Ramada Plaza, un des grands hôtels qui jouxte l’anse Vata, l’une des plus belles plages de Nouméa. Nous nous recalons péniblement sur les horaires locaux (neuf heures de décalage avec la métropole, à 7 h du matin ici, il est 22 h à Orléans). Hier soir, nous nous sommes couchés vers 19 h, moi le premier effondré, après la réception au vice-rectorat. Résultat, nous étions frais comme des gardons… à 3 h du mat’ et n’avons guère redormi. Pendant nos insomnies, Marie-Aude et moi découvrons Henry James. Constance lit La princesse de Clèves, l’une des lectures obligées de la Première. Marie-Aude est partie en animation à 7 h 30 ce matin, un peu démâtée, accompagnée par Bernard. Au programme, une école primaire à La Coulée et le collège de Plum, derrière le Mont-Dore local. Ce mont proche de Nouméa doit son nom à la couleur qu’il prend dans le soleil couchant et, accessoirement, au premier évêque local, Mgr Douarre, qui était auvergnat et l’a ainsi baptisé. Nous retrouverons Marie-Aude vers 16 h ce soir. Demain, nous l’accompagnerons à Yaté, sur la côte ouest, au pied du grand barrage qui alimente en électricité le Territoire (c’est ainsi qu’on nomme ici la Nouvelle-Calédonie). Ici, l’industrie du nickel consomme trois fois l’énergie nécessaire aux seuls habitants. Grâce à sa centrale au charbon (et maintenant au fuel), la Nouvelle-Calédonie se place au rang des pires pollueurs de la planète par tête d’habitant. C’est un indicateur injuste, me fera remarquer Paul Maes : on ne produit pas impunément 12 % du nickel mondial – bientôt beaucoup plus - sur une île qui fait trois fois la Corse.
Aujourd’hui, je vais explorer Nouméa avec Constance.

jeudi 22 octobre 2009 (soir)

Nous venons de passer une journée en rêve à Ouvéa. Levés à 4 h 15 pour être emmenés à 5 h dans le 4 X 4 de Jean et Brigitte Simon, nous sommes arrivés très en avance au petit aérodrome Magenta qui dessert les îles. Nous avons retrouvé le vice-recteur de la Nouvelle-Calédonie, Ives Melet, après avoir pris un petit déjeuner au bar de l’aérogare et nous nous sommes embarqués dans un ATR72 d’Air Calédonie. A l’arrivée, deux jeunes filles en robe mission, escortées par un enseignant, nous ont offert des colliers de fleurs et des couronnes tressées avec des feuilles de coco séchées. Puis Samuel, l’organisateur de la journée est arrivé et nous sommes partis, tous couronnés, y compris le vice-recteur, jusqu’à Fayaoué. Nous étions attendus à l’école primaire catholique Saint-Michel. Une tente et une sono étaient déjà installées devant une petite église pimpante, entièrement restaurée l’an passé à l’occasion du 150ème anniversaire de l’arrivée de la mission catholique sur Ouvéa. Puis les groupes d’enfants nous ont rejoints un à un, vêtus de couleurs vives, chaque école ayant la sienne. La cérémonie a commencé avec le « geste » coutumier d’accueil : remise d’une étoffe de couleur et d’une corbeille tressée dans laquelle était coincé un billet de 1000 F.


Les billets de banque émis par l’Institut d’émission d’outre-mer sont colorés, coloniaux, très beaux, bien plus que nos tristouilles euros (1000 francs Pacifique font un peu moins de 10 euros). Réponse au geste d’accueil par Brigitte Simon, qui a également remis deux étoffes au chef local. Marie-Aude a dit également un mot. Les activités préparées par les différentes classes ont pu alors commencer. Les 6ème du collège Guillaume Douarre ont d’abord entonné un chant d’accueil en langue faga uvea, accompagnés par Samuel à la guitare. Puis, les CM2 d’Eben Eza ont posé des questions qui ont permis à Marie-Aude de se présenter. Les CM2 de Saint-Michel ont présenté une bande dessinée fixée sur un grand panneau, qui réinterprétait 22 ! S’est ensuivie une chorégraphie sur le même 22 ! par les 6ème du collège Eben Eza, aidés par quelques parents qui assuraient l’accompagnement musical. Les 6ème du collège Hwadrilla ont lu un poème consacré à 22 !. Toute cette cérémonie en plein air a été suivie d’une rencontre, dans une classe, avec des délégués de chaque école, pendant que les enfants goûtaient sur l’esplanade, à deux pas du plus beau lagon du monde….

Après un dernier geste d’adieu – Marie-Aude a remis une étoffe et un exemplaire de l’Espionne - nous sommes partis dans un mini-bus, accompagnés par quatre enfants jusqu’aux falaises de Lekiny. Là nous avons retrouvé une classe « environnement » qui s’employait à nettoyer l’endroit et à lui redonner vie et propreté, juste en face des falaises. Photo de groupe :


Puis nous sommes partis déjeuner avec les enseignants et quatre petits guides chez Roger Alosio : apéritif, entrée de crevettes, bougna au poisson et au tarot (sorte de patate douce, un des féculents de base de l’alimentation locale), poisson cuit à l’étouffée, dessert d’oranges et de pommes, le tout excellent. Nous avons repris l’avion à 15 h 30. Depuis ce qu’on appelle ici pudiquement « les événements », certains habitants pensent encore qu’Ouvéa est une île maudite. Une jeune institutrice originaire de l’île en a fait la confidence à Brigitte. A quinze ans, elle était en internat à Nouméa et en a pris « plein la figure » quand Jean-Marie Tjibaou et Yeiwéné Yeiwéné ont été assassinés à Ouvéa par un insulaire, le 4 mai 1989. Elle pensait même, vingt ans après, que nous ne viendrions pas. Aucun auteur de l’opération Livre mon ami n’était revenu à Ouvéa depuis dix ans. Il semble bien qu’il y ait encore un « complexe ouvéen » mais Marie-Aude ne l’a pas senti dans la nouvelle génération qu’elle a rencontrée. Pour eux, c’est déjà de l’Histoire. Ils n’étaient pas nés à l’époque, les jeunes qui chantent et dansent aujourd’hui devant elle.


La veille, mercredi, nous sommes allés dans le sud, jusqu’à Yaté. Cette fois, nos guides étaient Bernard Capecchi, un géographie intarissable, et sa femme Eliane, moins bavarde mais plus vigilante, sur les horaires comme sur les itinéraires, quand Bernard, lancé sur une explication, ratait un croisement... Partis vers 7 h, nous sommes arrivés après une bonne heure et demie d’une route qui tournicotait pas mal, jusque sur les bords du lac de retenue du barrage de Yaté. Le lac était à son étiage, découvrant ses rives rouge latérite et les squelettes blanchis des niaoulis, derniers témoins debout de la forêt ennoyée.


Nous avons grimpé au sommet du « mur » de Yaté, qui tombe vers la petite ville, blottie près de sa ria, et abritée derrière son récif « frangeant ». Arrivés au collège, Constance et moi avons laissé Marie-Aude à son animation et Bernard nous a emmenés, Constance et moi, jusqu’au barrage de Yaté, achevé par Edf en 1959.


Lundi 26 octobre

…Ce barrage est à lui seul un véritable exercice de style, commenté par Bernard, car il combine quatre types de construction en un seul : le barrage-voûte (style Tignes), le barrage en contrefort (type Génissiat), le barrage en terre (les ingénieurs d’Edf ont réalisé là les calculs qui ont servi pour Serre-Ponçon) et le barrage-digue. Inspecté par le bureau Véritas à l’occasion de ses cinquante ans, il a été déclaré bon pour le service pour les cinquante années à venir ! L’électricité qu’il fournit ne sert plus désormais qu’à écrêter les pointes de consommation du Territoire. Nous nous sommes baladés dans la nature environnante, repérant grâce à notre guide quelques plantes endémiques, comme le « gourde du mineur », une plante carnivore qui recueille l’eau de pluie, y attire les insectes sur lesquels elle referme un couvercle pour pouvoir les digérer tranquillement. De retour au collège de Yaté après avoir fait un crochet par l’usine d’Edf en contrebas, nous avons dégusté notre premier bougna : du poulet et des tarots, baignant dans du lait de coco et cuits à l’étouffée dans des feuilles de bananiers. Le principal de l’endroit avait sorti sa guitare ce qui nous a donné l’occasion, à Marie-Aude et moi, d’offrir à l’assemblée une interprétation inoubliable (évidemment) des Champs-Elysées de Joe Dassin…

Au retour nous avons emprunté la piste que vont utiliser les camions qui achemineront la latérite vers l’usine du Sud en construction sur le site de Goro : extraction du nickel par hydrométallurgie. La latérite est pulvérisée en fines particules, de l’ordre du micron et mélangée avec de l’acide sulfurique. Ce jus est porté à 500 bars de pression dans d’énormes cocottes-minute. L’acide sulfurique perd son hydrogène et se combine avec les métaux pour donner des sulfates de nickel, de cobalt, etc. Ce sont les Allemands qui ont construit le bout d’usine qui va produire sur place l’acide sulfurique nécessaire et qui en ont déjà déversé accidentellement 40 m3 dans une rivière puis dans l’Océan. La nature semble l’avoir bien pris - en dehors des poissons et végétaux qui étaient sur le trajet de l’acide - mais la facture pour les Allemands va être lourde car un certain nombre de paramètres de l’usine, tuyauteries, bassins de rétention, etc., sont à revoir… Et l’accident a remis en avant le risque écologique que fait peser l’exploitation du nickel sur l’île. Mais les enjeux de développement sont trop importants tant dans le Sud que dans le Nord (nouvelle usine de Voh) pour que des projets industriels de cette ampleur soient remis en cause.

La piste est devenue une véritable autoroute de latérite sur laquelle Bernard pouvait rouler sans risque à 100 à l’heure. 


Les exploitants ont pris des engagements : après avoir gratté la couche superficielle de latérite, ils vont remettre de la terre et planter des arbres pour reconstituer une forêt au lieu et place du « maquis minier » qui s’étendait jusqu’ici sur les espaces labourés puis abandonnés par les mineurs. Nous sommes passés par les chutes de la Madeleine, petit Niagara local au cœur d’un domaine naturel protégé et aménagé. Puis retour à Nouméa vers 16 h.

Je reviens en arrière. Il y a juste une semaine, Marie-Aude a fait sa première animation chez un jeune instit’, Jean-Claude Massa. L’après-midi, nous avons été reçus au vice-rectorat pour une cérémonie-cocktail de bienvenue avec toute l’équipe de Livre, mon ami. C’est là que nous avions fait connaissance avec le vice-recteur, M. Ives Melet.

Le mardi, Constance et moi avons laissé Marie-Aude partir et nous avons commencé l’exploration de Nouméa (après avoir commandé une voiture pour l’expédition du vendredi à Païta et réservé la journée au phare Amédée du samedi). Pris à l’anse Vata, le bus nous a débarqués sur la place des Cocotiers, qui est le cœur de Nouméa et de son quadrillage colonial de rues. Nos déambulations nous ont conduits successivement au musée de la ville de Nouméa, implanté dans l’ancienne mairie, ex-première banque éphémère de la Nouvelle-Calédonie, puis dans un snack où nous avons déjeuné. Après quoi nous sommes montés jusqu’à la cathédrale qui domine la ville et nous avons admiré la superbe voûte en bois, due à un prêtre ancien charpentier de marine. Nous voulions aller jusqu’au parc zoologique et botanique mais après une petite grimpette supplémentaire, celui-ci nous a paru provisoirement hors d’atteinte. Nous sommes redescendus dans le centre, passant par une librairie scolaire, dont le propriétaire, M. Collette, avec qui j’ai bavardé, était justement le correspondant de l’école des loisirs et le fournisseur local des livres de Marie-Aude. Marie-Aude était déjà à l’hôtel quand nous sommes revenus.

Vendredi matin, nous sommes partis à Païta. Je suivais la voiture d’Aline qui accompagnait Marie-Aude ce jour-là. Le collège Louise-Michel de Païta est flambant neuf… et déjà trop petit car Païta se développe comme une ville-champignon, dans l’orbite de Nouméa. Elèves et professeurs sont partis à travers champs jusqu’à une habitation-musée toute proche que nous a fait visiter une guide en costume d’époque. La tombe d’un des premiers et plus célèbres colons de l’île, James Paddon, se trouve à Païta ; les colons allemands qui avaient fondé la station sont enterrés à proximité de la maison. Nous avons laissé Marie-Aude après nous être donné rendez-vous au restaurant du mont Koghi. De là-haut, j’ai entrepris avec Constance une balade d’une heure et demie dans la forêt, jusqu’à une cascade que nous avons fini par trouver après quelques détours hors piste… Au retour, nous avons croisé Aline et Marie-Aude qui nous avaient rejoints. Evelyne s’est jointe à nous pour le déjeuner (excellent, Constance a mangé une… tartiflette, pas vraiment un plat local !). Je suis reparti vers Nouméa avec Constance et nous avons cherché – et finalement trouvé – le parc botanique, situé sur les hauts de Nouméa.

Occasion de découvrir le fameux cagou, l’oiseau-fossile rescapé de Gondwana et emblème du Territoire : 

"Comme un oiseau sans ailes ♫"

« Fossile toi-même, patate ! ». A la sortie du parc, nous retrouvons Aline et Marie-Aude de retour de Païta. Aline nous conseille de faire un crochet par le relais-télévision tout proche qui domine la rade de Nouméa. Vue imprenable à 360°, coucher de soleil et…fumées de l’usine de la société Le Nickel garantis.

Notre sortie de samedi au phare Amédée s’est déroulée selon un planning qui ne laissait pas grand place au hasard : tout était organisé de A à Z, mais sans que cela fût pesant, car on pouvait participer… ou s’éclipser. Après trois quarts d’heure de navigation dans les embruns, nous avons débarqué sur l’îlot au son des guitares et des ukulélés. Et la journée s’est enchaînée sous le soleil : baignades, premières visions sous-marines (j’avais loué masque, tuba et palmes), repas avec musiques et danseuses, qui associaient joyeusement l’assistance à leurs déhanchements, visite du phare (Constance a « calé » à la perspective des quelque 250 marches et Marie-Aude en a retiré des crampes aux mollets), démonstration de grimper au cocotier (sélectionné pour l’épreuve, je ne suis pas arrivé jusqu’en haut…) et de nouage de paréo (Constance s’en est mieux tirée que moi), exploration des fonds dans un bateau à fond de verre : nous avons été les seuls à nous jeter à l’eau pour donner à manger aux poissons qui se ruaient sur nos vieux croûtons moisis.

  
Au phare Amédée
La journée a passé comme par enchantement et c’était déjà l’heure du retour à quai, puis à l’hôtel grâce au même autocar qui avait fait le matin même la tournée de ramassage des grands hôtels de Nouméa. Ces dames ont pris quelques coups de soleil, sans gravité.


Dimanche matin, relâche et bagages avant de partir vers Koné. Je vais à la messe de 10 h à l’église du Vœu, « vœu » que la 2ème guerre mondiale épargne la Nouvelle-Calédonie, ce qui fut le cas, sinon dans ses enfants, du moins dans sa terre. Les Américains, qui ont utilisé le Caillou comme base arrière de leurs opérations dans le Pacifique, ont laissé quelques traces de leur passage, notamment les tiques du bétail, qui n’existaient pas sur l’île. L’américanophilie n’est pas un vain mot à Nouméa : pour certains, le 4 X 4 Chevrolet reste le must, loin devant les japonais ou les coréens. Il y a même un club de passionnés de la bonne vieille « Jeep » qui défilent une fois par an dans les rues de la capitale dans les uniformes et les matériels de l’armée américaine, pieusement conservés et briqués.

Nous sommes arrivés hier soir à Koné grâce à Jean et Brigitte, après cinq heures de route dont deux arrêts, un à Foa et l’autre à Bourail, où, après avoir fait un détour par la Roche Percée, curiosité naturelle de l’endroit, nous avons mangé des nems dans un petit snack routier qui ne désemplit pas. Pendant cette longue route nous avons découvert le paysage de brousse, les champs immenses et les troupeaux de bovins ou de chevaux, avec à l’horizon le lagon d’un côté et de l’autre la Chaîne qui, sur 400 km de long, sépare la côte orientale de l’occidentale. De loin en loin, un flamboyant en fleur. C’est l’arbre qui signale l’arrivée du printemps en Calédonie et… la fin de l’année scolaire. Arrivés à la nuit, l’Hibiscus était fermé mais sa patronne, une grande et élégante jeune femme, n’était pas loin et nous a fait les honneurs nocturnes de son splendide hôtel, récemment rénové. Marie-Aude s’est plongée immédiatement dans la piscine. La déco du jardin revue en plein jour est splendide, mi-japonaise, mi-mélanésienne. Chauffe-eau solaire et pompes à chaleur apportent la touche écolo à l’ensemble. Marie-Aude est partie en animation lundi matin avec Jean et Brigitte, rejoints par Evelyne dans son pick-up de broussarde. J’ai fait quelques courses dans le centre de Koné avec Constance et nous avons bouquiné l’un et l’autre. A midi, nous avons déjeuné tous les six à l’hôtel, où tout était de qualité. La cuisine de l’Hibiscus est aussi « quatre étoiles ». Constance termine Au bonheur des dames avant d’attaquer Lambeaux, l’une de ses lectures obligées avec La princesse de Clèves et L’absolue perfection du crime. J’en profite pour lire ou relire moi aussi tous ces livres. Avec un petit plouf dans la piscine.

Mardi 27 octobre

Deuxième journée à Koné. Marie-Aude vient de repartir avec Brigitte et Jean. Un collège ce matin et en début d’après-midi, d’autres collégiens venus exprès en car de Hienghène, sur la côte Est, la patrie de Jean-Marie Tjibaou. Ce soir, à 18 h, rencontre dans un « château » tout proche. Hier soir, le journal télévisé local de RFO a rendu compte de la rencontre du matin au collège de Koné : interview de Marie-Aude et d'un des jeunes élèves, Boris. Brigitte était très contente car c'était une première dans l'histoire de Livre, mon ami, que cette prestation au JT.

J’ai visité Koné hier avec Constance. On en fait vite le tour. Cela ressemble à une ville du Far-West avec une rue centrale, des trottoirs qui s’interrompent de temps en temps, des maisons ou des magasins alignés… ou pas, peu de vitrines. La pharmacie est une vraie pharmacie, à l’extérieur comme à l’intérieur. La mairie est à la croisée des deux rues principales et une maison commune traditionnelle au toit de chaume occupe une partie de la cour intérieure. Mais la ville est appelée à croître grâce à la nouvelle usine d’extraction et de traitement du nickel qui va s’implanter à Voh.

La province du Nord est une assemblée de tribus. Au bord de la route, aux intersections, les panneaux indicateurs ne portent pas le nom d’un hameau ou d’un village comme en métropole mais signalent simplement : « tribu de Ouate » ou « tribu de Ouatom ». Hier soir, nous avons dîné avec la principale du collège que Marie-Aude avait visité le matin. Une femme solide, avec un fort accent du Sud-Est (elle est toulonnaise). Elle a choisi de quitter son premier poste à Nouméa pour partir « en brousse », à Hienghène et aujourd’hui à Koné, parcours à rebours de l’habituel : finir sa carrière à Nouméa, en ville, est l’itinéraire « normal ». Son gendre est un kanak de la tribu de Jean-Marie Tjibaou, à Hienghène et elle nous montrait fièrement des photos de sa fille et de son petit-fils métis au milieu des siens. Pour l’heure, ils sont partis tous les trois… en Auvergne pour trois ans. Son gendre fait une formation de soudeur et reviendra dans son pays quand il sera prêt à le faire bénéficier de ses nouvelles compétences.

Je viens de terminer un livre sur et de Louise Michel, Matricule 2182, qui contenait notamment de nombreux extraits de son séjour en Nouvelle-Calédonie, où elle fut condamnée à être « transportée » après la Commune. Image étonnante de cette femme à la candeur indomptable, qui devint l’amie des Kanaks et sut les comprendre et les défendre quand la plupart des colons et des militaires ne voyaient en eux que des « sauvages ».

mercredi 28 octobre 2009

Il n’y avait pas foule, paraît-il, à la conférence de Marie-Aude au château Grimini de Pouembout. Un seul enseignant de Koné s’était déplacé, celui qui l’avait reçue le matin même et qui était venu avec sa femme et leur bébé de deux mois… Les autres étaient restés chez eux et Michelle, la principale, n’était pas là non plus. En revanche de courageuses bibliothécaires et documentalistes de la côte Est n’avaient pas hésité à traverser la Grande Terre pour venir entendre Marie-Aude, qui est rentrée vers 20 h avec Jean et Brigitte. Marie-Aude avait préféré que Constance et moi n’y allions pas. Elle a peur de se répéter devant nous.

Nous arrivons de Koné après trois heures et demie de route. Nous sommes partis vers 7 h du matin, laissant à regret le merveilleux hôtel Hibiscus et notre hôtesse, Cécile Kubeck. Aujourd’hui, c’est le jour de la remise officielle du prix Livre, mon ami, au centre culturel Jean-Marie Tjibaou, l’un des derniers grands travaux mitterrandiens, réalisé par l’architecte italien Renzo Piano. Une des fiertés architecturales de l’île et de la région, avec l’opéra de Sydney.

Jeudi 29 octobre 2009

J’écris sur un ordinateur qui s’obstine à se croire le jour d’avant. Je suis jeudi et « il » est mercredi. Il s’en faut de dix heures. Nous résorbons rationnellement cette anomalie en parlant de décalage horaire mais tout se passe comme si ce que j’écris ce matin s’enfuyait à l’instant hier soir. Le temps n’a plus rien d’absolu parce que je suis dans un autre espace. Tout est devenu relatif.

Marie-Aude a reçu hier son trophée Livre, mon ami au centre culturel Tjibaou. La cérémonie a fait se succéder sur la scène un nombre impressionnant d’enfants : rap sur les titres des ouvrages de l’auteur, chorales, chorégraphies sur un slam de Grand Corps Malade. C’est Fred Fichet, un sculpteur métro installé depuis vingt ans en Nouvelle-Calédonie, – il avait épousé une Calédonienne qui, m’a-t-il dit, est repartie en France tandis que lui restait là - qui avait fabriqué le trophée. Les infos télévisées du soir ont consacré quelques instants à la remise du prix et Les Nouvelles de ce matin un petit article avec photo de la récipiendaire. Un petit goûter a été offert aux enfants par l’association, ce qui nous a valu de discuter avec les uns et les autres. Corinne Albaut était là et nous a invités chez elle ce soir.

Pour moi le plus intéressant est ce qui a suivi : une visite du centre, en compagnie de Francesca ( ?), une jeune guide kanak qui, chemin faisant, nous a parlé aussi et surtout de la culture de son peuple et de la façon dont elle la vivait et la ressentait. Je sais que je l’ai écoutée avec attention, que je lui ai posé des questions, mais je n’ai réalisé que ce matin au réveil la force qu’avaient pris ses propos dans mon esprit. Il y a dans le centre un chemin qui évoque les cinq étapes de la vie kanak, de la naissance du premier homme à sa renaissance. Malheureusement, nous n’avons pas eu le temps de l’emprunter. Autrefois, nous a raconté Francesca, le défunt était confié, enveloppé dans une étoffe, aux racines d’un banian. Un gardien, revêtu d’un masque, lui était assigné, qui pouvait rester plus d’un an à veiller le corps, la tribu pourvoyant à son alimentation. Puis lorsque le temps du deuil était accompli, le corps était déposé dans une grotte. Donc pas d’ensevelissement, pas d’incinération. La civilisation française a évidemment rendu impossible ces rites funéraires, et leur a substitué les sépultures chrétiennes. Mais sur Ouvéa, nous avons entraperçu des cimetières au bord de la route : pas de tombes en marbre, mais un poteau fiché en terre, et orné d’étoffes multicolores nouées au bois vertical.

vendredi 30 octobre 2009

Dernier jour d’animation pour Marie-Aude. Ce matin, c’était deux classes de CM2. Anne-Marie est venu nous rechercher vers 10 h 30 car la seconde classe avait préparé une multitude de plats locaux tous plus délicieux les uns que les autres. Constance et moi avons été accueillis avec la fameuse chanson « mon cœur est en Calédonie », qui est devenue une sorte d’hymne inscrit au répertoire de toutes les chorales scolaires. La jolie maîtresse aux yeux d’or avait fait superbement travailler les enfants.

Le temps est maussade aujourd’hui sur Nouméa. Il a plu et alors que Constance et moi attendions notre bus sous un soleil éclatant, nous en sommes descendus place des Cocotiers sous une averse, juste pour nous réfugier à l’Atelier des femmes (où Constance a trouvé un collier). Notre après-midi de courses en a été un peu refroidie. La pluie ayant cessé, nous avons quand même pu circuler dans le Chinatown local et faire une ou deux emplettes. Mais je sens bien que je ne suis pas le complice de shopping idéal pour ma fille.
Hier soir, nous avons dîné chez Corinne et son compagnon, qui vivent dans une résidence-hôtel dominant l’anse Vata. Demain, si le temps le permet, le mari de Juliette, Paul Maes, nous emmène faire une balade dans son hélicoptère.

Dimanche de la Toussaint

Je suis retourné à la messe dans l’église du Vœu, bien pleine à l’office de 7 h du matin.
Je reviens sur la balade en hélico d’hier. Samedi matin, Juliette nous a donc appelés : « Le temps est Ok, je passe vous prendre et vous conduit à l’aérodrome Magenta, Paul vous emmène dans le Sud ». Notre pilote est un petit homme noueux, aux gestes précis, plutôt rassurant, mais peu loquace, nous a prévenu Juliette. Mais a-t-elle ajouté, il répondra à toutes vos questions. Je suis impressionné en montant dans la cabine de l’hélico vert pomme. Un quatre places. C’est mon baptême d’hélico, pour Constance aussi. Paul nous fait coiffer chacun un casque audio qui va nous servir à communiquer pendant tout le voyage. Je monte à l’avant, Constance et Marie-Aude sont derrière. Juliette nous prend en photo. Paul démarre sa machine qui monte en puissance. Dialogue avec la tour de contrôle. En souplesse, l’engin quitte le sol et file à deux ou trois mètres au-dessus du sol pour prendre la piste et décoller comme un avion. Très vite nous sommes au-dessus de l’océan. Nous volons à 500 pieds, altitude déclarée au contrôleur aérien (une jeune femme, d’après la voix) et qui s’affiche sur l’altimètre. Je filme. Nous volons à 180 km/h mais l’océan sous nos pieds semble presque immobile. Paul tient dans sa main droite un petit manche recourbé qui ne paye pas de mine. Il a aussi une pédale sous chaque pied. Rien de spectaculaire dans un pilotage économe de gestes. Nous quittons la mer pour entrer sur la Grande Terre, par une ria. Nous survolons une crête couronnée d’éoliennes et nous redescendons vers un ancien bagne. Paul nous signale, au milieu d’une anse une curieuse baignoire de pierre, émergeant de l’eau, restes d’un jacuzzi construit autrefois par les Japonais sur une source d’eau chaude. Des voiliers sont abrités dans des criques et leurs passagers nous font de grands signes quand nous passons au-dessus d’eux. Puis le terminal maritime de l’usine de Goro se profile. Un long tapis roulant file du port minéralier jusqu’à l’usine que nous survolons. Les installations, gigantesques, pourraient être celles d’un grand pays. Paul nous signale les tas de soufre, de calcaire et de charbon. L’usine va vivre en autarcie, produisant même son électricité, dont elle restitue les excédents pour alimenter Nouméa ! Un peu plus loin, nous voyons les habitations où vont vivre les employés de l’usine, vues de haut une succession de petites boîtes, comme des Algécos. Un peu plus de 1000 personnes en période courante travailleront là, dans un décor spartiate, il y en a eu jusqu’à 4000 pour construire le site. Paul dirige son appareil vers les cascades de la Madeleine que nous survolons. Il nous propose de nous dégourdir les jambes et atterrit à côté de la rivière des Lacs, posant délicatement l’hélico sur une petite plate-forme naturelle. Il coupe le contact et c’est tout simple : nous sortons et nous retrouvons sans transition en pleine réserve naturelle, dans un silence à peine troublé par des chants d’oiseaux et le bruit de l’eau.


Paul nous montre des roches pleines de minerai et nous fait découvrir une plante carnivore, une petite fleur rouge minuscule. Il est finalement plus bavard que nous. Nous redécollons aussi naturellement que nous sommes arrivés. Constance est montée devant, à côté du pilote. Paul nous signale la plaine du Champ-de-Bataille où les tribus canaques se faisaient la guerre. Nous revenons sur Nouméa. Paul prend l’axe de la piste comme le ferait un avion et au ras du sol, file jusqu’au cercle jaune où il pose son insecte vert. Pilotage précis, impeccable. Nous le remercions chaleureusement et Juliette nous raccompagne au Ramada Plaza.


Après-midi shopping à Nouméa. Mais écourté car les magasins ferment dès cinq heures.

mardi 3 novembre 2009

Retour vers Paris, dans la nuit et le froid (relatif) de cet automne. Le voyage de retour quoiqu’ayant duré près de 30 heures, de porte (d’hôtel) à porte (de maison) nous a paru moins long et fatiguant que celui de l’aller. Il faut dire que le dernier week-end s’est passé calmement.
Dimanche, même, le temps était maussade sur Nouméa, bruineux, comme pour ne pas nous faire regretter de quitter le territoire. Les membres du comité sont venus nous dire au revoir au Ramada Plaza. Nous avons pris un verre ensemble et Marie-Aude a improvisé un bilan de son séjour, de ce qui avait marché (ou pas). C’est Jean et Brigitte qui nous ont accompagnés à l’aéroport. Nous avons décollé lundi vers 00 h 30, heure locale. L’escale à Séoul a été plus courte. Pendant le trajet, nous avons alterné lecture et visionnage de films : au total, nous étions moins abrutis qu’à l’arrivée à Nouméa. Nous avons également reconquis, en revenant, les fuseaux horaires que nous avions perdus en partant, avec en prime, l’heure d’hiver.


22 mai 2024

Journal romain



Rome, printemps 2008


En 2007-2008, je suis animateur au sein de l'aumônerie des lycées de l'enseignement public du centre d'Orléans, baptisée Sichem. La responsable de l'aumônerie est Claire Urfels, qui entrera quelques année plus tard dans les ordres, bénédictine au monastère de Bouzy-la-Forêt (45) sous le nom de sœur Elisabeth de la Trinité. Notre aumônier est le père Gilbert Bonnemort.

Nous nous sommes associés avec une autre aumônerie, Képhas, dont la responsable est Isabelle Fouché, accompagnée par le père Richard Mention, pour emmener nos jeunes en pèlerinage à Rome. Le père Olivier de Scitivaux, bon connaisseur de la ville romaine et ancien aumônier de Sichem, est notre guide. 

Le texte qui suit est mon journal de pèlerin.

***

Dimanche 13 avril 2008 : le départ d'Orléans.

Sous un ciel maussade, nous avons rendez-vous à Saint-Dominique à 13 h. Xavier et Françoise [Poisson] sont passés me prendre à la maison avec ma fille Constance. A l’entrée de l’église, c’est une joyeuse effervescence. On se salue, chacun reçoit son « livret du pèlerin » qui va être notre « guide vert » pendant tout le voyage. Programme détaillé de chaque journée, chants religieux et chants profanes, présentation de la Ville éternelle, tout y est prévu, par les soins de Kephas (merci à Isabelle and C° !).

Nous sommes accueillis sous la « tente » par le père Olivier de Scitivaux qui conduit la cérémonie d’envoi en compagnie du père Gilbert Bonnemort, prêtre accompagnateur de Sichem et du père Richard Mention, qui lui, accompagne Képhas. Lectures, chants, homélie nous mettent déjà dans l’ambiance du pèlerinage dont chaque journée sera placée sous le signe d’un sacrement. A l’issue de notre rassemblement, les animateurs sont invités à monter à l’autel pour remettre à chacune et chacun ses insignes de pèlerin, qui l’accompagneront toute la semaine : une petite croix de bois attachée à une cordelette blanche et un foulard de couleur ocre « poché » aux  armes, réunies pour la circonstance, de Kephas et de Sichem. Ainsi adoubés, nous sortons sur la place de l’église, bavardant en attendant l’arrivée des autocars. Et c’est l’heure des adieux et de l’embarquement. Chaque autocar a reçu un nom : « Paul » emmène Sichem et les pèlerins adultes, « Pierre » le groupe des jeunes de Kephas, plus nombreux. Au total, nous sommes 96 à faire le voyage. Et c’est parti… pour une vingtaine d’heures de car en perspective ! Les uns lisent, les autres bavardent, quelques écouteurs pointent l’oreille, pour une musique souvent partagée entre voisin/voisine. Sur l’autoroute, je sortirai ma guitare de son étui pour faire chanter la troupe. Progressivement, nous nous enfonçons dans la nuit et dans nos fauteuils, vaguement somnolents ou franchement endormis pour certains. Chaque arrêt nous extrait de notre torpeur et de notre autocar, sur des aires d’autoroute ou dans des stations-service. Avant de repartir, nous recomptons soigneusement les passagers… Nous passons en Italie par le tunnel de Fréjus. La partie nocturne de notre voyage ressemblera d’ailleurs à un long tunnel jusqu’au matin…

Lundi 14 avril : l’Eglise, sacrement du salut.

Le jour s’est levé après la longue nuit passée en car, ponctuée par des arrêts réguliers, toutes les deux ou trois heures, qui nous ont permis de nous déplier et de satisfaire quelques besoins naturels comme par exemple prendre, à moitié endormi, un infect café soluble à 1 euro, brutalement insolé par les néons d’une station-service. Nous atteignons enfin les faubourgs de Rome et contournons la ville par son « boulevard périphérique » pour entrer par le Sud et le quartier dit de l’EUR, l’Exposition universelle de Rome prévue pour 1942 et mise en chantier sous Mussolini, avant guerre. Nous arrivons enfin vers 11 h à la Pensionata. Une plaque posée sur sa façade nous informe qu’il s’agit d’une possession et même d’un territoire du Saint-Siège. Nos chambres n’étant disponibles qu’à partir de 14 h 30, nous entassons nos bagages dans une pièce et rallions l’esplanade qui jouxte la basilique majeure S. Paolo fuori le Mura, Saint-Paul-hors-les-Murs. Là, assis dans l’herbe, nous attaquons le pique-nique prévu par Képhas. Un beau soleil nous accueille. Quelques « Roms » qui nous ont vu arriver eux aussi tournent autour des groupes pour réclamer argent et nourriture, avec le ton geignard de commande, qui émeut ou agace, c’est selon. Les plus jeunes ont bon cœur. Une partie du pique-nique nourrira donc ces premiers pauvres rencontrés à Rome.

En attendant que l’hôtel puisse nous recevoir, nous entrons dans Saint-Paul, après être passé par son grand atrium carré. Choc de la première basilique majeure visitée, avec son immense nef centrale, d’autant plus immense qu’elle est vide de sièges, et ses quatre autres nefs latérales, séparées et soutenues par 80 colonnes de granit. Nous apprenons qu’une plaque de marbre gravée au nom de l’apôtre est placée sous le maître-autel et atteste de l’emplacement de son tombeau depuis le IVème siècle. Olivier inaugure les fonctions de guide qu’il va exercer tout au long de la semaine avec patience et compétence, nous introduisant inlassablement aux origines de la chrétienté et aux sources de notre foi. Un cloître jouxte la basilique. Chacune de ses colonnettes torsadées, décorées de fragments de mosaïque rehaussés d’or, semble unique.

L’heure tourne. Nous revenons à la Pensionata pour prendre possession de nos chambres, y déposer nos bagages et pour certains, récupérer un peu de la nuit en autocar, qui fut courte et hachée. A 17 h, nous allons vivre notre première messe à S. Paolo. Lorsque nous arrivons, des scouts, disposés en carré, écoutent la promesse d’un des leurs. Nous attendons qu’ils en terminent et nous nous installons face à l’abside ornée d’une superbe mosaïque du XIIIème siècle. Nous en verrons d’autres tout au long de la semaine et ne nous en lasserons pas. J’ai amené ma guitare pour accompagner les chants avec Claire ; nous croyons au début pouvoir nous passer du micro mais le son de mon instrument se perd dans l’immense église et la sanction est immédiate : tout le monde chante un ton en dessous. Je renonce à jouer et nous finirons la messe a capella.

Le repas du soir est copieux et commence par un plat de pasta copieusement garni de sauce tomate et de fromage râpé. Nous sommes bien en Italie…

La veillée préparée par Képhas vise à faire se rencontrer un peu aléatoirement les pèlerins par groupe de trois, chacun devant dresser une sorte de portrait chinois de son voisin. Dans la salle à manger qui nous réunit, c’est une joyeuse cohue entre tables et chaises pour retrouver d’abord celui dont la fiche porte le même numéro puis l’interroger sur ses goûts et ses couleurs… Trois trios sont tirés au sort et doivent se présenter en public. L’opération « communication » est réussie.

Toute la troupe est expédiée au lit. Il s’agit de récupérer de la nuit précédente pour être en forme le lendemain matin.

Mardi 15 avril : Le baptême

Nous entamons notre deuxième journée romaine. En fait, la première complète : nous découvrons donc le réveil téléphoné à 7 h, la salle du petit déjeuner, la distribution de ce qui sera l’invariable ( !) pique-nique du jour, composé de deux petits pains sandwiches de prosciutto et de fromage, une barre de céréales, une bouteille d’eau et un fruit, clémentine ou orange. Et hop, tout le monde dans les autocars. Sichem s’est réparti en deux équipes de 10 et 9, baptisées sur le tas « Capitole » et « Palatin ». Capitole est confiée à Marie-Agnès et moi, tandis que François et Xavier conduisent Palatin. Claire et Gilbert accompagneront tantôt l’une tantôt l’autre. Kephas s’est scindé en cinq équipes, avec Richard, leur aumônier, Isabelle, Frédérique,…tandis qu’Olivier prend en charge le groupe des adultes. Rome grisaille mais nous n’aurons que quelques gouttes de pluie, entre deux églises. Direction Basilica S. Clemente, du nom d’un des premiers successeurs de Pierre, connu notamment pour sa lettre aux Corinthiens. Nous passons devant le Colisée et sommes déposés à côté de la villa Celimontana. Nous partons en direction de S. Clemente, tout proche. Première expérience de cheminement de notre groupe qui s’allonge sur les trottoirs étroits de Rome et traverse interminablement les rues devant des automobilistes romains plutôt patients.

S. Clemente est une des plus anciennes églises de Rome, bâtie sur une domus particulière. Il y a en fait trois niveaux que nous allons explorer sous la conduite d’Olivier. La basilique supérieure renferme en son abside une superbe mosaïque du 12ème siècle. La croix relie la terre au ciel et douze colombes y figurent les douze apôtres. Nous descendons dans la basilique inférieure, du IVème siècle. Une fresque relate le martyre de Clément, qui, selon la tradition, fut attaché à une ancre et noyé par la marée montante. Le troisième niveau recèle un petit temple où l’on célébrait le culte au dieu Mithra, reconnaissable, sur une sculpture en bas-relief, à son bonnet phrygien. Le néophyte était arrosé par le sang des bovins sacrifié à l’étage au-dessus, sorte de baptême. Après cette première descente impressionnante dans le passé chrétien et pré-chrétien, nous quittons S. Clemente pour nous rendre à St Jean de Latran.

Nous commençons par visiter le baptistère, fondé par Constantin et où tous les premiers chrétiens de l’empire furent baptisés. Olivier nous explique le rituel de l’époque : hommes et femmes, après s’être déshabillés, étaient immergés complètement à trois reprises, au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, mourant et renaissant ainsi, de façon symbolique, à la vie nouvelle en Christ. De façon insolite, mon portable se met soudain à vibrer et sonner : c’est l’Insee et c’est un étrange rappel pour moi qui suis à 1500 km de Paris et déjà à des siècles du temps présent.

St Jean de Latran est une des quatre « basiliques majeures ». C’est aussi la cathédrale de l’évêque de Rome et le président de la République française fait partie de son chapitre. Il a donc le titre de « chanoine de Latran ». Nous avons entrevu à la télévision, quelques semaines auparavant, les cérémonies d’intronisation de M. Sarkozy. La grande nef de la basilique est présentement vide de toute chaise, comme le sont quasiment toutes les églises « touristiques » de Rome. L’église est décorée de façon impressionnante, chacun des douze apôtres ayant droit à une énorme statue blanche, qui se détache d’une alvéole ceinte de marbre gris, insérée entre deux piliers. Après une visite succincte, nous nous installons vers 11 h dans une chapelle latérale fermée pour y célébrer la messe. Nous sommes assis dans des stalles, tels de bons chanoines.

Après la messe, nous pique-niquons sur le parvis de l’église et dans les environs immédiats. Quelques animateurs dont je suis vont s’offrir leur premier café italien : le cappucino recueille une majorité des suffrages, suivi du « longo » et je dois être le seul à avoir opté pour un expresso, bien serré au fond de ma tasse…

Nous quittons S. Giovanni in Laterano pour rejoindre la Rome antique, la Rome romaine de nos versions latines, avec la découverte guidée du Forum et de ses restes prestigieux. Nous nous rassemblons au pied de l’arc de Constantin, à deux pas de l’énorme silhouette du Colosseo. Nous faisons une première tentative pour pénétrer dans le Forum mais nous arrivons par… l’uscita. Demi-tour. Nous contournons la longue clôture et arrivons à l’entrée : celle-ci est payante, ce dont aucun des « anciens » du pélé n’avait le souvenir et pour cause : c’est une nouveauté. Après une négociation laborieuse à la caisse, dans un mélange d’italien d’opérette et de mauvais anglais, nous obtenons 60 tickets gratuits pour les jeunes, 6 autres pour les accompagnateurs et 6 tickets payants. Une bonne nouvelle quand même : avec ce ticket nous pourrons visiter aussi le Colisée, ce qui n’était pas prévu au programme initial.

L’exploration du Forum commence, guidée par le jeu-découverte préparé par Xavier. Questions, énigmes à résoudre, inscriptions latines à comprendre sinon traduire ponctuent les étapes de notre visite. Les Romains étaient vraiment d’immenses bâtisseurs, du moins leurs esclaves et il y en a de « beaux restes » sur le Forum que nous parcourons en tout sens. Colonnes, temple à Vesta, « basilique », arc votif, chaque ruine y passe et chaque monument « à clé » est décrypté. Un bref commentaire de notre livret du pèlerin en éclaire le nom, l’origine et la destination. Seule la fameuse « louve romaine » nous échappe : nous apprendrons un autre jour qu’il nous aurait fallu ressortir du Forum pour la croiser.

Nous décidons d’aller visiter le Colisée puisque notre ticket d’entrée au Forum nous y donne accès. Visite de ce qui est sans doute le monument le plus impressionnant de la Rome antique (avec les thermes de Caracalla, que nous ne verrons pas). La vue plongeante sur l’arène et son sous-sol donne une bonne idée de la Rome qui vivait et vibrait, deux millénaires auparavant, du « pain et des jeux », le fameux « panem et circenses » qui semble toujours satisfaire l’homme du XXIème siècle.

Nous retrouvons les cars stationnés là où ils nous avaient laissé le matin. Nous sommes un peu en avance et Claire et moi en profitons pour faire une balade dans le parc de la villa Celimontana, jusqu’à la petite église SS.Giovani e Paolo.

Ce soir, c’est « veillée Sichem ». Il s’agit d’un jeu de questions-réponses, concocté par l’équipe des 4ème – 3ème où saint Pierre, le Vatican et les Papes se partagent la vedette. « Ils » ont heureusement oublié depuis longtemps et les questions et les réponses, mais pour respecter un semblant d’égalité, nous avons mêlé les (soi-disant) « experts » de Sichem avec les (présumés) « innocents » de Kephas. Une tablée d’anciens participe au jeu. Je suis chargé de l’animation et c’est une joyeuse foire : je dois hurler pour me faire entendre mais j’y arrive à peu près. L’enjeu d’une éventuelle compétition se perd rapidement dans le tumulte engendré par les cris, les protestations et les fous rires. Une seule équipe ratera une question et sera donc déclarée… vainqueur. J’avais encore assez de questions pour durer jusqu’à minuit, mais au bout d’une demi-heure, il est temps d’arrêter le massacre.

Xavier lance alors sa présentation de la Pieta, au son du Coronation Anthem de Haendel. Les admirables photos de Robert Hupka surgissent du noir et blanc, se répondent ou se mêlent pour mieux se fondre dans la nuit. Elles continueront à tournoyer dans nos esprits habités par cette vision étrange et tendre d’une mère éternellement jeune et de son grand fils, paisiblement abandonné sur ses genoux.

Olivier, très en verve, sûrement inspiré par ce que nous venons de voir, enchaîne un long commentaire sur celle qui, depuis le concile d’Ephèse en 431, a été déclarée « Mère de Dieu », θεοτοκος,  et à qui les ciseaux de Michel-Ange ont quasiment donné l’âge de son Fils. Son exhortation déborde au point que Gilbert, dont c’était le tour ce soir-là, doit abréger la sienne. Un « Notre Père » paumes tournées vers le ciel conclut la soirée. Il est suivi de la traditionnelle bénédiction vespérale.

Mercredi 16 avril : la confirmation.

Nous devons être à Saint-Pierre à 8 h ! Ce matin-là, les téléphones sonnent donc dans les chambres à 6 h. Les autocars se faufilent dans une Rome pas encore trop encombrée et déjà ensoleillée. Nous roulons le long du Tibre, apercevant l’île Tiberine qui rappelle l’île de la Cité à Paris, franchissons le fleuve devant le château St-Ange et nous arrêtons face à Saint-Pierre, sur la via della Conciliazione. Le ciel est bleu, le soleil illumine la place Saint-Pierre et ses fameuses colonnades. Nous franchissons sans encombre les portiques de détection qui donnent accès à la basilique. Tout est tellement proportionné dans Saint-Pierre qu’on en oublierait presque qu’on se trouve dans la plus grande église de la chrétienté. Des repères au sol rappellent toutefois que Notre-Dame de Paris ou notre cathédrale Saint-Croix d’Orléans tiendraient facilement dans la nef centrale… Nous nous rendons immédiatement à l’un des sept autels latéraux pour célébrer l’eucharistie. Nous réalisons à peine que nous sommes en train de vivre la messe à deux pas du tombeau de Saint-Pierre. Notre chant semble emplir la basilique et un jeune bedeau italien vient à plusieurs reprises calmer la sono des Francese… Le prêche de Richard s’envole vers les voûtes. Les confirmés et les futurs confirmands seront successivement appelés pour recevoir une bénédiction spéciale de la part des concélébrants. A la fin de l’office, Olivier quitte son vêtement liturgique pour reprendre sa casquette de guide. La basilique s’est emplie de touristes et de pèlerins. Nous nous faufilons dans la crypte qui abrite les tombeaux des papes. La tombe de Jean-Paul II fait l’objet d’une dévotion particulière et une religieuse veille, telle une antique vestale que le défilé des pèlerins, déjà dense, laisse de marbre. Nous remontons dans la basilique en suivant le sens giratoire qui nous fait repasser par l’extérieur de l’édifice. Olivier reprend l’histoire à ses débuts, le martyre de Pierre, sous Néron, dans le cirque tout proche, dont ne subsiste plus comme trace que l’obélisque déplacé et dressé au milieu de la place Saint-Pierre sur l’ordre de Sixte Quint. Puis la construction, le dôme œuvre de Michel-Ange et peut-être inspiré de celui de Florence que nous entreverrons au loin, au retour. Une chasse vitrée expose curieusement à la vue de tous une dépouille cireuse de Jean XXIII. Est-ce lui, est-ce son double façon musée Grévin ? Troublant et pas vraiment nécessaire pour le pape qui voulut Vatican II. La statuaire est par ailleurs très riche. Nous nous arrêtons devant la comtesse Mathilde de Toscane, la première femme ensevelie dans la basilique. C’est elle qui fut l’organisatrice de la célèbre rencontre de Canossa au cours de laquelle l’empereur Henri V dut demander pardon au pape Grégoire VII, qui l’avait excommunié (déliant ainsi ses sujets du devoir de lui payer l’impôt !). L’empereur ne tarda pas à se venger de cette humiliation ! Un peu plus loin, une foule est agglutinée devant la vitre qui protège la Pieta de Michel-Ange, depuis qu’un fou a voulu la démolir à coups de marteau : elle semble toute petite, au loin, perdue, solitaire. Heureusement, nous l’avons vue de près la veille, photographiée sous tous les angles dans le montage préparé par Xavier :


Je fais un petit saut à la Poste vaticane pour expédier mes cartes, avec des timbres colorés, un vitrail à l’effigie de Sainte Elisabeth de Hongrie. De notre point de rendez-vous, l’obélisque, nous partons à l’assaut des musées du Vatican. Il nous faut pour cela longer pour la contourner la longue et haute muraille de brique qui ceinture le Vatican. Dans l’entrée du musée où nous patientons en attendant qu’Olivier achète les tickets, trône une étrange statue moderne, un bloc de marbre blanc d’où se détache un jeune homme à l’allure de Petit Prince monté en graine, poussé en avant (ou retenu ?) par Jean Paul II, sans doute quelque allégorie dont le sens m’échappe. Nous nous fixons des objectifs limités : voir les « chambres » de Raphaël et la chapelle Sixtine, et un rendez-vous à 13 h 30 à la sortie. Nous partons en petits groupes mais après la longue galerie des cartes géographiques anciennes, qui mène aux stanze di Raffaelo, nous serons progressivement dispersés par la foule. Je me retrouve bientôt seul (si je peux dire !) pour contempler L’école d’Athènes, la fameuse fresque où l’on voit côte à côte Platon, le doigt levé vers le ciel des Idées et Aristote désignant au contraire le sol des réalités sensibles… Un peu plus loin, la chapelle Sixtine est également pleine comme un œuf, avec des gardiens italiens qui brament de temps en temps une consigne en italien pour interdire de s’asseoir ou de prendre des photographies. En fait, il faudrait visiter la chapelle Sixtine avec des jumelles car les peintures originales qu’on a l’habitude de voir en reproduction, agrandies, sont tout là-haut, à 20 m au-dessus de nos têtes, là où le doigt de Dieu tendu vers celui d’Adam paraît bien minuscule ! La seule chose qui se donne bien, gigantesque, folle, c’est le Jugement dernier qui occupe tout le mur ouest, derrière l’autel : pas besoin de se tordre le cou pour détailler les élus et les damnés. Un pape pudibond ou obsédé, mû par la Contre-Réforme, ordonna de voiler les nudités les plus voyantes. Ça donne, sur une trentaine de beaux mâles et femelles une sorte de limace noire en guise de cache-sexe, pas très esthétique. Comme quoi, les plus grandes œuvres d’art ne sont pas à l’abri des caprices des princes de ce monde ou des retournements de l’Histoire. Pour terminer cette visite au pas de charge, je passe par la salle égyptienne, entrevoyant une impressionnante momie présentée dans son sarcophage, telle que les archéologues ont dû la découvrir, noire et décharnée. En ressortant du musée, je suis bon dernier – il n’est pourtant que 13 h 15 -et je rends grâce à Gilbert qui s’est dévoué pour m’attendre. Nous reprenons le chemin en sens inverse, vers Saint-Pierre. Cet axe touristique privilégié s’est couvert entre temps de Sénégalais qui proposent, tous les trois mètres, des sacs Prada, Vuitton, Dolce&Gabbana, etc. tous les mêmes, garantis d’origine...

Lorsque nous arrivons à nouveau sur la place Saint-Pierre, Kephas et Sichem ont déjà déballé les pique-niques. Nous nous installons sur les marches, plein soleil, plein sud. Beaucoup y gagneront quelques couleurs, cet après-midi-là.

Après le repas, nous partons à l’assaut du Janicule, par des petites rues où nous nous perdons un moment. L’effort de la montée en vaut la peine. Le passaggiata del Gianicolo, bordé de bustes de garibaldiens, dressés à l’ombre d’immenses pins parasols, offre une vue superbe sur Rome. Olivier nous en fait identifier au loin les principaux monuments. Nous arrivons alors à l’immense statue équestre de Garibaldi : le héros révolutionnaire italien tourne la tête, paraît-il, vers le Vatican, son ennemi. Nous poursuivons notre route jusqu’à l’église San Pietro in Montorio. Nous sommes chez les Espagnols. Olivier nous montre un « tempietto », petit temple circulaire coiffé d’un dôme, œuvre de l’architecte Bramante, et maquette anticipatrice de la coupole de Saint-Pierre. De là, nous empruntons un escalier qui descend directement dans le Trastevere, jusqu’à la piazza S. Maria in Trastevere. Ceux qui ont encore du courage, jettent un œil aux superbes mosaïques du chœur de l’église, mais tous ou presque vont surtout aller faire la queue chez le glacier de la place pour manger leur première gelato italienne. Les marches d’une fontaine accueillent les pèlerins fatigués pour une pause bien méritée. Puis nous nous rendons au lieu de rendez-vous avec les autocars, que nous attendrons une bonne demi-heure, pris qu’ils sont dans la circulation romaine de 18 h. Ce soir-là, nous battrons le record de vitesse de montée en car. Il faut savoir qu’en Italie, les autocars, semble-t-il, n’ont pas le droit de s’arrêter. Ou si peu…

Veillée Képhas. C’est le jeu de la « juste date », à choisir entre trois pour toute une série d’événements de l’Histoire romaine et chrétienne. Là aussi, bonne ambiance, malgré la fatigue du jour. Comme chaque soir, nous prions ensemble pour conclure notre journée de pèlerin.

Jeudi 17 avril : l’eucharistie.

Jour de repos pour nos chauffeurs. Nous prenons pour la première fois le métro romain de bon matin. Cinq stations de Basilica San Paolo jusqu’à Colosseo. De là, notre petite troupe chemine dans la ville, passant devant « la machine à écrire » - c’est ainsi que les Italiens surnomment l’énorme monument blanc dressé en l’honneur de Victor Emmanuel II – puis s’enfile dans les petites rues qui mènent jusqu’à Saint-Louis-des-Français. Nous sommes accueillis par le recteur, à 9 h 30, avant l’ouverture des portes de l’église aux fidèles. Nous foulons la poussière des morts, nous rappelle le recteur, tandis que toute l’architecture et la décoration intérieure, piliers carrés et voûtes en plein cintre, plafonds à caissons richement dorés, placages en loupe de marbre, nous attirent vers le Ciel et ses trésors. Outre qu’elle est un petit bout de France en Italie, admirablement entretenue, du moins à l’intérieur, Saint-Louis renferme un grand trésor dans une de ses chapelles latérales. Trois immenses et sublimes Caravage, peints sur place et qui n’ont quasiment jamais quitté ce lieu, nous attendent.

La vocation de saint Matthieu…




Saint Matthieu et l’ange…



Le martyre de Saint Matthieu.



Suit un commentaire simple et spirituel du recteur, sur l’ombre et la lumière chez Caravage dans ces trois tableaux. Les ados écoutent le recteur, regardent les tableaux, subjugués ou saturés. Certains ont renoncé tout de suite et se sont assis sur une marche d’autel ou restent adossés à un pilier, prolongeant leur nuit ou se protégeant comme ils peuvent de ce doux déluge d’Art et d’Histoire, malheureusement troublé par un organiste qui semble-t-il règle ou accorde bruyamment son instrument.

Sortis de là, éblouis pour certains, accablés pour d’autres, nous partons par équipe à la découverte de la Rome baroque. Pour cela, il faut savoir où aller. Deux petits tubes remplis de pâtes dans lesquelles Xavier a glissé quelques vermicelles en forme de lettres vont fournir les premiers indices. Pour Capitole, Constance et Ivanne les ont étalées sur le parvis et résolvent l’énigme de départ : « Chiesa del Gesù » sera notre première destination. Commence une longue errance dans Rome qui passera par la fontaine de Trevi, le Quirinale, de nombreuses églises, le Panthéon et sa splendide voûte (43,50 de diamètre !), les glaces chez Giolitti, et pour terminer en beauté, l’eucharistie célébrée dans la chapelle du Séminaire français de Rome. Pour certaines églises, il nous faudra faire preuve d’imagination : elles sont quasiment toutes fermées entre 13 h et 15 h et le Guide vert nous sera précieux pour résoudre certains énigmes posées par Xavier dans son jeu.

Après des kilomètres dans Rome parcourue en tout sens, c’est le frère de Claire Urfels, le père Florent Urfels, qui nous accueille au Séminaire pontifical français. Le chœur de la chapelle est décoré d’une très belle mosaïque moderne. La messe sera recueillie. Il faut dire que nous sommes un peu « cuits ». Nous repartons vers le métro du matin pour revenir à San Paolo. Derrière le forum, nous croisons la fameuse louve romaine, discrète statue de bronze qui, présentement, émerge à peine de la façade d’un immeuble en ravalement. Beaucoup, d’ailleurs, passeront devant sans la voir.

La veillée est organisée par Kephas qui nous propose un spectacle « son et lumière » sur les tribulations de Saint Paul autour du bassin méditerranéen telles qu’elles sont rapportées par les Actes des Apôtres. Il y a tout, même les éléments déchaînés sur la mer Méditerranée.

Vendredi 18 avril 2008 : la réconciliation

Nous partons vers 9 h pour les catacombes. Après quelques détours, car une voie d’accès indiquée sur le plan est fermé, nous entrons dans le domaine de Saint Calixte. D’un seul coup, comme par enchantement, nous sommes passés de la ville à la campagne et l’autocar roule lentement sur une petite route bordée de prés très verts. Il y a eu un orage dans la nuit sur Rome et ses environs. Débarqués sur un parking encore vide, nous nous rendons dans une petite salle où un guide entame ses explications. Il a à ses côtés un meuble contenant de grands panneaux verticaux qu’il tire au fil de son exposé et qui présentent tantôt une coupe du terrain, tantôt les symboles utilisés par les premiers chrétiens, la colombe, l’agneau, le poisson, le dauphin, etc. Contrairement à ce qui se passe quand on fait des fouilles, les tombes les plus récentes sont les plus profondes, soulignera Olivier. Il y a trois ou quatre niveaux, jusqu’à – 25 m. Quand le guide a commencé à parler chacun s’est charitablement gardé de se tourner vers son voisin pour réclamer la version sous-titrée : il a pourtant un accent à couper au couteau (allemand, polonais ?), couteau avec lequel il torture et découpe curieusement la phrase française. Il faut s’accrocher pour suivre. Je me contiens pour ne pas exploser de rire. Heureusement, le sujet m’y aide. Curieusement, au bout de quelques minutes, l’oreille s’habitue, comme si un décodeur s’était mis en route automatiquement.

Après cet exposé liminaire, nous plongeons dans les catacombes à la suite de notre guide, par un escalier de pierre un peu raide. Il règne une humidité impressionnante, qui ronge d’ailleurs les fresques, dont seuls les rouges et les ocres restent encore visibles. Les catacombes, ce sont de longs couloirs - vingt kilomètres de labyrinthe à St Callixte - dont les murs sont trouées de niches horizontales où les morts étaient déposés, recouverts de chaux vive et drapés dans un linceul. Une plaque de marbre fermait le tout. Les plaques de marbres ont toutes été cassées et il ne reste plus que les alvéoles, plus ou moins longues. Mortalité infantile oblige, près de la moitié des tombes creusées dans les murs de tuffeau sont celles d’enfants ou de bébés ! A intervalles réguliers, une petite anfractuosité marque la place où était déposée la lampe à huile, seul éclairage de l’époque. Contrairement aux catacombes parisiennes, il n’y a plus aucun ossement visible, l’église de Sainte Praxède en ayant accueilli beaucoup au moment de sa construction et le reste étant protégé des visiteurs. De temps en temps, on entrevoit une pièce où les vivants déjeunaient paraît-il en compagnie des morts, repas dénommé refrigerium (sic). Aujourd’hui, il y a de loin en loin un autel portatif où des petits groupes de pèlerins célèbrent la messe comme au temps des premiers chrétiens, si bien convoqués par ces lieux. Olivier nous a indiqué que contrairement à la légende, les catacombes n’étaient pas un lieu de refuge où les chrétiens persécutés se cachaient. Le pouvoir connaissait parfaitement l’existence de ces « cimetières » qui n’étaient pas non plus un exclusivité chrétienne : on a retrouvé des catacombes judaïques.

Au détour d’un couloir, une salle plus grande, la crypte de Sainte Cécile, abrite la reproduction d’une émouvante statue due à Stefano Maderno, dont l’original se trouve dans l’église dédiée à la sainte. Celle-ci gît à demi-retournée sur le ventre, les doigts des deux mains formant le symbole de la Trinité. Dans cette position, elle pourrait sembler somnoler mais une fine cicatrice encercle son cou : la marque de la décapitation de cette jeune fille d’une noble famille romaine, qui accompagnait les chrétiens dans leur martyre. Jusqu’à le vivre elle-même.


Lorsque nous remontons à la surface, un beau soleil éclaire la campagne romaine. Notre groupe se pose sur une prairie ceinte d’un rempart de verdure d’où émergent quelques cyprès, gardiens de la tranquillité du lieu. Olivier introduit notre célébration de la réconciliation. Gilbert, Richard et lui vont se disposer un peu à l’écart pour confesser les jeunes – et les adultes – qui le désirent. Il y a une attente paisible et un à un, les pénitents se lèvent et vont voir les prêtres. Olivier prend chacun par l’épaule, comme pour mieux assurer l’intimité et la confidentialité de l’aveu et du pardon. L’absolution est donnée d’un signe de croix. On devine comme dans l’Evangile de la pécheresse pardonnée le « Va en paix et ne pèche plus », délivré ici mains posées sur la tête ou sur les épaules. Chacun peut être spectateur de cette démarche si personnelle accomplie par l’autre mais il n’y a nul voyeurisme car sur toute cette scène, « il fait Dieu », de cette météo imprévisible et sans nuages qui surgit parfois là où deux ou trois sont réunis en son Nom. Ceux qui ne se confessent pas échangent par petits groupes, en parlant à voix basse. Moment de grâce dans ce pèlerinage, dont beaucoup – tous sans doute, chacun à sa manière - surent profiter.

Les cars vont nous emmener jusqu’à la piazza del Popolo pour nous lâcher dans Rome. C’est l’après-midi « quartier libre ». Auparavant, nous pique-niquons sur les hauteurs boisées du Pincio. Nous tombons à la fin du repas sur une dame-pipi qui vient d’inventer une réglementation nouvelle : « ses » toilettes n’accueillent que les adultes, en vertu de quoi les « bambini » (sic) sont priés de rejoindre d’autres lieux à eux destinés.

Rassemblés au pied de l’obélisque (encore un !) où nous nous donnons rendez-vous pour 16 h 45, nous hésitons un moment sur la configuration à adopter : équipe, pas équipe ? Un petit groupe de Sichem a envie de manger un pizza romaine, pour ne pas repartir idiot : ce projet en fédère quelques uns que Claire et moi accompagnons. Les autres suivent Xavier, Françoise, Marie-Agnès, Gilbert à la recherche des souvenirs et des cadeaux à rapporter.

Nous redescendons le Corso à la recherche d’une pizzeria. Le frère de Claire lui a parlé d’une excellent établissement du côté de la piazza Navona. Malheureusement, quand nous arrivons vers 15 h, le service est terminé. Nous nous rabattons sur une pizzeria al taglio, où l’on sert la pizza en quarts que nous mangeons dehors, debout ou tassés sur deux bancs de jardin en plastique blanc. Mission accomplie. Nous continuons notre balade et entrons dans quelques magasins de souvenirs pour trouver l’objet qui va plaire. Je fais un saut à Saint-Louis-des-Français pour acheter un poster d’un des Caravage que nous avons découverts hier. Nous passons aussi par un petit supermarché. Nous finirons par rallier la piazza del Popolo non sans avoir fait un crochet par la splendide Galeria Alberto Sordi, en forme de V et qui donne sur le Corso. En dehors de ses boutiques de luxe, les mêmes que dans toutes les grandes villes européennes, elle présente l’intérêt fondamental d’abriter une des rares toilettes publiques de Rome, que j’ai repérée la veille *. Au retour, je devance le groupe avec Marc pour avoir le temps de voir deux autres Caravage qu’abrite l’église S. Maria del Popolo : La conversion de Saint-Paul et La crucifixion de Pierre. Coincées qu’elles sont, face à face dans le chœur d’une petite chapelle latérale, il faut se tordre le cou pour apercevoir les toiles, superbes là aussi. Sur la piazza, un podium de concert est en cours d’installation. Les essais de sono font vibrer la petite église.

Le soir, avant chaque repas, un petit apéro entre adultes du pélé et animateurs s’est organisé depuis le début de la semaine. Pour le dernier, nous sommes encore plus nombreux. Invariablement, chaque repas aura commencé par un plat de pasta : succès assuré chez les ados, qui compense les sandwiches du midi dont la cote n’a cessé de décroître tout au long de la semaine.

C’est notre dernière veillée, confiée à Sichem. Claire a demandé à chacun de faire un dessin, un poème, bref de laisser une trace de son passage à Rome. Appel entendu. Avec Claire et Marie-Agnès qui nous rejoint, nous assemblons toutes les feuilles recueillies le long d’une ficelle, comme un rappel du linge qui sèche, pendu d’une façade à l’autre, dans les rues étroites de la Rome populaire. Nous organisons le défilé de cet étendage insolite avec quelques jeunes, pendant que Claire égrène les thèmes ou les phrases laissées par chacun. En prélude à la journée du lendemain, consacrée aux vocations, à travers les sacrements de l’ordre et du mariage, nous projetons un montage sur les vocations qui fait défiler une succession de témoins qui se sont levés à l’appel de Dieu tout au long de l’Histoire du Salut, d’Abraham jusqu’à nous. « Et toi ? ». Comme à la fin de chaque veillée, une courte exhortation, un Notre Père et une bénédiction conclut la veillée. Assortie des traditionnelles (et fermes) recommandations d’Olivier en vue d’une (dernière) nuit calme…

Samedi 19 avril

Dernier jour, déjà. Nous montons nos bagages dans les cars et nous reprenons le métro. Nous descendons à Termini, la gare centrale de Rome, modernisée et rebaptisée « Jean Paul II » et marchons jusqu’à notre avant-dernière église, quatrième basilique majeure, Saint-Marie-Majeure. L’Histoire l’a curieusement sertie entre des immeubles. On raconte que la première église du nom fut construite là, sur l’Esquilin, parce qu’il avait neigé le 5 août 356 à cet endroit et que cette neige avait été interprétée comme une circonstance miraculeuse, un signe virginal du ciel. Après cette visite, rapide en dépit des splendides mosaïques, nous sommes sollicités pour la traditionnelle photo de groupe, par un photographe « agréé par le Vatican » (hum !). Il nous donne rendez-vous en début d’après-midi pour nous remettre autant d’exemplaires que nous voudrons de LA photo du pélé…Il tiendra promesse et pour la modique somme de 6 euros, chacun pourra emporter ce souvenir de Rome, de bonne qualité ma foi.

Nous nous rendons ensuite à S. Prassede où nous allons célébrer notre dernière messe romaine. Cette fois, nous occupons la nef et l’église est tout entière à nous. Nous sommes à nouveau face à une merveilleuse mosaïque du IXème siècle, qui occupe toute l’abside. Deux palmiers y symbolisent les deux Testaments, et sur l’un deux, un phénix est perché, signe de la résurrection. Des mosaïques, il y en a aussi dans une chapelle latérale, dédiée à Saint Zénon, qui abrite une « colonne de la flagellation », à laquelle, selon la tradition, Jésus aurait été attaché pour être fouetté devant Pilate. Cette colonne est particulièrement vénérée par les Italiens pendant la Semaine sainte.

En sortant, nous trouvons une sorte de parc, tout proche, pour apprécier notre dernier et invariable pique-nique. Frédérique a la bonne idée de faire tourner une bouteille de vin. A croire qu’elle a fait suivre sa cave à Rome. Excellent Médoc qui améliore l’ordinaire des « monos » comme on nous appelle parfois. Puis c’est l’heure du rendez-vous ultime avec les autocars. Nous les attendrons une bonne demi-heure, en plein soleil, dernière occasion de bronzer. Il fait 25°, cet après-midi-là à Rome et, au démarrage, Claire me confie qu’elle serait bien restée une semaine supplémentaire… ! Elle n’est sans doute pas la seule dans ces dispositions nostalgiques.

Et c’est le long tunnel du retour, qui me paraîtra cependant moins long qu’à l’aller. Pourtant, nous devrons stationner une heure et demie à l’entrée du tunnel du Fréjus : nous sommes tombés le soir où ils changent les ampoules ! Après la nuit, il y a encore quelques belles énergies pour chanter. Nous ferons même plusieurs canons, incluant la partie avant du car (i.e. les « anciens »). Le chauffeur nous fera simplement savoir qu’il a une chose en horreur : les concours de hurlement entre les deux travées du car. Nous n’insisterons pas. Qui veut voyager loin, ménage son cocher. Et, au retour de Rome, tous les chemins ne mènent peut-être pas à Orléans, même si notre ville doit son nom à la Via Aurelia qui en vient… Nous arrivons dimanche à 12 h 30, sous le même temps maussade qu’au départ mais chacun est plein d’images, de souvenirs et les visages apportent à ceux qui sont restés quelques rayons du soleil romain. Il faut se séparer pourtant. Mais personne, je pense, n’oubliera cette semaine passée ensemble, au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit… Amen !


Pierre-Michel Robert
30 avril 2008



* J’exagère : Rome soigne au moins ses pèlerins puisque chacune des quatre basiliques majeures est nantie de toilettes publiques, accessibles parfois de l’intérieur même de l’église !


Edmund Husserl

  Avertissement : cette présentation de la philosophie d'Edmund Husserl provient de notes que j'ai prises pendant le cours donné par...