08 avril 2022

En thérapie, saison 2



Le Covid m'a permis de visionner en deux jours la nouvelle saison d'En thérapie, qui m'a paru plus riche et passionnante encore que la première. Les acteurs sont talentueux et sans doute remarquablement dirigés et filmés dans ce huis-clos d'une maison du Pré-Saint-Gervais, d'où l'on s'évade parfois, car, outre les séquences au Palais de Justice, un jardinet fait sas entre le monde et le cabinet, et parfois scène extérieure, lieu d'un mi-dire en quelque sorte.

Chaque analysant pose à un moment ou l’autre la question « que dois-je faire ? » et attend de l’analyste qu’il y réponde à sa place, de sa place de « sachant ». Le premier travail de l’analyste, le plus élémentaire, est justement de résister à répondre à la place de son patient, développant l’impatience de celui-ci, sa frustration même. Et son agacement devant l’inévitable renvoi : « Et vous, vous en pensez quoi ? ». Le sujet est « supposé savoir », selon la formule connue, savoir de son désir inconscient que l’analyste a pour but de laisser son analysant déployer. 

L’autre problématique développée, c’est celle du « sauveur ». Philippe Dayan (Frédéric Pierrot) est-il atteint par le syndrome du sauveur, c’est ce que Claire (Charlotte Gainsbourg), sa « contrôleuse », lui laisse entendre. Au fond le sentiment d’échec qu’éprouve Dayan vient non pas tant du constat qu’il ferait que ses patients ne guérissent pas mais qu’il ne parvient pas à les sauver, le renvoyant à une fêlure ancienne, entrevue mais brouillée par l'image de son père. Car « sauver », ce n’est pas soigner – obligation de moyen - ni même guérir – devoir de résultat – mais c’est arracher à la mort, rendre à la vie, quasiment ressusciter : figure de l’impossible. Sauver renvoie à la question, cruciale c’est le cas de le dire, du salut, avec ou sans majuscule. 

À noter que le mot Dieu n’est, je crois, jamais prononcé par aucun des personnages de la série. Pour paraphraser un constat fait à propos de Jésus, Freud est juif et ses disciples ne le sont pas. Les interprètes sont bien seuls au monde, désormais.

Ce que la série montre très bien pour chaque analysant, c'est le lent processus d’anamnèse inhérent à toute démarche d’analyse, comment tout souvenir retrouvé en cache un autre, comme dans un jeu de poupées gigognes. Au fond, tout souvenir est un souvenir-écran et cette régression-progression semble ne jamais devoir s’arrêter, qui commence au constat d’une répétition et à l’émergence chez l’analysant de la question lancinante : « qu’est-ce que ça répète ? ». 

Ce que démontrent les quatre « cas », outre celui de Dayan l’analyste, c’est à quel point l’entrée en analyse détruit l’équilibre précaire de chacun, précisément parce que cet équilibre était devenu insupportable, mais sans que rien ne garantisse qu’un nouveau lui sera substitué au terme, s’il y en a un, de l’analyse. D’où la tentation récurrente pour chaque analysant, « d’arrêter », quand il constate qu’il « perd », que le sol se dérobe sous ses pieds, sans aucune assurance de regagner quoique ce soit. L’analyse est la promesse douteuse d’un qui perd gagne que seul étaye la foi-confiance nouée dans le transfert mais régulièrement minée par le doute.

La culpabilité, le sentiment d'imposture, traversent et taraudent tous les personnages, tantôt échos précieux des événements vers lesquels ceux-ci pointent, malgré l'amnésie traumatique ou le simple flou qui engloutit le passé, tantôt leviers pour soulever les pierres tombales, affronter les fantômes, ces "travaux dans l'inconscient du secret inavouable d'un autre" (selon Abraham et Torok).

Ainsi, Inès (Eye Haïdara) devra retrouver la blessure originelle derrière la « malédiction de la tante Ahoua ». Lydia (Suzanne Lindon) va devoir découvrir l’origine de son refus-peur de soigner son cancer. Le jeune Robin (Aliocha Delmotte) harcelé au collège, écartelé par ses parents, Léonora (Clémence Poesy) et Damien (Pio Marmaï) et le choix auquel leur séparation semble le contraindre, va devoir comprendre qu’il peut continuer à vivre même si l’union qui l’a mis au monde se défait. Alain (Jacques Weber), le chef d’entreprise voit ressurgir, avec le suicide d’une de ses employées, le spectre de son frère Michel, son fantôme, à la racine de sa culpabilité. 

Claire est le miroir idéal de la pratique de Dayan et des impasses qui la constituent, malgré lui, et en font la valeur qu’il n’arriverait plus à reconnaître sans elle. Le 35ème et dernier épisode de la saison 2 voit se dérouler l’ultime rencontre entre Claire et Philippe (Dayan). La séance de supervision se transforme rapidement en un échange confraternel – Claire parle de « résonance entre confrères » - poussé par Dayan qui interroge Claire sur les origines de sa vocation de psychanalyste. Au démarrage, Claire a pointé chez Dayan un syndrome du sauveur lié selon elle à un « besoin impérieux de reconnaissance » dont elle juge qu'il a corrompu peu à peu la position initiale d’analyste de son confrère et lui a fait commettre des "imprudences". C’est alors que Dayan amène Claire à exposer les origines, les raisons, de sa vocation. Comment le succès de son livre, Sacha, qui l’a fait connaître à Dayan, l’a aussi arrachée à Lyon pour la jeter dans les bras de son éditeur, dont elle lâche le prénom, Damien, mais cet « emballement qu’on prend pour du désir » - elle renvoie Dayan à ce qui lui est arrivé avec Rebecca - n’a pas duré. Devant ce succès éphémère, dans son tourbillon parisien, Claire a eu très vite un « sentiment d’imposture » et au final se retrouve plus seule que jamais. D’ailleurs elle s’apprête à retourner à Lyon. Et c’est autant elle-même que Dayan qu’elle questionne quand elle s'interroge à voix haute devant lui : « Comment se fait-il que ce qu’on croit vouloir vous fait tourner le dos à ce qu’on désire vraiment ? »

C’est Claire aussi aura su aider Dayan à surmonter l’épreuve que constitue le procès que lui intente la famille d'Adel Chibane (Reda Kateb dans la saison 1) pour non-assistance à personne en danger, procès qui jusqu’à son délibéré va peser sur Dayan pendant toute cette saison 2, comme un suspense parallèle aux dénouements attendus pour chaque analysant. Ce procès de Dayan, c’est aussi en filigrane le procès permanent et silencieux que fait la société tout entière à la psychanalyse, de son coût, de son impuissance à soigner-guérir-sauver, au cœur duquel Esther (Carole Bouquet) va ressurgir de la saison 1, avocate aussi inattendue que déterminante, autant de Freud que de Dayan lui-même. Seront-ils tous les deux relaxés ?


15 mars 2022

La fin de la dissuasion



Le monde face au joueur du Kremlin

Quelle que soit l’issue du conflit russo-ukrainien, une victime symbolique risque de se dresser au-dessus des morts civiles et militaires des deux camps, au-dessus des ruines encore fumantes de cette nouvelle guerre civile en Europe, cette Europe « de l’Atlantique à l’Oural » que le général de Gaulle appela jadis de ses vœux. Cette victime, c’est la théorie de la dissuasion fondée sur la détention de l’arme nucléaire par quelques pays, ceux du club restreint que forme le Conseil de sécurité de l’ONU et quelques autres dont les premiers n’ont pu contenir entièrement la prolifération.

Que dit cette doctrine militaire de la dissuasion ? « La dissuasion nucléaire est une doctrine militaire défensive qui se fonde sur une crainte réciproque des conséquences liées à l’emploi en premier de l’arme nucléaire. La dissuasion se fonde sur la capacité de seconde frappe, c’est-à-dire de riposte en cas d’attaque nucléaire. »

Cette doctrine ne garantit pas la paix, mais l’absence du recours à l’arme nucléaire par un belligérant. C’est cette garantie à laquelle M. Poutine a mis fin en lançant son « opération spéciale » contre l’Ukraine, menaçant le monde entier et notamment les pays de l’UE et singulièrement les membres de l’OTAN qui voudraient « interférer » dans son opération. Dès le 24 février, cette menace a pris la forme de « conséquences telles que vous n’en avez jamais connues dans votre Histoire » pour se préciser le 27 février lorsque le président de la Fédération de Russie à demandé de « mettre les forces de dissuasion de l’armée russe en régime spécial d’alerte au combat ».

La rupture est double car l’emploi en premier de la force nucléaire est évoqué ici dans le cadre d’une opération offensive qui rencontrerait une adversité extérieure, une riposte, celle-ci fût-elle conventionnelle. Pour la première fois dans l’Histoire, depuis Hiroshima et Nagasaki, une puissance nucléaire mène, en brandissant la menace de l’arme atomique, une guerre qu’on peut considérer de son point de vue comme civile puisqu’elle-même affirme que le territoire sur lequel elle s’avance est le sien (comme auparavant la Crimée) mais qui vue du point de vue de la souveraineté des États du continent européen s’apparente clairement à une guerre de conquête (ou vraisemblablement de reconquête dans l’esprit de M. Poutine).

La deuxième rupture est une conséquence de cette initiative belliqueuse. Tout se passe comme si l’équilibre d’une peur partagée, symétrique, inhérente à la dissuasion nucléaire, avait été rompu. Comme si l’agresseur n’avait plus peur d’une riposte, de la seconde frappe, comme s’il était le seul à ne pas avoir peur pour son pays face au monde entier transi par l’audace du conquérant russe. De la dissuasion, on est brutalement passé au bluff. Si le joueur du Kremlin gagne cette partie, cela voudra dire que l’arsenal nucléaire d’un seul aura suffi à terroriser et pétrifier le monde entier, l’Union européenne au premier chef. On pourra alors parler de la fin de la dissuasion nucléaire et se demander dans quel nouveau monde nous venons d’entrer et quel nouveau jeu les puissants vont se sentir le droit d’y jouer.


11 mars 2022

Anéantir



 


Houellebecq, « quand même ».

Un nouveau livre de Michel Houellebecq est toujours attendu. Observateur souvent cru mais sincère de la comédie humaine, sa manière de regarder le monde le plus contemporain déloge la nôtre de ses certitudes et de ses habitudes et on lui sait gré de nous prêter ses yeux et son esprit le temps d’un roman pour nous mettre en face de ce que nous ne voulons pas voir par lâcheté (ou pruderie qui en est un autre nom). En bonus, au fil du temps et des livres, Houellebecq semble s’attendrir, son cynisme se muerait presque en lucidité affectueuse, qui n’a plus besoin de provoquer pour nous faire admettre sa vision du monde avec la force d’une vérité. Comme un vin, Houellebecq se bonifie et le cru 2022 est bon.

« Anéantir », donc. Ce verbe terrible, à l’infinitif, en titre, a-t-il un sujet, un objet voire les deux ? S’agit-il d’un processus d’anéantissement aveugle que nul ne contrôle et dont personne n’est responsable ? Une fin du monde inéluctable ? Est-ce la société française ou le monde entier qui sont ainsi menacés ? Par qui, par quoi ? L’œuvre d’un secret nihilisme surgi de l’être même ? On a déjà noté combien les titres des livres de Houellebecq étaient en prise avec l'actualité...

Le récit démarre sur les chapeaux de roues par l’irruption sur Internet de vidéos spectaculaires dont les meilleurs spécialistes de l’image ignorent avec quels moyens, inconnus d’eux, elles ont pu être réalisées. Evidemment, parce que l’un de ces petits films met en scène, avec un réalisme insoutenable, l’exécution par guillotine de Bruno Juge, l’actuel et prestigieux ministre de l’Économie, des Finances et du Budget, le plus puissant membre du gouvernement en place, les services secrets entrent en jeu. Et l’on va faire connaissance de Paul Raison, un des conseillers et confidents du ministre, un énarque bientôt quinquagénaire autour duquel toute l’intrigue d’Anéantir s’articule.

Nous sommes en janvier 2027 et la campagne des élections présidentielles démarre. C’est le second mandat du président en place qui s’achève. Aux termes de la Constitution, il ne peut se représenter mais sa jeunesse et ses succès, qu’il doit en particulier à l’excellente politique de son ministre des Finances – le virtuellement guillotiné - et aux bons résultats de l’économie, lui font ambitionner un troisième mandat en 2032. Il va donc la jouer Poutine/Medvedev et mettre en piste un présidentiable à lui, Benjamin Sarfati, une sorte d’homme de paille issu du PAF, Berlusconi à la française, dont il est assuré qu’il ne briguera pas contre lui, le moment venu, un second mandat. Sans qu’il soit besoin de citer le nom d’Emmanuel Macron, on reconnaîtra aisément la situation plausible de la France en 2027, si l’actuel président est effectivement reconduit au printemps 2022. Houellebecq a dû prendre un malin plaisir à faire cette hypothèse pour shunter dans l’esprit de son lecteur la prochaine présidentielle et le placer d’emblée cinq ans plus tard, toutes choses égales d’ailleurs (ou presque).

Houellebecq décrit l’envers du décor d’une campagne et notamment les interventions d’une conseillère en communication Solène Signal qui va coacher le candidat à la présidence et son mentor, Bruno Juge. Le livre s’attache aussi à décrire les jeux politiques. Un jeune loup du Rassemblement national est désormais le challenger après, on l’imagine, un second échec de Marine Le Pen. Et c’est ce qu’il commence à faire dans un contexte international qui se tend brusquement. Car après les premières vidéos qui ont submergé le Net avec des moyens mystérieux que même les tout-puissants GAFA n’arrivent pas à contrôler, des images d’attentats surgissent, qui s’avèrent bien réels et menacent directement les relations commerciales entre grandes puissances, la Chine en premier lieu. Ce terrorisme audacieux, aussi militarisé que numérisé, est d’autant plus inquiétant que nul n’en revendique la paternité, signé qu’il est par de mystérieux pentagones : extrême-gauche ou extrême-droite, la diversité des cibles ne permet pas d’identifier un camp, une cause, un but qui soient répertoriés. Cela ressemble à une entreprise de déstabilisation du monde à l’état pur, guidé par une main aussi invisible que celle à laquelle Adam Smith attribuait l’essor harmonieux de la richesse des nations Mais progressivement les considérations politiques françaises et géostratégiques internationales vont passer au second plan du roman pour se concentrer sur la vie de la famille Raison quand le père, Édouard, déjà veuf, ancien des services secrets, est victime d’un AVC dont il ne va récupérer que très partiellement. C’est Paul Raison et sa famille qui forment rapidement l’essentiel du roman. Les trois enfants d’Édouard se mobilisent autour de lui. Ils s’étaient un peu perdus de vue et vont se retrouver, occasion pour Houellebecq de dresser le portrait d’une famille française, d’une fratrie et de ses « pièces rapportées », confrontée au système médical et aux décisions à prendre par rapport à un parent âgé, en fin de vie. Le livre bascule alors complètement et aurait pu s’appeler aussi bien L’Éhpad ou la vie

Un second livre commence et le lecteur lui, pourrait se sentir frustré que le premier soit abandonné. Il ne saura rien des attentats et de leurs causes. Tout se passe comme si l’intérêt de l’auteur s’était soudain détourné de son propos initial, de l’actualité politique, pour s’intéresser à ce qu’on appelle une fin de vie, celle de Raison père, intrigue qui va se dédoubler quand le fils devra à son tour affronter la grave maladie. Au fond, ce qui anéantit, ce n’est pas le terrorisme mais tout simplement la maladie et la mort, et rien d’autre. La clé de ce détournement se trouve peut-être à la fin du livre, dans les Remerciements à une certaine dame : c’est en sortant de chez elle « qui s’occupe de son époux avec courage », que, nous avoue Michel Houellebecq, « j’ai senti pour la première fois que, quoi qu’il advienne, je devais terminer ce livre. » S’était-il trouvé dans une impasse avec son histoire de terrorisme, a-t-il jugé qu’il avait épuisé le sujet politique et sa vanité ? Toujours est-il que les Raison l’ont emporté, si l’on peut dire. Avec eux aussi, la nécessité pour notre auteur de dire enfin tout le bien qu’il pense des femmes, leur courage, leur fidélité, au-delà de leurs aptitudes à prodiguer de bonnes pipes à leurs partenaires masculins, chose qui suffisait naguère à contenter le « jeune » Houellebecq et à épuiser sa vision du féminin. Si les références au sexe restent constantes chez lui, si l’activité sexuelle reste pour lui la seule source de bien-être authentique, indiscutable, pour les humains – les hommes en tout cas - les thèmes de l’amour et de la religion, qui affleuraient dans ses précédents livres, s’affirment. Amour oblatif des femmes, de Madeleine la jeune seconde épouse d’Édouard Raison, tranquille foi en la prière de Cécile sa fille, fervente catholique, ferveur de Maryse la courageuse infirmière envers Édouard et son fils Aurélien, retour en grâce auprès de Prudence de son mari, Paul Raison, le personnage principal d’Anéantir.

Michel Houellebecq devient peut-être un vieux sage comique quand il nous explique, de son ton inimitable, que « la vie humaine est constituée d’une série de difficultés administratives et techniques, entrecoupée par des problèmes médicaux ». Mais il s’interroge aussi sur la fin de cette vie quand elle « change alors de nature une seconde fois, pour devenir un parcours plus ou moins long et douloureux vers la mort. » Et d’en venir à faire des reproches à Dieu : « il n’est pas bon que l’homme soit seul a dit Dieu, mais l’homme est seul et Dieu n’y peut pas grand-chose, ou du moins il ne donne pas l’impression de tellement s’en préoccuper ». Ce Dieu pas très puissant, en apparence pas très concerné par ses créatures, ce minimum divin, existe malgré tout, comme l’embryon d’une présence que Houellebecq ne cherche plus à réfuter mais continue d'interroger avec insistance au cœur de ses personnages.


05 février 2022

Nom : Debré - Prénom : Constance

 



Le 12 août 2020, j’avais accompagné Marie-Aude à Nevers chez son ophtalmologue. À côté il y a une Fnac. C’est drôle comme certains livres vous font de l’œil, un jour une recension et une photo de garçon manqué et puis un autre jour vous le retrouvez au détour d’un rayon, d’un coup d’œil encore. Ce jour-là c’était Play Boy, Constance Debré, tiens, tiens, ferait-elle aussi son Passage (1985), celle-là ? Constance parce que c’est le prénom de ma fille, Debré, est-ce que par hasard elle serait de LA famille Debré ? Mercredi, deux ans plus tard, j’étais de nouveau à Nevers. Une amie facebook avait collé la photo du dernier livre de l’autrice, intitulé sobrement Nom. Je suis allé refaire un tour à la Fnac et j’ai acheté Nom et puis aussi Love me tender, que j’ai lus aujourd’hui (jeudi 3 février 2022)


"La Femme aura Gomorrhe et l'Homme aura Sodome,
Et, se jetant de loin un regard irrité,
Les deux sexes mourront chacun de son côté."

Alfred de Vigny


En trois livres, Play Boy (2018) pour le nouveau jeu de l’amour, Love me tender (2020) pour le salut de son fils Paul, et aujourd’hui Nom (2022), qui enterre son père, Constance Debré s’est forgé une nouvelle vie rompant radicalement avec celle d’avant, celle de « fille de », de « femme de », d’avocate. Elle reste « mère de ». Au passage, un auteur est né.

Je lui ai trouvé un sobriquet, elle qui se bat avec son nom : « moine soldat », pour l’heure plus démolisseur que bâtisseur, mais les moines ont dû abattre des arbres, dessiner des clairières, détourner des rivières, trouver des carrières, tailler des pierres, les porter jusqu’aux fondations avant de pouvoir rendre à Dieu sa création en chantant « l’œuvre de Tes mains » - calleuses - sous les voûtes angéliques.

J’ai découvert aussi à quoi elle carburait. C’est un vers de Gérard Murail, qu’elle ne doit pas connaître, le plus alchimique des alexandrins de la langue française, dont il était fier puisqu’il avait un ti-shirt sur lequel il l’avait transféré : « Je brûle ma substance avec mon propre feu ». Il aurait pu se le faire tatouer, comme elle, « Fils de Pute » sur le ventre, un détail du Caravage sur le bras et d'autres trucs encore sur le cou et qui sait, sur une fesse.

À sa façon, avec ses mains qui ont démissionné de tout, sauf du clavier et de la peau des filles, elle construit une cathédrale. Jusqu’où va-t-elle monter les murs avant de les incliner ? Où trouvera-t-elle la clé pour clore son ouvrage, la pierre que les bâtisseurs ont rejetée  ? Pour l’heure c’est la fin des livres sans le mot fin, œuvre en cours dit-on pour désigner la pile à écrire qui monte moins vite que celle à lire, périodiquement effondrée, comme certaines églises trop ambitieuses. On ne va jamais assez haut pour Dieu, mais parfois trop pour le Mensch.

Debré soigne son corps et son âme, à coups de longueurs de piscine, qui lui taillent sa silhouette androgyne, ascète mais pas nazir, cheveux rasés au sabot 2 et seins effacés, homme à l’Habit Rouge, Guerlain, sauve-moi de l’odeur de chlore. Il faut avoir « le corps dur » (PB, 113). Devant la glace des vestiaires, « mon corps était exactement ce que j’étais. » (PB, 51). « Pour mon corps, ça m’a pris quarante ans de comprendre ce que je devais en faire » (N, 109). 

Tel le fils de l’homme, elle n’a pas où reposer la tête. Les renards ont des tanières, les oiseaux ont des nids, elle n’est plus de nulle part, couchsurfeuse qui squatte chez les autres comme un coucou, là où elle pond ses textes. Elle vit des autres, ce qui n’est pas vivre de peu. Elle pourrait paraphraser Jean Bodin qu’elle a sûrement croisé au cours de ses études : il n’est de richesses que de femmes, dont elle use en collectionneuse qui ne les retient pas, même quand elles voudraient, mais les couchant dans ses livres, étiquetées à jamais.

Même l’expert psychiatrique l’a doublement adoubée pour essayer de lui rendre la moitié de son fils : « Avoir des relations homosexuelles ne peut pas être considéré comme un signe d’instabilité psychique à notre époque, et le fait d’écrire des livres non plus » (LMT, 90)

Politique d’elle-même, elle a désormais un projet pour les autres : mettre fin à la vie ordinaire, ce qu’elle nomme la « vie lamentable », qui était la sienne et avec laquelle elle a rompu en quelques mois : avocate, vingt ans en couple, un enfant, Paul. « Je suis passée aux filles », voilà ce qu’elle annonce à celui qui est déjà son ex, « Laurent ». Mais, paradoxalement, « ça n'a pas grand chose à voir, avec le sexe, encore moins avec l'amour » (LMT, 86).  Love me tender (2020) raconte la bataille autour de Paul, l’ordinaire bataille autour d’un enfant, le fruit qu’on ne voudrait pas devoir s’arracher pas plus qu’il n’a envie d’être coupé en deux ni dévoré. Salomon avait eu la bonne idée quand c’était deux mères qui le revendiquaient. Aucun juge ne sait départager un homme et une femme. L’amour hétéro qui flanche est une sale idée, où les femmes-mères sont souvent perdantes, et les enfants plus encore.

Mais justement, « qui perd gagne » pourrait être aussi le mot d’ordre de notre moine qui s’est débarrassé•e de tout. Mais qui ne se fout pas de tout, contrairement aux apparences. Elle n'a pas oublié son Droit.

Dans Nom, elle entend continuer à sculpter sa vie dans l’écriture comme elle taille son corps dans les bassins, mais elle affiche aussi un projet politique. « Je suis le contraire de quelqu’un qui s’en fout ». Elle se défend aussi de tout projet autobiographique ou autofictionnel : « mes livres, ce n’est pas raconter ma vie, mes livres, c’est expliquer ce qu’il se passe, et comment on doit vivre ». Brûlante ambition, somme toute morale, façon Houellebecq. Non, écrire pour vivre ou vivre pour écrire, c’est faire face à la « vie lamentable que j’ai vue [vécue ?], la vie lamentable que je vois partout » (61). La « vie lamentable », ce n’est pas une question de pauvres ou de riches, c’est que « les gens ne sont pas sérieux », ni avec leur corps, ni avec le travail, ni avec leurs désirs, ni avec l’amour, ni avec ce qu’ils pensent. En résumé, ils ne sont pas « sérieux avec eux-mêmes ». Et qu’est-ce qu’être sérieux, pour notre moine-soldat ? C’est aller « jusqu’au bout ». Or, la plupart du temps, les gens « vont à demi ». Debré n'est pas radicale par les racines mais par ce qui pousse au dehors d'elle, parce qu’à un moment, elle n’a plus pu, comme on dit. Choisir. « Ce qui compte c’est la décision ». Et de citer Lacan dans une interview, « ne pas céder sur son désir ».

Si elle a jeté sa soutane d’avocat aux orties, si elle a défroqué de la Justice, c’est que « la justice ne veut pas dire grand-chose, ni pour la victime, ni pour celui qu’elle condamne, souvent ça ne veut rien dire, la justice, sauf pour ceux qui, comme on dit, l’exercent » (N, 139). Dans son ex-métier, le Christ l’a effleurée : il « a une gueule d’assassin et il porte des Nike Requin, je l’ai croisé souvent » (N, 135). Ailleurs aussi, une fois, avec son fils Paul : « on entre à Saint-Sulpice se reposer, on a encore une demi-heure. On prend de l’eau bénite, on fait le signe de croix, on met un cierge, on s’assoit, il me donne la main, on parle à voix basse, on se repose. » (LMT, 150)

En dépit des apparences, Constance Debré n’est pas la énième autofictionneuse du petit monde littéraire français. Elle a bien un programme politique à elle. « Je suis un chevalier de la foi et à chaque fois j’y crois » (N, 92), au milieu des « catastrophes légères ». Finalement, bon sang ne saurait mentir. Monsieur François Debré, vous pouvez être fier de votre fille et vous aussi, Madame.

03 octobre 2021

L'Église dont le prince est un enfant

Sur la communication préventive de l’épiscopat


L’Église est en pleurs. L’Épouse du Christ a été trahie par de mauvais serviteurs. Son mascara fout le camp. Pire, ça se voit. Son message d’amour, son grand fleuve d’Amour, s’est laissé polluer par des affluents de stupre, petits (2 à 3 %, c’est peu et beaucoup à la fois) mais hautement toxiques. Aimez-vous les uns les autres, certes, mais surtout pas comme certains ont prétendu vous aimer. La puissance d’aimer a pu se travestir en amour du pouvoir, exercice d’une domination contrôlée sur les âmes et sur les corps, dominations spirituelle et sexuelle, l’une habillant l’autre, si l’on peut dire, pour que l’autre puisse à son heure déshabiller l’une. Moment de méditer Sade : « Il n’est point d’homme qui bande qui ne veuille être un despote ». Au fond, nihil sub sole novum, rien de nouveau sous le soleil.


Dans une Église faite sur mesure par des hommes pour des hommes, où la domination masculine demeure manifeste, aussi paternaliste (« Mon Père ») et pateline (« Mon fils, ma fille ») se fasse-t-elle, les crimes et dérives inventoriés par le rapport de la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l'Église (CIASE), relèvent autant d’un système que des hommes et des femmes qui s’y sont engagés. Si leur origine en partie systémique n’exonère pas les personnes de leur responsabilité individuelle, il appartient désormais à l’institution Église de regarder en face ce système qu’elle maintient aujourd’hui, les caractéristiques de son organisation et de sa discipline internes, le style de relations humaines que celles-ci font prévaloir, qui ont pu favoriser les crimes commis en son sein. Plus généralement, c’est sans doute le coût que la fidélité du catholicisme à sa « Tradition » fait supporter à l’Évangile, ici et maintenant, qui est en jeu et menace sa survie.


Car dire « le passé est le passé, regardons l’avenir » ne va pas suffire. Garder les mêmes structures et les mêmes conceptions garantit que les mêmes causes produiront les mêmes effets. Or c’est justement le poids spécifique de ce qui est englobé sous le terme Tradition dans l’Église catholique qui risque d’être la force d’inertie principale, si celle-ci fait sienne l’opportunisme de Tancredi dans Le guépard, le roman de Lampedusa : « il faut que tout change pour que rien ne change ». De ce point de vue, la communication développée ad intra ce dimanche par l’épiscopat avec la distribution à la sortie des messes d’un dépliant qui présente 11 mesures mises en place par l’épiscopat [1] avant même que les conclusions de la Ciase soient rendues publiques mardi, ad extra, laisse craindre qu’on demeure dans le cosmétique par peur de s’attaquer au systémique.



Le titre du dépliant pose déjà question : « Faire de l’Église une maison sûre ». L’Église n’est pas une « maison », elle est une « ekklesia », une assemblée ouverte au monde, à tous les vents. Nulle clôture ne l’entoure. Ce n’est pas une maison close sur elle-même, même si c’est peut-être de l’avoir trop été, close, qui a favorisé les crimes dénoncés aujourd’hui. Dans une institution largement vouée à la transmission et à l’éducation – elle n’est pas la seule dans notre pays - les « risques du métier » [2] devront toujours être courus et assumés par toute la communauté et au-delà, responsables, clercs et laïcs, hommes, femmes et enfants. L’Église est au monde, la vraie vie n’en est pas absente.


Le sur-titre du dépliant « Lutte contre la pédophilie » est aussi problématique. L’emploi du terme de « pédocriminalité » eût été plus judicieux que celui de « pédophilie », qui signifie littéralement « amour des enfants » et renvoie justement à cette zone grise de l’amour où la mauvaise foi des prédateurs abrite leur conscience. Pourquoi n’avoir pas repris l’intitulé bien plus large de la Ciase : « abus sexuels » ? Certes la cause des enfants est prioritaire, mais c’est bien la sexualité d’une façon plus large qui est en jeu, celle qui irrigue tous les êtres humains, la même qui inonde aujourd’hui l’Église catholique. La sexualité, comme l'eau, se glisse partout. L’Église catholique a toujours eu peur du mot « sexe ». 


Au chapitre de ce qu’on nomme le systémique, le regard que pose l’institution catholique sur la sexualité est sans doute le point aveugle de sa réflexion et sera à n’en pas douter la pierre d’achoppement de son action. Et ce d’autant plus que c’est un sujet dont elle ne cesse de s’emparer pour s’en dire « mère de sagesse » au nom de sa soi-disant compétence « anthropologique », qualificatif dont elle revêt désormais un mélange de raisons tirées davantage de la Tradition que de la science ou des Écritures. Jésus n’était pas obsédé par la sexualité si l’on en croit les évangiles. D’où vient que l’Église catholique en France en ait fait jusqu’à son cheval de bataille, en soutenant par exemple la Manif pour tous, donnant alors de nouvelles verges pour se faire battre ? Les livres d’André Paul, Éros enchaîné, d’abord, puis La famille chrétienne n’existe pas, ont tenté de l’expliquer naguère.


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Tout ça c’est de la théorie. Mais en pratique ? Je voudrais compléter ce billet par trois témoignages personnels.


En 1968, j’entrai au séminaire Saint-Sulpice à Issy-les-Moulineaux J’avais 18 ans, j’étais un jeune provincial puceau, idéaliste et candide qu’un aumônier que j’admirais avait propulsé là au sortir du bac. Je lui en saurai toujours gré. J’y ai rencontré des maîtres aussi admirables de dévouement et de compétences, et un séminariste qui fut pour moi le frère aîné que j’avais perdu cinq ans auparavant. Ce frère de remplacement est prêtre, lui, aujourd’hui, dans le cœur battant de Paris XVIIIe. Le sujet est celui-ci : je découvris, au bout de deux ans - quand j’en fus sorti, je devais me marier trois ans plus tard - qu’un certain nombre de condisciples de l’époque étaient homosexuels pratiquants. C’est l’un deux qui me décilla alors, car je n’avais été l’objet d’aucune « avance », que mon état de quasi-innocence à l’époque ne m’eût d’ailleurs pas même laissé percevoir. Pour autant, je n’affirme pas que je n’aurais pas goûté la chose dans le cas contraire. Je n’étais pas asexuel. Mais personne ne me dragua. J’étais trop beau, paraît-il. Rétrospectivement, je peux donc affirmer qu’un certain nombre de garçons aux tendances homosexuelles avérées, conscientes, envisageaient le sacerdoce et que ce n’était pas considéré comme « intrinsèquement désordonné » [3] par l’institution, du moins en apparence. À ma connaissance, pourtant, peu de ceux que j’ai connus y parvinrent. Comment ceux qui devinrent prêtres ont-ils vécu la chasteté ? À quel prix ? Je l’ignore.


J’ai été aussi animateur en aumônerie à plusieurs périodes de ma vie, jusqu’à un âge avancé. Au cours d’un pèlerinage, il m’arriva d’être témoin d’une situation qui me perturba. Nous faisions une journée de marche sur une portion du chemin de Compostelle. Un jeune aumônier qui nous accompagnait passa quasiment toute l’après-midi loin en arrière du groupe, avec un des lycéens. Première alerte. Ce tête-à-tête se poursuivit dans le car qui nous ramenait de nuit. À un moment même, le lycéen retira son ti-shirt et se fit masser le dos nu par ce jeune prêtre qui s’était assis à côté de lui pour le voyage du retour. J’étais à côté de ma responsable d’aumônerie et nous nous entreregardâmes sans rien dire mais en n’en pensant pas moins. Dans le car endormi, nous étions mal à l’aise comme devant un pelotage qui n’aurait pas dit son nom. Je ne sais plus qui de nous deux se décida à intervenir pour rompre ce manège, en s’adressant au garçon : « Tu ne vas pas bien ? » (Il semblait aller parfaitement bien). Le jeune prêtre nous répondit : « Je le masse car il a mal au dos » (Il avait donc mal au dos). Dont acte. Dans les jours qui suivirent, je jugeais avec ma responsable d’aumônerie qui avait été troublée elle aussi, que ce comportement du prêtre méritait au moins une réaction de notre part et une explication de la sienne. Nous le convoquâmes - non sans réticences de sa part car nous ne lui avions rien dit de précis sur le sens de cette convocation - à ce qui pouvait s’assimiler à une séance de « correction fraternelle » au sens de  Matthieu 18, 15-18. Je ne suis pas sûr qu’il admit sur le moment le bien-fondé de notre démarche. Il opposa une forme de déni à notre constat commun et ne parut même pas reconnaître, a minima, un comportement imprudent de sa part. De notre côté, nous étions embarrassés d’avoir dû nous ériger en « juges » d’un prêtre, fût-il plus jeune que nous. Nous fîmes part de nos doutes et de notre démarche à notre aumônier. L’affaire en resta là. J’espère qu’elle fut un avertissement salutaire pour l’intéressé, si nécessité il y avait eu.


Plus récemment, en 2018, pour un autre jeune prêtre [4], il n’y eut aucune espèce de salut. Dans le secteur paroissial où je venais d'arriver, il fut signalé à une cellule diocésaine « d’écoute des blessures » par des paroissiens pour des « comportements inadaptés ». Immédiatement suspendu par son évêque au moment de la rentrée qu’il avait soigneusement préparée, son dossier partit directement chez le procureur-adjoint de la République. Une enquête de gendarmerie fut diligentée et bien que les gendarmes aient signifié en personne à ce jeune prêtre qu’au final aucune charge ne pouvait être retenue contre lui, il fut retrouvé pendu quelques jours après dans son presbytère, rien ni personne ne l’ayant officiellement réhabilité dans son honneur ni réintégré à temps dans ses fonctions. Tout au plus aurait-il été question de le « déplacer ». Un mois auparavant, un autre jeune prêtre encore [5], d’un autre diocèse  s’était pendu lui aussi dans les combles de son église, signalé auparavant à l’évêché par la mère d’une jeune fille majeure après une « conduite inconvenante ». Dans les deux cas, la disproportion entre les faits et leurs conséquences dramatiques n’échappa à personne, d’autant que les vrais prédateurs, eux, se suicident rarement. Ces deux drames eurent pour effet, paradoxalement, de m'inciter à me réengager dans l'Église. Mais ces deux affaires signalent la difficulté, pour les catholiques de base comme pour leur hiérarchie, à gérer les questions sexuelles, qui tétanisent l’Église après l’avoir obsédée, prise qu’elle est entre un laxisme ancien qu’elle voudrait faire oublier et la volonté d’afficher une soi-disant « tolérance zéro », dans l'air du temps et aux effets parfois tout aussi dévastateurs.


Peut-être l’Église devrait-elle s’arrêter un instant pour revoir ses conceptions sur la vie sexuelle en méditant, après celle de Sade citée plus haut, la maxime célèbre de Pascal : « L’homme n’est ni ange ni bête, et le malheur veut que qui veut faire l’ange fait la bête. » Lui faudra-t-il un Concile rien que pour ça, gérer Sade et Pascal ensemble ?

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[1] C'est la reprise d'une "Lettre aux catholiques", datée du 25 mars 2021, jour de l'Annonciation (sic).

[2] Je reprends volontairement ici le titre du beau film d’André Cayatte (1967), si bien servi par Jacques Brel en instituteur (faussement) accusé par une jeune élève.

[3] C’est ainsi que le § 2357 du catéchisme de l’Église catholique qualifie encore en 2021 « les actes d’homosexualité ».

[4] Pierre-Yves Fumery, du diocèse d’Orléans.

[5] Jean-Baptiste Sèbe, du diocèse de Rouen.

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Annexe : Le dépliant de l'épiscopat français distribué ce dimanche 3 octobre à la sortie des messes :








26 septembre 2021

Garder le patrimoine vivant ? Tabernacle !

Au réveil, je tombe dans ma messagerie sur un lien vers URBANIA, un site canadien. Le récit du jour, c’est le projet qu’a une jeune femme nommée Zoé Lamontagne de transformer une église en centre culturel. Je repense à ma messe d’hier soir et à ses vingt-cinq fidèles… C’est dans la rubrique « Art » et l’article s’appelle « Ressusciter Sainte- Clotilde » (sic). L’article use d’un certain nombre de mots tirés du registre religieux. Après le « ressusciter » du titre, il est question de la « conversion de l’église » (en centre communautaire et culturel). « L’idée est d’insuffler une bonne dose de culture dans un lieu pratiquement à l’abandon (une messe devant une poignée de fidèles aux deux semaines) [je pense à la mienne de poignée], tout en préservant sa valeur patrimoniale. » Il faudra « amorcer avec le clergé les étapes pour la désacraliser » [« désaffecter », plutôt]. L’initiatrice du projet est consciente qu’il y aura des barrières à lever : «  Acheter une église entraîne des enjeux d’acceptabilité sociale. La plupart des gens ont été baptisés ici et enterrés dans le cimetière derrière », souligne-t-elle, cimetière dont la grille d’entrée est surmontée d’un curieux appel : « Pensez-y bien ». En gros, comme les morts ne devraient pas être difficiles à convaincre et que les vivants ne sont plus qu’une « poignée », ça pourrait passer crème, comme disent les jeunes. Zoé attend donc un « vent de fraîcheur, bénéfique pour tout le monde, même les récalcitrants » (qu’en d’autres circonstances on nommerait « résistants »). L’article poursuit : « Midi pile, les cloches résonnent. On veut les garder, c’est la tradition (sic). Elles sonnent à midi et six heures », assure Zoé. Oui, ça s’appelle l’Angélus, a-t-on envie de lui rappeler. Sans doute éteintes le matin depuis quelque temps pour ne pas réveiller les voisins. Le maire par interim voit l’initiative de Zoé d’un bon œil : « Je trouve que c’est un bon projet, j’aime le côté “redonner l’église aux gens” (re-sic) ». Une autre candidate à la mairie explique :  « La religion catholique est moins populaire, nos églises se vident et c’est une bonne façon de garder le patrimoine vivant ». Une autre, artiste, sent « une volonté de voir Sainte-Clotilde reprendre vie au sein de la population. » Tabernacle ! 

01 octobre 2020

Le bonheur, sa dent douce à la mort

 


   Madame Cassin n’était sans doute pas assez sage pour n’aimer que la sagesse, ce qu’elle s’est démontré en échouant plusieurs fois, avec obstination, à l’agrégation de philosophie. Le génie mais pas le talent, lui a dit un examinateur. Autre handicap pour une apprentie philosophe : la vérité ne l'intéressait guère, elle s'en explique. Mais elle aimait les mots, qui l’ont sauvée. Son « dictionnaire des intraduisibles », sous-titre du « Vocabulaire européen des philosophies » dont elle a été pendant quinze ans la sage-femme obstinément – encore - penchée sur sa brèche accouchante, restera comme sa grande déclaration d’amour à la parole, aux langues, à l’humanité.

Son « autobiographie philosophique » prend un titre rimbaldien : « Le bonheur, sa dent douce à la mort ». On sait ce que les philosophes doivent aux poètes : l’audace et la force des collisions qui explosent la langue et autorisent de nouveaux assemblages qu’ils nomment « concepts ». Le parcours de vie de madame Barbara Cassin est étourdissant, comme une suite d’explosions. Rien n’y semble prémédité, sinon d’avoir toujours su saisir le kairos, le moment qui donne et à qui on se donne entièrement, en choisissant de préférence les « entrées interdites » du Temps.

Des mille expériences vécues par l’académicienne si peu académique, on retiendra sa contribution à la Commission Vérité et Réconciliation conduite par Nelson Mandela et Desmond Tutu. Elle y a reconnu une nouvelle fois « le pouvoir du langage ». La première fois, ç’avait été en intervenant comme professeur de français auprès d’adolescents psychotiques, sous l’égide de Françoise Dolto. C’est à coup de mots grecs qu’elle leur avait fait entrevoir leur langue maternelle.

Ce récit autobiographique se lit comme le roman époustouflant d’une femme qui détestait l’Un et lui a toujours préféré l’Autre, les autres, infidèlement fidèle dans sa tour de Babel multilangues. Chaque page rebondit sur la précédente pour mieux sauter sur la suivante, dans un apparent désordre qui est celui de la Vie quand on s’y tient, sans chercher rien d’autre qui vaille mieux que ce parcours d’obstacles - voire d’arrêts - arrêts dont elle fait aussi l’éloge paradoxal.

Le dernier chapitre consacré à Étienne, le compagnon de son existence, le père de ses deux enfants, n’est pas le moins beau. La barrière est plus haute. Il y est question de chevaux et de morts, cette mort que, paraît-il, nous envieraient les dieux grecs du haut de leur éternité lassée. Pour l’écrire, Madame Cassin, cavalière d’elle-même, a sans doute pris le mors aux dents et, une nouvelle fois, ne se dérobe devant rien.


Adieu Fabrice

Mardi 11 février 2025, adieux à Fabrice Zimmermann. J’aurais voulu dire quelque chose – déformation professionnelle ? – mais il ne me venait...