« Il était essentiel que j'écrive ce livre : une manière d'accueillir ce qui est arrivé, et de répondre à la violence par l'art. »
Le 12 août 2022, Rushdie s'apprête à donner une conférence à Chautauqua, dans le nord de l'Etat de New York sur l'importance d'assurer la sécurité des écrivains, lorsqu'un jeune, l'Ange de la Mort, sort des rangs et se jette sur lui, un couteau à la main. Pendant 27 secondes il le poignarde à 15 reprises. Salman Rushdie, contre tous les pronostics, est resté en vie et a pu écrire Knife, Le couteau en français.
Quelle intelligence indomptable ! À aucun moment Rushdie n'autorise son lecteur à le considérer comme une victime. Il est toujours en vie, de ce qu'il nomme cette « seconde chance dans la vie » qu'il entend consacrer résolument « à l'amour et à l'écriture ».
D'ailleurs si son premier chapitre, intitulé « Le couteau » est consacré à l'attentat, le second, comme un pansement immédiat s'impose : sa rencontre, cinq ans auparavant, avec la poétesse africaine-américaine Rachel Eliza Griffiths, dans des circonstances hautement comiques, rencontre grâce à laquelle l'attentat demeurera à jamais comme une brève incise (incision?) dans une histoire d'amour qu'il n'a pas interrompue. Au contraire.
Il est évident que l'amour d'Eliza, l'Ange de la Vie, le récit que Salman Rushdie en fait, écrasent les misérables circonstances de l'assaut qu'il a subi à Chautauqua. Mais il décrit admirablement son combat pour vivre. Vivre, c'est l'injonction qu'il a entendue, chuchotée à son oreille alors qu'il gisait à terre, ensanglanté, et plus tard pendant les longues journées d'hospitalisation, dont dix-huit jours de soins intensifs, « dix-huit des plus longs jours de ma vie ».
Rushdie imagine l'échange qu'il aurait pu avoir avec son agresseur, qu'il préfère nommer « A ». Il revient évidemment à différents moments de son existence et aux conséquences que la fatwa de Khomeiny a eues sur elle après la publication des Versets sataniques. Son livre est ainsi fait d'allers et retours incessants entre sa vie passée et l'attaque qui a tout ravivé.
Il consacre six pages (pp. 235-240), qu'il veut définitives pour lui (« je n'y reviendrai plus »), à la religion, encadrées par deux affirmations : « Je ne suis pas croyant » et au terme de son argumentation : « Mon athéisme demeure intact ». Il distingue soigneusement « la croyance privée », qui ne regarde personne d'autre que l'intéressé·e,·de « l'idéologie politisée dans la sphère publique ». Pour lui, les croyants relèvent d'une enfance de l'humanité dans laquelle ils sont restés (il n'est pas loin alors de la théorie des trois âges d'Auguste Comte). Le plus intéressant, c'est ce qu'il reconnaît in fine : « je me suis aperçu que d'une certaine façon j'avais été plus influencé par le monde chrétien que je ne le pensais ». Cette influence, il la reconnaît dans des citations de la Bible, de saint Paul notamment, qui lui échappent et jalonnent son œuvre. Tout cela a « profondément cheminé » en lui. Mais ajoute-t-il, « rien de tout cela ne fait de moi un croyant ». Sait-il à quel point, peut-être, ce dialogue perpétuel avec la religion, fait de lui, à son corps défendant, cet homme éminemment vivant ?
Le couteau – Salman Rushdie – 2024 – Gallimard, collection "Du monde entier" (269 pages, 23 €)
Voir aussi son interview sur CBS Morning, où il est reçu en compagnie de sa femme, Rachel Eliza Griffiths.
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